Intervention de Didier Marie

Commission des affaires européennes — Réunion du 6 mai 2020 à 11h45
Économie finances et fiscalité — Réponses des pays européens aux conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire - communication de m. didier marie par téléconférence

Photo de Didier MarieDidier Marie, rapporteur :

Chers collègues, j'ai essayé de répondre à la mission qui m'a été confiée d'analyser les réponses comparées de différents pays européens aux conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire que nous traversons. Depuis un mois et demi, tous les pays européens ont pris en urgence des mesures d'ampleur, temporaires dans un premier temps, de plus longue durée dans la phase que nous entamons, pour réduire l'impact de l'interruption brutale de très nombreuses activités économiques et permettre aux entreprises et aux ménages de faire face à cette situation inédite.

Dans un document publié le 20 avril, la Commission européenne évalue à 3 400 milliards d'euros le montant consolidé de l'effort européen de réponse à la crise. Il s'agit pour l'essentiel - plus de 84 % de l'effort public total - de mesures nationales de soutien de liquidité, pour quelques 2 500 milliards d'euros, auxquelles s'ajoutent des mesures budgétaires nationales à hauteur de 330 milliards d'euros.

Si l'essentiel de l'effort est supporté par les politiques publiques nationales, cette réaction des États a toutefois été rendue possible par deux mesures temporaires d'assouplissement très rapidement prises au niveau européen : l'activation, pour la première fois, de la clause dérogatoire du pacte de stabilité et de croissance, introduite en 2011, pour ouvrir aux États membres une flexibilité budgétaire maximale et la révision temporaire du régime des aides d'État par la Commission européenne, en application de l'article 107 § 3, b du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

Ces politiques nationales ont en outre été facilitées par la politique de rachat de dettes souveraines mise en place par la Banque centrale européenne (BCE), à hauteur de plus de 1 000 milliards d'euros.

Le budget de l'Union européenne a certes été mobilisé dans un premier temps, mais sans crédits supplémentaires, qu'il s'agisse des enveloppes non utilisées des fonds structurels, de l'activation de la réserve pour l'aide d'urgence provenant des marges de crédits disponibles ou de la réaffectation d'un milliard d'euros en garantie du Fonds européen d'investissement. En outre, il a été décidé, dans un second temps, l'activation possible du Mécanisme européen de solidarité (MES) et la mise en place du dispositif « SURE », permettant d'octroyer des prêts aux États membres pour financer le chômage partiel en s'adossant à des garanties volontairement engagées par les États membres dans le budget de l'Union européenne.

Les discussions en cours autour du financement du plan de relance pourraient conduire à un accroissement des financements budgétaires européens prévus par le Cadre financier pluriannuel (CFP 2021-2027) mais les modalités d'une solidarité intra-européenne sont loin de faire l'unanimité.

Sans prétendre aucunement à l'exhaustivité mais pour donner des éléments de comparaison par rapport au plan de relance déployé dans notre pays, je me suis penché sur les plans d'urgence nationaux allemand, italien, espagnol, grec, hongrois et chypriote, essentiellement à partir des décisions, validées par la Commission européenne, que ces États ont prises dans le cadre du régime temporaire des aides d'État. Mon choix d'étude s'est ainsi orienté vers trois des pays les plus importants, avec la France, en termes de produit intérieur brut (PIB) et de population : l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne, deux pays ayant fait l'objet de mesures drastiques de redressement économique les années précédentes : la Grèce et Chypre, enfin la Hongrie, au regard de sa situation particulière en matière de respect de l'État de droit. De manière générale, ces plans représentent tous un effort massif excédant 10 % du PIB.

L'analyse des différents dispositifs nationaux de soutien aux acteurs économiques permet de formuler un certain nombre de constats. Tout d'abord, le niveau d'endettement et les capacités budgétaires des États commandent en grande partie leur niveau d'intervention et surtout leurs modes d'intervention. La situation économique initiale des pays est en effet fort différente. La Grèce, l'Espagne et l'Italie souffrent de fragilités structurelles et affichaient avant la crise sanitaire une croissance faible. En outre, si le Portugal et la Grèce sont parvenus à endiguer rapidement la propagation du virus, les mesures de confinement sont particulièrement sévères en Italie et en Espagne. L'impact sur l'économie y sera plus intense qu'en Allemagne, en Grèce ou aux Pays-Bas. Et c'est bien sûr l'Allemagne qui a adopté le dispositif le plus complet : son plan de sauvetage économique national s'élève à 1 100 milliards d'euros, soit 10 % de son PIB.

De manière générale, les pays combinent, dans des proportions inégales, des dispositifs d'aides directes aux petites et moyennes entreprises (PME), dans les limites autorisées par la Commission lorsqu'il s'agit de subventions, des garanties publiques de prêts pour financer la liquidité des entreprises, qui sont généralement fonction de leur taille ou de leur secteur d'activité, enfin le report du paiement de taxes et de cotisations. En revanche, seuls certains pays, comme la France, ont été en mesure de prendre en charge le chômage partiel.

Au titre des aides directes tout d'abord, on relève des reports ou annulations de taxes ou de charges, ciblés sur les secteurs les plus touchés. L'Italie a ainsi suspendu, jusqu'au 30 avril, le versement des cotisations sociales, des primes d'assurances, des factures énergétiques et de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Les PME espagnoles bénéficient également d'une suspension de paiement des cotisations sociales et d'un report des échéances fiscales. En Hongrie, ce sont les secteurs du tourisme, de l'hôtellerie, du divertissement, des jeux, du cinéma, des spectacles et des sports qui sont exonérés de taxes jusqu'en juin. De son côté, la Grèce a suspendu jusqu'au 31 juillet le paiement des impôts et taxes pour les entreprises affectées par la crise. Et Chypre a suspendu temporairement le paiement de la TVA.

Les PME et les très petites entreprises (TPE) font l'objet d'une attention particulière, dans la mesure où 90 % d'entre elles sont directement affectées par la crise sanitaire, les secteurs les plus touchés dans tous les pays étant les services, la construction et le secteur alimentaire. 30 % des PME ont d'ores et déjà subi une perte de chiffre d'affaires d'au moins 80 %; la moyenne européenne étant d'environ 50 %.

Les TPE peuvent ainsi bénéficier de subventions directes parfois substantielles. Trois millions d'entreprises de moins de dix salariés en Allemagne perçoivent des subventions, comprises entre 9 000 et 15 000 euros, pendant trois mois, pour faire face à leurs difficultés de trésorerie. À titre de comparaison, cette aide s'élève à 1 500 euros en France. De son côté, l'Espagne a prévu un système de soutien de la trésorerie des travailleurs indépendants et des PME, notamment sous forme de subventions directes, de prêts bonifiés et d'avances de trésorerie. Elle fournit en outre des aides ciblées à la recherche et au développement, ainsi qu'à l'investissement pour les infrastructures d'essai et la production de produits en lien avec la lutte contre la pandémie.

En Hongrie, un régime d'aides d'un milliard d'euros, financé par les fonds structurels européens, permet d'octroyer des subventions directes, des prêts et des apports de fonds propres. Il est ouvert à toutes les entreprises qui ont accès aux fonds structurels.

À titre de comparaison, on signalera que les aides directes représentent 1,9 % du PIB en France, soit plus qu'en Italie ou en Espagne mais moins qu'en Allemagne ou au Royaume-Uni.

Viennent ensuite les soutiens indirects, sous forme de garanties d'État sur les prêts destinés à couvrir les besoins en fonds de roulement, afin de permettre aux entreprises de se refinancer. Ces garanties ne sont octroyées que jusqu'à la fin de l'année, pour une durée maximale de six ans. Les taux de couverture sont inégaux mais élevés, de l'ordre de 70 à 90 %. Les grandes entreprises peuvent parfois en bénéficier, mais avec des taux de couverture généralement inférieurs et pour des montants plafonnés, sauf en Allemagne où 400 milliards d'euros du fonds de secours y sont affectés. L'Allemagne a en outre prévu un dispositif permettant le maintien de la couverture actuelle d'assurance-crédit afin de faciliter le commerce entre entreprises, y compris extra- européennes.

De son côté, l'Italie a mis en place un régime de garantie pour l'octroi de prêts à l'investissement par les banques, doté de 200 milliards d'euros, soit 10 % du PIB, tandis que l'Espagne a doté son dispositif de garantie des crédits de 100 milliards d'euros, soit 8,5 % du PIB. Les relais sont les banques nationales de développement, en lien avec le secteur bancaire. À titre de comparaison, on précisera que les sommes affectées aux garanties de prêts par la France s'élèvent à 315 milliards d'euros.

Une prise en charge du chômage partiel plus ou moins étendue a été mise en place par certains États, pour éviter les licenciements. En Allemagne, elle s'élève à 60 % du salaire net pour les employés sans enfants, et à 67 % pour ceux ayant des enfants. En Italie, elle atteint 80 % du salaire brut pendant au moins neuf semaines, dans certains secteurs. En contrepartie, en Italie, les licenciements sont interdits pendant 60 jours. À titre de comparaison, on signalera que les sommes versées en France pour financer le chômage partiel représentent déjà plus du double de celles versées par l'Allemagne.

En Espagne, les salariés au chômage partiel perçoivent 70 % de leur salaire brut, dans la limite de 1 098 euros, portés à 1 254 euros si le bénéficiaire a un enfant et 1 411 euros s'il en a deux ou plus. Là-encore, les licenciements sont interdits.

La Hongrie n'a pas mis en place de couverture du chômage partiel mais a prévu d'accorder des subventions salariales, pendant 12 mois au plus, aux entreprises qui présentent une forte intensité de recherche et d'innovation.

Les États ont également mis en place des aides aux personnes et aux familles modestes. L'Italie prévoit ainsi un congé parental extraordinaire de 15 jours, payé à 50 % du salaire pour les parents d'enfants de moins de 12 ans, ainsi que des coupons d'une valeur de 600 euros pour couvrir les frais de garde d'enfants.

Six cents millions d'euros destinés au financement d'aides aux personnes âgées et aux plus vulnérables ont été débloqués en Espagne. Les coupures d'eau, d'électricité et de télécommunications sont interdites et un moratoire a été mis en place sur les mensualités de remboursement des prêts immobiliers pour les ménages, travailleurs et indépendants en situation de « vulnérabilité économique » et victimes d'une baisse de leurs revenus. Enfin, l'allocation chômage sera versée même si la condition de durée n'est pas remplie.

En Allemagne, le paiement des loyers peut être reporté jusqu'au 30 juin pour les plus démunis et l'État apportera son soutien en cas de défaut de paiement. Comme en France et au Royaume-Uni, les expulsions sont interdites.

De son côté, l'Italie a suspendu le remboursement de certains prêts immobiliers ou bancaires et pris des mesures en faveur des plus modestes, comme le versement d'une indemnité de 600 euros aux saisonniers, ouvriers agricoles et indépendants, un bonus de 100 euros pour tous les salariés gagnant moins de 40 000 euros brut par an et un « fonds de revenu de dernière instance » pour les plus faibles revenus. Quant à la Hongrie, elle a suspendu jusqu'en juin l'obligation de paiement des intérêts des prêts des ménages. De son côté, Chypre a mis en place des soutiens aux personnes fragilisées par la crise - étudiants et personnes en arrêt maladie - et une allocation spéciale pour les parents travaillant dans le secteur privé, ayant des enfants de moins de 15 ans, afin de compenser la perte de salaire.

Enfin, je mentionnerai le souci de protection des technologies et des actifs critiques fragilisés par la crise et susceptibles de faire l'objet de prises de contrôle. Cette question a fait l'objet d'une communication de la Commission européenne le 25 mars, appelant à une coordination intra-européenne dans le cadre du règlement sur le filtrage des investissements directs étrangers qui n'entre en vigueur qu'en octobre. Plusieurs pays ont abaissé, ou vont abaisser à 10 %, le seuil de contrôle de ces investissements, notamment la France et la Hongrie.

Pour protéger ses entreprises stratégiques, l'Allemagne, qui avait déjà adopté ce seuil, a en outre affecté 100 milliards d'euros à la recapitalisation de ses entreprises (soit 4,9 % du PIB), soit nettement plus que la France (52 milliards d'euros, soit 2,3 % du PIB) ou le Royaume-Uni (52 milliards d'euros, soit 3,9 % du PIB). La Hongrie a également prévu de pouvoir procéder à de telles opérations, sans indication de montant à ce stade.

En conclusion, je dirai que les mesures nationales de soutien à l'économie, permises par les assouplissements apportés au niveau européen que j'ai mentionnés, ne sont pas véritablement coordonnées au niveau européen. Pour éviter une Europe à deux vitesses, il me semble urgent que les États s'entendent sur les modalités d'un plan de relance à l'échelle européenne et aboutissent à un accord sur le renforcement du budget européen et sur une forme de mutualisation de la dette, dont l'intérêt pourrait être payé par de nouvelles ressources propres. Surtout, la solidarité intra-européenne, que la France entend promouvoir, doit être soutenue si l'on veut éviter que les économies les plus fragiles et les plus atteintes par la pandémie ne soient durablement fragilisées, et que le niveau d'endettement de certains États membres n'atteigne des niveaux insoutenables.

Je vous remercie et reste à votre disposition pour les questions que vous auriez.

- Présidence de M. André Reichardt, vice-président - 

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