Merci Monsieur le président, et merci pour cette occasion qui m'est donnée. Je débuterai par un mot de précaution puisque nous sommes dans une bataille de narratifs qui évolue très rapidement. C'est d'ailleurs sur ce point que je voudrais débuter ma présentation, en soulignant que la communication autour de la gestion de la crise sanitaire, en Chine, a connu pas moins de 4 ou 5 temps différents, entre le moment où elle était absente des écrans radars, relativisée, locale, puis européenne et enjeux de débats sur les origines du virus.
Cette chronologie a naturellement des conséquences sur la façon dont la crise est ressentie sur le plan interne et au plan des relations internationales. Avant d'aborder ce chapitre, disons un mot des conséquences économiques de la crise. Celle-ci a créé un choc d'une rare brutalité : le PIB chinois est en recul de 6,8 % par rapport au 1er trimestre 2019 et de quasiment 10 % par rapport au trimestre précédent. C'est le résultat d'un arrêt quasi complet de la machine économique à partir du Nouvel An chinois. Celui-ci connaissait déjà une période d'activité relativement faible, ce qui a d'ailleurs pu aider à gérer la situation. Bien que le confinement ait pris fin le 10 février, la machine économique a été totalement désorganisée dans ses flux logistiques, dans sa production, jusqu'à la fin du mois de février.
La reprise est réelle, même si elle est diverse selon les provinces. On considère que la production industrielle a retrouvé quasiment 90 % de son niveau antérieur. Il existe néanmoins des perceptions très contrastées d'une province à une autre. La fréquentation du métro, à Shanghai, n'est en recul que de 10 % par rapport à une situation normale alors qu'elle est encore inférieure à la normale de 40 % à Pékin. Les communications intra-urbaines sont encore loin d'être revenues à une situation normale. Même si une reprise a été observée à l'occasion du weekend du 1er mai (qui constitue une parenthèse importante de cinq jours), le nombre de voyageurs est globalement en recul de 55 % en cette fin de 1er trimestre, par rapport à l'année dernière. La reprise est donc forte mais progressive et tend à s'accentuer en cette fin de période, après des difficultés importantes de remise en marche.
Un des points les plus problématiques est probablement celui de l'emploi, notamment celui des travailleurs migrants, c'est-à-dire des paysans ouvriers. 51 millions de personnes seraient sorties du marché du travail et n'auraient pas retrouvé d'emploi depuis le début de la crise.
Quant aux perspectives de rebond, dans l'attente des assemblées de la fin du mois de mai, une assez grande prudence semble de mise. Les paquets de relance représentent de l'ordre de 2 % du PIB. Le système bancaire est fortement endetté et n'a pas encore entièrement digéré les politiques de relance postérieures à la crise de 2008. Vous avez évoqué les menaces sur le commerce extérieur chinois et il est vrai que des réorientations pourraient se produire. De manière mécanique, la dépression qui s'annonce en Europe et aux Etats-Unis pèse sur les carnets de commandes, hors des produits de santé, dont la production s'envole en mars et avril. De grands partenaires ont annoncé des investissements et des mesures afin d'encourager la relocalisation de productions hors de Chine.
Parmi les transformations structurelles de l'économie, la Chine était déjà le pays du monde connaissant le taux le plus élevé en matière d'e-commerce. Cette position a été consolidée par la crise et de nouveaux domaines ont été conquis. L'e-commerce a joué un rôle essentiel dans la réussite du confinement, en particulier dans les zones où la population était confiée dans son groupement d'habitation.
Pour revenir aux conséquences politiques de la gestion de la crise, le premier constat est celui de la profondeur de la crise. Cette crise est sans commune mesure avec celle du SRAS en 2003. Pour autant, le régime n'a pas été ébranlé dans ses fondements. Force est également de constater que le parti communiste chinois a su, ensuite, mettre en place un dispositif d'attaque, contre l'épidémie, qui lui permet à juste titre de communiquer sur son triomphe face à celle-ci. Outre ce succès face à l'épidémie et dans la remise en marche de l'économie (qui tourne désormais à 90 %), les outils et logiques habituels ont été mobilisés, en particulier la fibre nationaliste et les comités de quartier pour le contrôle des populations.
Concernant l'adhésion des classes moyennes, le pacte social n'est pas remis en cause mais une question se fait jour quant à la capacité de rebond de l'économie chinoise dans la durée. Pour l'heure, la reprise de la machine est pour l'instant suffisante et cette catégorie de la population n'est pas celle qui a le plus souffert de la crise.
A très court terme, l'utilisation de l'étranger en tant que bouc-émissaire ou faire-valoir des succès intérieurs présente déjà un coût du point de vue de l'image de la Chine.
La crise met en évidence notre dépendance vis-à-vis de l'atelier du monde. C'est vrai pour certaines productions telles que le paracétamol. Des usines ont été mises en chômage technique en février en Corée ou en Europe parce qu'il leur manquait une pièce produite en Chine ou certaines molécules qui ne sont plus produites qu'en Chine. Parmi les grandes interrogations que fait surgir la crise figure celle du découplage entre les Etats-Unis et la Chine. Ces deux pays vont-ils réellement séparer leurs appareils de production ? Les autres partenaires de ces deux pays doivent-ils eux-mêmes construire des chaînes de production différentes ou les entreprises doivent-elles choisir de commercer avec l'un ou avec l'autre ? La question de la réorganisation des chaînes de valeur se pose également pour de nombreux pays, dont la France.
Vous avez évoqué le multilatéralisme dans sa version chinoise, par rapport au désengagement américain. Celui-ci donne un poids relatif beaucoup plus important à la Chine : il joue d'une certaine manière, contre les intérêts bien compris des Américains et place les Européens en première ligne. Ces questions demeurent assez ouvertes. Pour reprendre la formule du ministre, le monde de demain risque de ressembler à celui d'hier en pire. La France et l'Europe ont davantage à gagner dans leur rôle de puissances d'équilibre, défendant sans naïveté un ordre multilatéral basé sur les règles que dans un éventuel alignement sur les uns ou les autres. En ce qui concerne la Chine, l'enjeu, pour nous, consiste à maintenir le dialogue et à tenter d'amener le pays sur nos positions. C'est aussi conforter les positions de notre indépendance, tant la crise révèle peut-être une exposition excessive dans un certain nombre de domaines.