Intervention de Arnold Migus

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 16 avril 2020 à 9h35
Audition en visioconférence des membres du groupe de travail de l'académie nationale de médecine sur les scénarios de sortie de crise de l'épidémie de covid-19

Arnold Migus, ancien directeur général du Centre national de la recherche scientifique, membre du groupe de travail :

a alors abordé les réflexions du groupe de travail sur la troisième phase de l'épidémie, soulignant qu'elle peut être envisagée de différentes façons et a suscité des discussions approfondies. Les thérapeutiques vont-elles venir d'abord ? Ou bien est-ce que ce sera le vaccin ? Les thérapeutiques ou le vaccin suffiront-ils ? Certains récusent cette approche et pensent qu'il faudra rechercher l'acquisition d'une immunité de groupe.

Nous avons exploré les trois possibilités. Une phase III.A se définirait comme une phase où des actions thérapeutiques ou vaccinales seraient possibles ; mais encore faut-il avoir un vaccin. S'il n'y en a pas ou si l'horizon d'un vaccin est trop lointain, le groupe de travail a cherché à caractériser une phase III.B organisée autour d'une stratégie d'acquisition volontaire d'une immunité.

La phase III.A vise donc à établir des protections thérapeutiques et vaccinales pour lever les contraintes de distanciation physique. Il conviendrait de prévenir l'infection, de traiter les personnes atteintes précocement pour éviter de mauvaises suites, de fournir une prophylaxie aux personnes exposées à l'infection. Dans le cas où un vaccin existerait, il faudrait renforcer l'immunité de la population contre le virus afin de réduire la maladie et la mortalité et d'arrêter ou de ralentir considérablement la propagation. L'« élément déclencheur » d'une entrée en phase III.A serait la capacité de fabriquer le vaccin à grande échelle, de planifier les priorités vaccinales ou thérapeutiques lorsque l'offre est limitée ou de passer à la vaccination de masse lorsque l'offre est abondante.

Les vaccins et produits thérapeutiques pourraient être fabriqués tant par des acteurs publics que privés. Ils ne seront sans doute pas disponibles en grande quantité au début, ce qui obligera à définir des priorités. Une fois que l'offre sera abondante, la vaccination de masse devient possible. Cependant, elle ne sera pas forcément aisée, au vu de la persistance d'un certain « populisme médical » : des enquêtes récentes ont montré qu'une partie non négligeable de la population refuserait le vaccin. En ce domaine, la parole politique a donc toute son importance, surtout que les réticences s'observent tant chez les plus jeunes que chez les plus de 75 ans, où elles concerneraient 15 % des personnes interrogées.

Le problème du vaccin n'est pas un problème national, mais international. La France doit donc travailler non seulement avec l'OMS, mais avec les organisations internationales du vaccin : le GLOPID-R (Global Research Collaboration for Infectious Disease Preparedness), la coalition internationale CEPI (Coalition for Epidemic Preparedness Innovations), le GAVI (Global Alliance for Vaccines and Immunization), etc. Tous les efforts doivent être coordonnés pour mettre au point, tester et produire les vaccins, et pour définir la manière dont les États plus riches doivent aider les autres États à acquérir ces vaccins et à lancer des campagnes de vaccination.

Enfin, des études sérologiques seront nécessaires pour déterminer l'immunité de la population.

Le groupe de travail s'est demandé si la phase III.B ne devrait pas plutôt s'appeler « phase III.A » au vu des difficultés rencontrées en matière de vaccins... Cette phase se fonde sur une stratégie assumée d'acquisition volontaire et sélective d'immunité de groupe.

En effet, de nombreuses données sont désormais accessibles sur la grande disparité de dangerosité de la contamination par le coronavirus. Il faudra les analyser afin d'identifier correctement les populations à bas risque, région par région, pour les laisser retourner à une vie normale ; en parallèle, identifier les populations à haut risque permettra de les séparer des précédentes et de les orienter vers un confinement volontaire sélectif plus durable. Il faudra ensuite calculer le risque acceptable du degré de contamination de la population à bas risque afin de ne pas saturer les hôpitaux et, surtout, suivre par sondages représentatifs le taux de contamination de la population à bas risque et lever le confinement une fois que ce taux est suffisamment élevé.

L'« élément déclencheur » d'une entrée en phase III.B est la non-disponibilité à court terme d'un vaccin efficace et sûr ou un temps trop long de vaccination de la population. Il y a donc un risque et quelques inconnues en matière de prise de décision.

La phase III.B passe par quelques étapes nécessaires. Il faut réaliser des sondages par analyse sérologique sur une fraction représentative de la population française - il est assez étonnant que ce ne soit pas fait - afin d'avoir une « photographie » de l'immunité acquise, même région par région, et il faut le faire en continu. Des études virales extensives permettront de rechercher d'éventuelles mutations du virus, dans le cas de réémergences isolées de l'infection. Il faut en parallèle avoir des thérapeutiques pour atténuer les effets du virus. Des études sérologiques permettront de déterminer la fin de l'épidémie.

Une telle stratégie ne devra pas être mise en oeuvre de façon subreptice mais devra être bien expliquée, y compris ses risques, à la population par les autorités politiques pour obtenir son adhésion.

Il ne faut pas négliger le suivi psychologique des personnels de santé et des EHPAD, qui est valable pour toutes les étapes. Comme dans toute catastrophe, un traumatisme va apparaître sur le long terme pour tous les personnels qui « montent au front », comme les soldats qui reviennent souvent avec un choc post-traumatique.

La phase IV correspond à la sortie de crise effective : elle consiste à se préparer à une nouvelle pandémie. Cette phase poursuit plusieurs objectifs ; des investissements pour prévenir, détecter et répondre à la prochaine menace ; une organisation hospitalière fondée sur la flexibilité des structures et moins sur des spécialités cloisonnées ; développer beaucoup plus rapidement des vaccins contre des nouveaux virus, par la modélisation et l'intelligence artificielle, en France et ailleurs ; mettre en place une véritable stratégie européenne ; enfin, accroître la capacité de notre pays à utiliser la modélisation des maladies infectieuses ;

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