Intervention de Marlène Schiappa

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 13 mai 2020 : 1ère réunion
Audition en commun avec la délégation sénatoriale aux outre-mer de Mme Marlène Schiappa secrétaire d'état auprès du premier ministre chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations sur la lutte contre les violences intrafamiliales

Marlène Schiappa, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations :

Mesdames, Messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre engagement. Vous êtes nombreux à avoir procédé à des remontées régulières de terrain, qui nous ont permis d'ajuster nos dispositifs pendant la crise. Je répondrai donc bien volontiers à vos questions, même si nous n'avons qu'une heure devant nous : je devrai vous quitter à dix-sept heures trente.

Depuis le début du confinement, de nombreux faits déclarés de violences conjugales ont été relevés en métropole comme en outre-mer. Nous savons que le confinement est un terrain propice aux violences conjugales. Dès le début de la crise sanitaire, nous avons décidé de mettre en place des mesures d'urgence pour soutenir les femmes confinées avec un conjoint violent. Nous avons adapté le 3919, désormais ouvert du lundi au dimanche. Cela n'a pas été chose aisée techniquement. Nous avons dû livrer un à un les téléphones au domicile des écoutantes, qui ont poursuivi leur engagement en gardant leurs enfants et en étant confinées chez elles. Nous avons renforcé l'information sur la plateforme Arrêtons les violences, ouverte 24/24, 7/7, qui a reçu cinq fois plus de signalements qu'habituellement. Nous avons également immédiatement lancé une enquête sur les centres d'hébergement pour nous assurer qu'ils pouvaient accueillir des femmes en respectant, bien évidemment, les mesures barrières et en leur fournissant les matériels nécessaires à cela.

À partir du 30 mars, nous avons engagé une deuxième phase de ce plan, avec de nouvelles mesures et de nouvelles initiatives : financement de 20 000 nuitées d'hébergement pour les femmes, en centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) ou en hôtel, mais aussi financement de nuitées pour les auteurs de violences conjugales. Cela nous a permis de faire de l'éviction du conjoint violent une réalité, alors qu'elle reste malheureusement trop souvent un souhait car trop fréquemment on ne sait pas où envoyer l'auteur des violences quand il faut mettre fin à une cohabitation dangereuse.

Nous avons, par ailleurs, créé un soutien d'un million d'euros aux associations locales de terrain, qui ont mené un travail remarquable pour accompagner les femmes et les protéger. Il s'agit d'une spécificité française. J'ai beaucoup échangé avec mes homologues d'autres pays : tous n'ont pas la chance d'avoir un tissu associatif aussi dense que le nôtre, engagé et qui se mobilise en reposant beaucoup sur le bénévolat. Cette dotation n'est à ce jour pas entièrement utilisée. N'hésitez donc pas à nous indiquer des associations ayant besoin de subventions supplémentaires en lien avec le confinement et le déconfinement, car il nous reste des sommes à engager.

Nous avons également mis en oeuvre durant ce confinement des partenariats, notamment avec les centres commerciaux et les hypermarchés. C'est une mesure innovante. Nous avons saisi l'opportunité de partenariats avec le groupe Unibail-Rodamco-Westfield (URW) qui nous a aidés en termes de mise à disposition de locaux. Nous avons, avec les services de l'État, département par département, mis en lien les associations avec ces partenaires : centres commerciaux et hypermarchés, Auchan, Ceetrus, Carrefour, Leclerc, etc., qui se sont engagés en métropole et en outre-mer. Quatre-vingt-dix points d'accueil ont ainsi pu ouvrir dans les centres commerciaux et les hypermarchés, qui ont pris en charge et orienté 400 personnes : des femmes et des enfants, mais aussi quelques hommes, qui sont venus trouver de l'information ou un accompagnement et, parfois, qui ont pu être mis en lien avec un hébergement d'urgence.

En ce qui concerne la grande distribution, nous avons mis en place un partenariat avec Monoprix, Franprix, Naturalia et Sarenza, qui ont diffusé des messages sur les tickets de caisse et sur les factures, rappelant les démarches à suivre en cas de violence et les numéros à contacter. Toute personne qui y a fait un achat pendant le confinement a pu voir les messages adressées aux femmes victimes de violences sur son ticket de caisse (3919, plateforme en ligne, etc.).

Nous avons également ouvert une ligne téléphonique gérée par la Fédération nationale des associations et des centres de prise en charge d'auteurs de violences conjugales et familiales (FNACAV), le 08 019 019 11. Vous connaissez cet acteur, puisqu'il s'est engagé dans le Grenelle de lutte contre les violences conjugales. Bien que ne bénéficiant pas de la même notoriété que le 3919, cette ligne, disponible tous les jours de 9 heures à 19 heures, a reçu plus de deux cents appels.

Il s'agit d'aider et de proposer des solutions, non aux pervers - des hommes, mais parfois aussi des femmes - qui prennent plaisir à frapper et à faire peur à leur conjoint, mais aux personnes qui ne savent pas gérer leurs accès de colère et qui ne veulent pas devenir violentes. Ces personnes sont aptes à se prendre en mains afin d'éviter de passer à l'acte. On a pu leur proposer un hébergement à l'extérieur, un accompagnement psychologique, pour faire en sorte qu'ils ne passent pas à l'acte, qu'ils ne frappent pas. C'est une nouvelle manière d'envisager les choses. Cette ligne est financée par plusieurs ministères, notamment par le Fonds interministériel de prévention de la délinquance. Sa création n'a donc pas retiré un euro aux associations engagées dans la défense des droits des femmes, je tiens à le dire.

Un dispositif d'alerte en pharmacie a également été instauré, grâce à un partenariat entre le ministère de l'intérieur et l'Ordre national des pharmaciens, en lien avec le secrétariat d'État chargé de l'égalité entre les femmes et les hommes. L'idée est qu'une femme victime de violences ou un témoin se rende dans une pharmacie pour alerter et le pharmacien compose le 17. Ce dispositif a été créé il y a quelques semaines à peine. Il faut encore le faire connaître, mais il a d'ores et déjà donné lieu à des signalements, à des gardes à vue ou à des propositions de relogement. Nous avons aussi doté les pharmaciens des outils pédagogiques du Grenelle des violences conjugales, pour que ceux d'entre eux qui souhaitent aller plus loin puissent le faire et diffuser autour d'eux l'ensemble des numéros utiles aux femmes victimes de violences. Ces derniers ont par ailleurs été de nouveau rappelés dans les lieux publics, les préfectures, les commissariats et dans certains magasins, comme ceux de l'enseigne Nicolas.

Nous avons enfin, à la demande de plusieurs associations et de plusieurs élus, ouvert le numéro de SMS 114, conçu pour les personnes sourdes et malentendantes, aux femmes victimes de violences conjugales qui ne sont pas en mesure de téléphoner. Ce numéro existait déjà. À la demande de plusieurs associations et d'élus, nous avons proposé son extension aux femmes victimes de violences qui ne sont pas en capacité de téléphoner. Pendant un mois et demi, environ 2 000 alertes ont été reçues par SMS. Dans beaucoup de cas, ces messages émanaient de témoins, ce qui est positif : cela témoigne d'une prise de conscience collective à cet égard.

Pour répondre à la question souvent posée de savoir s'il y a eu durant le confinement une réelle augmentation des violences conjugales, je note qu'en termes de féminicides les chiffres transmis seraient moins importants qu'habituellement : il y aurait eu trois à quatre féminicides en l'espace de deux mois. Je dis cela au conditionnel, avec beaucoup de prudence, car nous ne savons bien évidemment rien des situations que nous risquons de découvrir avec le déconfinement. Ces statistiques sont moins élevées que ce que l'on constate habituellement, même si c'est beaucoup trop ! Ces chiffres sont toutefois à prendre avec beaucoup de précaution, je le répète.

J'ai d'ailleurs confié une mission de quantification de la prévalence des violences conjugales à Élisabeth Moiron-Braud, secrétaire générale de la MIPROF, que vous connaissez. Elle rassemblera ces indicateurs dans la durée et présentera au mois de juillet l'ensemble de ces données. Ces tableaux statistiques nous livreront une analyse plus fine de cette période.

L'ensemble de ces dispositifs est applicable à la fois en métropole et aux outre-mer. Les territoires ultramarins sont une préoccupation constante. Ils sont en relation étroite avec ma collègue Annick Girardin, ministre des outre-mer. Nous y avions consacré un groupe de travail à part entière lors du Grenelle des violences conjugales, car les territoires ultramarins font face à des difficultés structurelles. Je parle sous le contrôle des sénateurs et sénatrices qui connaissent particulièrement ces territoires. Les données chiffrées sur les violences conjugales dont nous disposons justifient une prise en compte spécifique. On trouve, par exemple, deux territoires ultramarins parmi les douze départements où ont eu lieu plus de quatre féminicides en 2018 : La Réunion et la Polynésie française. La Guyane et la Martinique comptent pour leur part deux cas chacun. Ces territoires font partie de ceux qui présentent les taux de mort violente au sein du couple les plus élevés - 0,24 pour la Guadeloupe et 1,42 pour la Polynésie française. Onze permanences associatives ont été mises en place dans les hypermarchés en outre-mer. C'était très important pour nous. Nous veillons donc à faire en sorte que ces territoires soient pleinement intégrés aux politiques publiques, tout en étant attentifs à leurs spécificités.

Je voudrais préciser à Mme Annick Billon que le Comité national contre les violences intrafamiliales est une initiative du Conseil national de l'ordre des médecins, qui a décidé de créer un comité pluridisciplinaire de lutte contre les violences conjugales, comme il en existe d'ailleurs dans plusieurs secteurs - justice, forces de l'ordre. Il s'agit d'une initiative très positive, que nous soutenons et qui a vocation à se coordonner avec l'ensemble des dispositifs mis en oeuvre. Tous les engagements du Grenelle perdurent en effet pendant le confinement.

Pour finir, j'insiste sur un point : il nous reste des fonds destinés au soutien des associations. Si vous en connaissez certaines qui ont besoin de moyens supplémentaires, n'hésitez pas à nous les faire connaître, pour que des associations de terrain aient accès à ces subventions.

Comme nous avons peu de temps, je répondrai évidemment à toutes les questions que vous m'adresserez par écrit, mais je suis également disponible, avec mon cabinet, pour répondre par téléphone aux parlementaires qui souhaiteraient me poser des questions.

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