Ces droits sont encore plus limités s'agissant des micro-entrepreneurs qui ne cotisent pour leur retraite que dans la mesure où ils réalisent un chiffre d'affaires, alors que les entrepreneurs individuels classiques sont soumis à une cotisation minimale leur permettant de valider au moins trois trimestres par an.
En revanche, certaines protections ne sont pas assurées aux travailleurs indépendants. Ainsi, les indépendants ne sont couverts contre les accidents du travail que s'ils souscrivent une assurance volontaire. Ils ne sont pas couverts par l'assurance chômage, et la promesse du Président de la République de mettre en oeuvre une assurance universelle s'est, au contact de la réalité, transformée en une mesure nettement moins ambitieuse. Elle est en effet soumise à des conditions restrictives qui en excluent de fait la grande majorité des travailleurs de plateformes.
Cette couverture sociale incomplète peut s'avérer problématique dans le cas de travailleurs précaires avec de faibles revenus qui ne peuvent pas s'auto-assurer et ont, du reste, une préférence pour le présent qui ne les incite pas à le faire. De plus, pour ces « petits indépendants », des questions d'équité se posent quant au rapport entre le niveau des prélèvements et les droits qui leur sont ouverts.
Il n'en reste pas moins que ce déficit de protection sociale, s'il constitue le coeur de notre sujet, doit être relativisé.
Le débat sur le droit social applicable aux travailleurs des plateformes s'est trop souvent focalisé sur la question de la requalification en travail salarié de prestations accomplies par des travailleurs indépendants. Il nous semble qu'il convient de dépasser cette question.
La distinction entre travail indépendant et salariat n'est pas clairement posée dans la loi. Elle est opérée par le juge, au cas par cas, en fonction d'un faisceau d'indices permettant ou non de constater l'existence d'un lien de subordination. Notons que le choix des parties de conclure un contrat commercial ne fait en rien obstacle à la capacité du juge de requalifier ce contrat en contrat de travail. Par ailleurs, selon une jurisprudence constante, le juge n'a jamais accepté de retenir la notion de dépendance économique, au demeurant difficile à définir, pour caractériser l'existence d'un contrat de travail.
La jurisprudence en la matière n'est pas nouvelle et les récentes décisions de la Cour de cassation s'inscrivent dans une continuité certaine. La Cour a ainsi récemment donné raison à un chauffeur Uber, considérant notamment que le pouvoir de sanction de la plateforme était constitutif d'une relation de subordination. Dans d'autres cas, pour lesquels les mêmes éléments n'étaient pas réunis, les décisions des juges ont été différentes.
Il nous semble qu'il n'est pas pertinent que le législateur intervienne, ni pour créer une présomption irréfragable de non-salariat qui conduirait à valider des stratégies de contournement, ni pour inclure l'ensemble des travailleurs de plateformes dans le champ du salariat.
Il serait en effet curieux et quelque peu artificiel de considérer que, dès lors qu'un travailleur a recours aux services d'une plateforme, il en devient le salarié quand bien même il conserverait une indépendance réelle en matière de choix de ses horaires et ne serait soumis à aucun pouvoir de direction. Par ailleurs, il semble que le salariat n'est pas une revendication majoritaire parmi les travailleurs des plateformes. En effet, il n'est pas apparu au cours de nos auditions que les intéressés seraient prêts à travailler sous la direction d'un employeur qui leur dirait quand et comment ils doivent exercer leur activité.
Les propositions tendant à créer un troisième statut nous semblent également devoir être écartées. En effet, une telle solution conduirait à substituer à une frontière aujourd'hui brouillée deux frontières qui ne seraient pas nécessairement plus nettes. Surtout, les exemples étrangers montrent que la création d'un troisième statut peut exercer une force d'attraction sur les salariés précaires, qui seraient alors moins protégés.
Nous écartons également la proposition tendant à créer un statut de salarié autonome, sur laquelle notre commission aura prochainement à se prononcer. Un tel statut, permettant au travailleur de choisir unilatéralement ses heures de travail indépendamment des besoins de l'entreprise, est certes séduisant et pourrait d'ailleurs intéresser nombre de nos concitoyens, mais convenons que la gestion de tels salariés « à éclipses » serait pour le moins complexe.
Si les travailleurs indépendants ne demandent pas massivement à être requalifiés en tant que salariés, ils demandent néanmoins davantage de protection et il nous semble que cette demande est légitime.
Un certain nombre de règles issues du droit du travail et de garanties de sécurité sociale ont progressivement été étendues au-delà des seuls salariés. Nous recommandons de pousser plus loin cette logique.
La loi El Khomri a créé, au sein de la septième partie du code du travail, un chapitre dédié aux travailleurs des plateformes, et la loi d'orientation des mobilités (LOM) a contribué à lui donner de la substance. Nous proposons de compléter ces dispositions en transposant notamment les règles applicables aux salariés en matière de non-discrimination à l'embauche et de droit aux congés. Une obligation de motivation pourrait également être imposée pour lutter contre les ruptures abusives de relations commerciales.
Il nous semble en revanche difficile d'introduire une rémunération minimale. Les rémunérations horaires constatées sont en effet généralement déjà supérieures au SMIC et les pouvoirs publics n'ont pas forcément la capacité ni la légitimité pour fixer, secteur par secteur, des prix minima.
Par ailleurs, il nous semble que la logique d'universalisation de la sécurité sociale peut être prolongée. Les employeurs sont aujourd'hui tenus de proposer une complémentaire santé à leurs salariés qui n'en sont pas dotés par ailleurs. Cette obligation pourrait être étendue aux plateformes de mise en relation.
De plus, les travailleurs de plateformes ont la possibilité de s'assurer contre les accidents du travail ou de s'affilier à la sécurité sociale pour la couverture du risque accident du travail. Les cotisations sont alors prises en charge par la plateforme. Cette faculté pourrait être rendue obligatoire.
S'agissant de l'autre grand risque qui n'est pas couvert pour les indépendants, le risque de chômage, il nous semble difficile d'étendre la logique assurantielle actuelle, qui repose sur des contributions et sur la notion de perte involontaire d'emploi. Pour autant, la réforme des minima sociaux pourrait déboucher sur la création d'un véritable filet de sécurité universel, dont bénéficieraient les travailleurs indépendants perdant leur emploi.