Nous recommandons en outre d'examiner les règles de la micro-entreprise.
Ce régime a été créé en 2008 afin de faciliter les créations d'activités indépendantes par des personnes sans emploi ou souhaitant développer une activité accessoire. Il est aujourd'hui largement utilisé par les travailleurs des plateformes en raison de sa simplicité et du taux de cotisations sociales relativement faible qu'il suppose. Dans ce cadre, le régime de la micro-entreprise peut conduire à solvabiliser artificiellement des activités peu créatrices de valeur. Cet effet peut être renforcé par les réductions de cotisations au titre de l'aide aux créateurs d'entreprise (ACRE), ce qui a d'ailleurs conduit le Gouvernement à resserrer les conditions d'éligibilité à cette aide à compter de 2020.
Il conviendrait sans doute de s'interroger sur ce régime et, par exemple, de prévoir une convergence progressive avec le régime de l'entrepreneur individuel classique. Cette convergence pourrait n'être prévue que pour les micro-entrepreneurs réalisant un chiffre d'affaires supérieur à un certain seuil, afin de ne pas remettre en cause les activités accessoires.
Là encore, les actions des pouvoirs publics devront être mesurées avec précaution de manière à concilier les objectifs d'emploi et de protection sociale.
Enfin, des alternatives à ce régime pourraient être encouragées, tel le statut d'entrepreneur salarié de coopérative qui permet d'allier les protections du salariat à la liberté du travail indépendant. Cette solution est peu utilisée aujourd'hui en raison de son coût pour les travailleurs. En tout état de cause, elle ne saurait être imposée, car l'adhésion à une coopérative suppose un engagement volontaire.
En matière de régulation des plateformes, nous sommes très réservés à l'égard des chartes de responsabilité sociale, facultatives et établies unilatéralement par les plateformes, qui ont été introduites par la LOM. La charte, lorsqu'elle existe, doit être homologuée par l'administration qui vérifiera sa conformité à la loi. C'est sans doute « mieux que rien », mais, en termes de protection des travailleurs, ce n'est presque rien.
Cet outil a d'abord été promu par les plateformes de mobilité à des fins de sécurisation juridique. En censurant une partie du dispositif, le Conseil constitutionnel a presque totalement désamorcé cette fonction de la charte.
Parmi les voies possibles de régulation, nous avons étudié la possibilité de soumettre certaines plateformes à un dispositif d'autorisation préalable. Une telle restriction à la liberté d'entreprendre est possible, si elle est justifiée par l'intérêt général et à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteinte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi.
Dans le secteur des VTC, il existe des exemples internationaux, tels que la licence délivrée à Londres aux véhicules, aux chauffeurs et aux plateformes par l'agence Transport for London.
Une telle proposition présente des inconvénients : une certaine lourdeur administrative, et un risque de favoriser les acteurs les plus importants en dressant des barrières à l'entrée.
Elle pourrait toutefois s'avérer pertinente pour des raisons de sécurité des usagers ou de régulation de l'offre, dans des secteurs comme celui des transports urbains, éventuellement dans le cadre des compétences des autorités organisatrices de mobilité. Dans les cas où il s'imposerait, un tel agrément pourrait inclure des critères sociaux : par exemple, des garanties en matière de prévention et de couverture des accidents du travail, à défaut d'assurance obligatoire, ou en matière de tarification, de manière à assurer un revenu décent aux travailleurs.
Par ailleurs, pour répondre au besoin de sécurisation des plateformes ayant des pratiques vertueuses, le rescrit est un outil souple qui permet à une entreprise de demander à l'administration de se prononcer ex ante sur la qualification de sa situation. À l'image du « rescrit Pôle emploi » créé par la loi pour un État au service d'une société de confiance, un rescrit spécifique pourrait être spécialement adressé aux plateformes pour leur permettre de s'assurer du caractère non salarié de la relation avec leurs partenaires.
Quant aux travailleurs, ils ont la possibilité de mandater la plateforme afin qu'elle réalise pour leur compte leurs démarches déclaratives ainsi que le paiement de leurs cotisations et contributions sociales. Nous proposons de rendre obligatoire ce mandatement afin de simplifier et de fiabiliser les démarches des travailleurs concernés.
Nous croyons que le dialogue social et la construction d'une représentativité des travailleurs de plateformes sont une voie de régulation féconde.
Plusieurs obstacles se dressent face au développement d'un dialogue social structuré entre travailleurs et plateformes. Premièrement, le droit de l'Union européenne considère a priori toute entente entre travailleurs indépendants comme une entrave à la libre concurrence. Des instruments internationaux peuvent néanmoins nous permettre de dépasser l'opposition entre droit de la concurrence et droit du travail.
Deuxièmement, l'atomicité et l'isolement des travailleurs ne favorisent pas leur inscription dans une démarche de défense d'intérêt collectif. De manière générale, il est difficile de construire une solidarité entre les travailleurs indépendants. Les jeunes travailleurs des plateformes sont aujourd'hui particulièrement éloignés du syndicalisme, et les organisations qui ont réussi à se faire entendre, comme le Collectif des livreurs autonomes de Paris (CLAP), ont une audience difficile à mesurer parmi les livreurs.
Troisièmement, la volonté d'autonomie des plateformes les rend rétives à l'organisation d'un dialogue social dont elles ne fixeraient pas les règles, comme dans le cadre de la charte.
L'enjeu est donc de parvenir à bâtir un cadre de représentation sans le calquer sur celui du salariat. Il est souhaitable que cette représentation soit mise en place dans le cadre d'instances ad hoc au niveau du secteur professionnel et non au niveau d'une plateforme. En outre, elle devrait être territorialisée, comme dans le cas des TPE, et mise en place à une échelle pertinente déterminée en fonction du secteur.
Dans ce cadre, pourraient être représentés les plateformes, les travailleurs indépendants, mais aussi, le cas échéant, les entreprises utilisatrices de leurs services.
Nous pensons que les représentants des travailleurs devraient être élus, avec des critères d'éligibilité qui tiennent compte de la brièveté de la durée moyenne de leur collaboration avec les plateformes.
Des thèmes de négociation obligatoire pourraient être définis en vue de la conclusion d'accords collectifs au sein de ces instances. Dans cette optique, les huit items fixés dans le code du travail pour les chartes de responsabilité sociale pourraient devenir des thèmes de négociation.
Toutefois, la difficulté majeure de la conception de tels accords porte sur leur applicabilité à des travailleurs indépendants. Pour surmonter ceci, nous recommandons de prévoir un mécanisme d'extension des accords à l'ensemble des travailleurs d'un secteur, sur le modèle du mécanisme applicable aux entreprises pour les accords de branche. Les accords pourraient s'appliquer aux plateformes suivant les mêmes modalités.