Intervention de Cédric Villani

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 30 avril 2020 : 1ère réunion
Examen d'un projet de note sur la modélisation épidémiologique au service de la lutte contre l'épidémie de covid-19

Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office :

a rappelé les forts enjeux économiques de la mise au point d'un vaccin, sur laquelle de nombreuses entreprises sont très actives, notamment en Israël, au Royaume-Uni ou aux États-Unis. Ces entreprises ont tendance à annoncer des résultats à un stade précoce de développement et les considérations financières ou boursières ne sont certainement pas étrangères à cette stratégie de communication. Il faut donc rester prudent. Pour l'instant, les scientifiques estiment toujours qu'il faudra un délai d'un an, voire 18 mois, pour développer un vaccin. Il n'y a pas de raison de penser que ce sera plus rapide.

De plus, de vraies incertitudes subsistent sur le pouvoir protecteur des anticorps comme sur la quantité qui devrait être produite par l'organisme pour développer une protection effective. Il se pourrait même que certains anticorps facilitent l'infection. Si Jérôme Salomon, directeur général de la santé, a tenu des propos rassurants à ce sujet, d'autres voix s'élèvent pour dire que l'immunité n'est pas forcément assurée.

S'agissant des mesures prises par les différents pays et du « bon sens » dont elles témoignent - ou non -, je vous recommande l'excellente série d'articles publiée depuis la mi-mars par Tomas Pueyo, notamment celui intitulé « The Hammer and the Dance », qui a été traduite dans de nombreuses langues. Ce travail, qui s'appuie sur des comparaisons internationales grâce à la contribution de nombreux bénévoles, distingue deux stratégies. Le « marteau » (hammer) correspond au confinement : il s'agit de faire baisser le coefficient de reproduction du virus aussi bas que possible et aussi vite que possible. La « danse » (dance) correspond à l'ensemble des mesures qui visent à maintenir ce coefficient inférieur à 1 mais à un niveau proche, autour de 0,9, afin d'éviter la survenue d'une nouvelle vague. Ces mesures, mises en place par tâtonnement et allers-retours, de façon quelque peu empirique, comprennent toute une panoplie d'outils, allant des dispositifs de protection bon marché (masques) à des mesures plus sophistiquées telles que le traçage, les tests, etc.

S'agissant du modèle proie-prédateur, l'analogie est claire avec le modèle SIR, à ceci près qu'il n'existe pas de processus de reproduction dans les compartiments concernés. C'est pourquoi le modèle SIR fait apparaître une seule grande vague, avant que l'épidémie ne s'arrête, là où le modèle proie-prédateur met en évidence des fluctuations dans les effectifs des populations. On peut cependant imaginer que l'épidémie actuelle pourra comporter plusieurs vagues, si la première n'est pas assez forte, si le virus mute, ou encore si les mesures de déconfinement et reconfinement se succèdent. Mais ces petites vagues ne seront en fait que l'épuisement progressif d'une même grande vague initiale. Au demeurant, nous n'avons pas à ce jour de raison de penser que le virus mute plus fréquemment que les autres virus. Il mute, mais à un rythme « normal » et sans indice que cela aboutisse à contrecarrer l'acquisition d'une immuniteì. Quelques cas de recontamination ont été signalés, mais il est beaucoup trop tôt pour savoir si cela est statistiquement significatif.

Le séquençage du génome des différentes souches virales peut effectivement donner des informations utiles en matière épidémiologique, mais aussi permettre de déterminer la circulation géographique du virus. Les dernières études suggèrent que, dans la majorité des cas, le virus en circulation aux États-Unis viendrait plutôt d'Europe que directement de Chine. De même, en France, la contamination ne viendrait ni directement de Chine, ni directement d'Italie.

Le coût psychologique du confinement, illustré notamment par la hausse des cas de suicides par défenestration, apparaît aujourd'hui plus clairement et le tableau clinique de ces troubles secondaires est inquiétant. Cela conduit d'ailleurs certains praticiens à modifier leur appréciation des mesures à mettre en oeuvre. Chacun peut voir d'ailleurs s'installer dans son entourage une certaine déprime lorsqu'on réalise que le 11 mai ne sera pas la libération tant attendue et que l'on devra peut-être porter des masques et utiliser du gel hydroalcoolique pendant des années... Le blues s'installe aussi au sein du personnel des EHPAD.

L'écart statistique relevé entre le Val-de-Marne et la Seine-Saint-Denis est en effet surprenant. Les informations ne remontent et ne sont centralisées que trop lentement, ce qui est regrettable. Il est vrai que les multiples transferts de patients d'un hôpital à l'autre, d'un département à l'autre, voire d'un pays à l'autre, n'ont pas simplifié les choses.

S'agissant de la réaction semble-t-il bien plus forte pour l'épidémie de Covid-19 que pour la grippe asiatique de 1956-1958 et la grippe de Hong-Kong de 1968, il semble que, lorsque l'épidémie a éclaté en Chine, cela n'a pas inquiété les responsables politiques, y compris parlementaires, qui n'ont pas su se faire à l'idée que le virus allait être ravageur alors même qu'un confinement général était mis en place dans la province du Hubei et que les autorités construisaient à Wuhan un hôpital en moins d'une semaine. Cet échec est une responsabilité collective.

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