Il y a une différence entre illettrisme et illectronisme : dans l'inconscient collectif, l'illettrisme est considéré comme un « handicap » stigmatisant, ce qui n'est pas le cas de l'illectronisme ; du moins, pas dans la même mesure. La non-maîtrise des nouveaux instruments numériques n'est pas tout à fait analogue à l'incapacité de reconnaître un message écrit ; je vous invite donc à vous méfier des parallèles entre les deux situations.
Sur les forces et les faiblesses de la lutte récente contre l'illettrisme, je vous renvoie à la lecture du rapport que nous avons remis à la ministre Pénicaud en octobre dernier. Pour faire simple, il a manqué, depuis quelques années, un cadre permettant de rassembler les multiples initiatives. Au total, il se fait beaucoup de choses ; mais nous n'avions pas les moyens de les fédérer.
La force principale de l'ANLCI a été dans l'identification du problème, surtout depuis 2013, année où l'illettrisme a été érigé en grande cause nationale, instant fédérateur de toutes les stratégies. Rassembler tous les acteurs légitimes à traiter de ces questions, les coaliser afin qu'ils oeuvrent ensemble au lieu de développer chacun pour soi des stratégies divergentes : tel a été le rôle de l'agence.
Au nombre des faiblesses, je citerai deux éléments de perturbation. Premièrement, l'exercice de coalition n'a été réalisé qu'entre les ministères et, encore, avec des tensions. En 2016-2017, la polarisation du débat politique par les attentats terroristes a conduit à agglomérer les problématiques de lutte contre l'illettrisme avec celles relevant de l'enseignement du français langue étrangère et de la culture de la langue. Or les populations concernées et les politiques à mener ne sauraient être, de part et d'autre, de même nature : il n'est pas question de déployer la même pédagogie pour un travailleur étranger immigré fortement investi dans l'apprentissage du français et pour un travailleur français illettré en rupture de ban dans son rapport aux apprentissages.
Deuxième élément de perturbation : les changements de réglementation induits par les lois de décentralisation de la formation professionnelle, qui ont renvoyé la lutte contre l'illettrisme aux régions. Les passerelles entre ministères et régions n'ont pas été construites, au point que, par exemple, ces dernières ne sont toujours pas membres du GIP ANLCI - mais la nouvelle convention constitutive nous invite à les y faire adhérer.
Troisième champ de perturbation : les différentes réformes de la formation professionnelle ont produit une situation où l'on ne sait plus qui finance quoi. Construire un parcours de financement devient une gageure dans un système trop éclaté. L'enjeu est, en réunissant tout le monde autour d'une même table, de créer une véritable coalition. Ainsi pourrons-nous faire ensemble ce qui doit être fait ensemble, tout en laissant à chacun la latitude de mener des actions de proximité qui, en tant que telles, ne relèvent pas du ressort d'une agence nationale.