Je salue Laurent Bili, notre nouvel ambassadeur à Pékin, que je suis heureux de retrouver dans de bonnes conditions de transmission. Je suis également heureux de vous retrouver, chers collègues, pour cette nouvelle réunion de la commission des affaires étrangères.
Nous auditionnons aujourd'hui Laurent Bili, notre nouvel ambassadeur de France à Pékin, à propos des conséquences de la crise sanitaire en Chine, sur le plan intérieur et sur le plan géopolitique puisque notre commission a compétence à la fois pour les affaires étrangères et la défense.
Monsieur l'Ambassadeur, vous avez été ambassadeur de France à Bangkok, Ankara et Brasilia. Vous avez été directeur général de la Mondialisation et président du Conseil d'administration de l'AEFE, organisme auquel notre commission accorde une attention toute particulière et dont le nouveau directeur sera auditionné prochainement. Nous sommes très heureux de vous entendre ce matin et vous remercions de vous être rendu disponible pour cette audition.
Je tiens à vous remercier, vous et votre équipe, Monsieur l'Ambassadeur, au nom de la commission des affaires étrangères, pour la formidable mobilisation qui a été la vôtre lorsqu'il s'est agi de favoriser le rapatriement de nos concitoyens qui souhaitaient rejoindre la France après les évènements de Wuhan.
Cette pandémie accentue la volonté de réaffirmation de la puissance chinoise qui s'enorgueillit d'avoir « bien géré la crise ». Nous sommes, à Paris, sous l'influence d'un ambassadeur de Chine qui utilise tous les moyens de communication pour faire passer ce message. Cette analyse, c'est le moins que l'on puisse dire, ne fait pas l'unanimité. La Chine est accusée d'avoir tenté d'étouffer la crise et d'avoir laissé se propager le virus en influant sur l'OMS (Organisation Mondiale de la Santé) et sur l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) pour que la pandémie ne soit pas déclarée et que le trafic aérien avec la Chine ne soit pas interrompu. Depuis mars, Pékin s'est en quelque sorte lancée dans une diplomatie du masque tellement agressive qu'elle est parfois requalifiée de guerre du masque.
Le coronavirus est un accélérateur politique, aussi bien au plan intérieur qu'au plan géopolitique. La Chine n'échappe pas à cette double constatation. Elle paraît aujourd'hui propulsée sur le devant de la scène internationale, par choix et du fait du repli des autres acteurs. Elle est aussi confrontée en interne aux secousses dues à la pandémie.
Les tensions avec les États-Unis sont paroxystiques. Les formules assassines et les fake news sont utilisées à profusion dans un affrontement qui, on le voit bien, vise d'abord à convaincre un auditoire interne. Quelles sont les conséquences de cette politique ? L'accord commercial péniblement négocié en début d'année sera-t-il respecté ? La Chine achètera-t-elle les produits américains à hauteur de ce qui est prévu par cet accord ?
En Chine, les conditions économiques sont inédites, avec une contraction de son économie, pour la première fois depuis l'introduction des statistiques économiques en Chine en 1992. La relance chinoise avait été essentielle dans la reprise économique mondiale après la crise des subprimes en 2008. Vous nous direz si elle pourra contribuer à la sortie de la crise après le confinement et quelles seront les conditions que va, en quelque sorte, poser la Chine pour s'engager dans cette voie.
La volonté de proclamer la supériorité de la « gestion à la chinoise » de la crise par rapport aux démocraties occidentales met au jour une bataille des narratifs. Cela laisse craindre que la Chine ne tente de tirer profit de sa position dominante dans la production des principes actifs nécessaires à la fabrication de médicaments. Comme vous le savez, nous sommes très marqués en France par le fait que 90 % du paracétamol mondial est produit en Chine. Nous avons vu également ce qu'il en était pour la production de masques.
Vous nous direz, Monsieur l'Ambassadeur, si cette aide chinoise sera conditionnée par exemple à la non-adhésion de Taïwan à l'OMS, à la mise au pas de Hong Kong, à la généralisation d'un discours outrancier, dénigrant l'Occident par une diplomatie dite du loup combattant. Nous avons tous en tête la récente convocation de l'ambassadeur de Chine à Paris après des propos qui ont été considérés ici comme inacceptables. En d'autres termes, à quel point le pouvoir central chinois est-il ou non remis en cause par la crise du Covid ?
Des critiques fortes découlent de la gestion de la crise à Wuhan, et le risque d'effondrement économique inquiète le parti communiste chinois, dont on sait qu'il assoit sa légitimité sur l'émergence promise des classes moyennes chinoises. La convocation, les 21 et 22 mai prochains, de la double session parlementaire et la mise en examen du masque noir, Sun Lijun, en charge de la sécurité à Wuhan pendant l'épidémie, ne sont-elles pas les signes d'une reprise en main politique ? La fronde, si elle a jamais eu lieu, est-elle déjà maîtrisée ? Xi Jinping sortira-t-il renforcé ou affaibli de cet épisode et par conséquent cherchera-t-il à réaffirmer plus ou moins vigoureusement son leadership au plan international ? L'adhésion de la Chine au multilatéralisme ne remet-elle pas en cause le multilatéralisme issu de la Seconde Guerre mondiale, au moins autant que le désengagement américain ?
Vous le voyez, nos questions sont nombreuses. Cette audition est très attendue.
Je signale que nous avons entendu la semaine dernière Philippe Etienne, ambassadeur de France aux Etats-Unis. Nous équilibrons donc en quelque sorte notre promenade sur les continents afin de saisir au mieux, sur le plan international, les conséquences de cette crise. Monsieur l'Ambassadeur, je vous laisse la parole.