Intervention de Laurent Bili

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 6 mai 2020 : 1ère réunion
Gestion de la crise sanitaire en chine conséquences économiques et géopolitiques de la crise du covid-19 — Audition de M. Laurent Bili ambassadeur de france en chine en téléconférence

Laurent Bili, ambassadeur de France en Chine :

Je reviens sur la question relative à la diplomatie des masques et au manque de publicité qui a entouré nos dons. Ce faible écho est dû aux difficultés d'accès de la presse aux lieux de déchargement et la difficulté pour le consul général, à Wuhan, à les remettre en personne aux représentants de l'hôpital qui allait recevoir les dons. J'ai eu plusieurs interventions dans les médias, qui ont eu un certain écho, car il était possible de faire passer un message, à travers un message de solidarité au peuple chinois, sur le soutien que nous avons apporté.

En ce qui concerne notre dépendance à la Chine, il faut avoir conscience que pour nos entreprises, la Chine demeure un marché important, dont elles ont besoin. Ce n'est pas seulement un marché vers lequel on délocalise pour réexporter en France. C'est aussi un marché pour nos grandes entreprises. Elle est devenue une part du gâteau du commerce mondial si importante que la question de la présence sur le marché chinois se pose presque dans les mêmes termes que pour le marché américain. La plupart des grandes entreprises ne comprendraient même pas qu'on les interroge quant à un éventuel désengagement du marché chinois.

Le problème des TPE françaises en Chine constitue un vrai sujet. Nous recensons de façon aussi précise que possible les situations complexes qui existent, de même qu'en ce qui concerne les Français bloqués en Chine. Il n'y a pas de perspective à court terme de retour des familles en Chine. Nous espérons entrer rapidement, comme l'ont fait la Corée du Sud et Singapour, dans la discussion d'un accord qui permettrait au moins aux hommes d'affaires résidant en Chine de rentrer. Nous allons nous efforcer d'élargir cette discussion le plus possible en y intégrant les familles et d'autres dimensions que la dimension économique. La seule ouverture que nous voyons poindre, depuis quelques jours, a trait à la reprise des relations humaines, sur le plan économique, avec notamment une possibilité de retour pour les résidents.

En ce qui concerne Huawei, la position de la France s'avère assez constante. Huawei aura une part de marché qui résultera de ses capacités et du respect de notre indépendance stratégique.

Il existe une littérature relativement abondante et de bonne qualité sur les dossiers juridiques qui opposent la Chine aux Etats-Unis. La plupart de ces publications estiment que les chances de succès sont assez limitées et que les risques de mesures symétriques sont assez élevés. La question est prise au sérieux ici. Elle contribue à la détérioration des relations et à la forme de surenchère que nous voyons dans les attaques. Je n'imagine pas qu'une procédure qui commencerait à prospérer devant des juridictions américaines ne trouverait pas un pendant pour les intérêts américains en Chine.

S'agissant du soutien aux économies et de la forme d'anachronisme que représenteraient les entreprises chinoises de ce point de vue, force est de constater que les SOE, entreprises d'État chinoises, ont connu ces dernières années un regain de légitimité et sont plutôt soutenues. Leurs performances sont tout de même en général moins bonnes que celles du secteur privé « pur ». Il en résulte un questionnement quant à l'efficacité de leurs investissements à l'étranger, qui ont connu de nombreuses déconvenues. Nous serons probablement confrontés à des prises de participation par des entreprises prédatrices de Chine ou d'ailleurs. Je crois que cette question est d'ailleurs inscrite à l'agenda parlementaire en France.

Je crois peu à une pression accrue en Afrique. Ces dernières années, après une phase d'expansion, les budgets disponibles pour les acquisitions de ces grandes entreprises sur le marché africain et sur le marché international ont été revus à la baisse, après de mauvaises acquisitions qui ont été réalisées. Je pense que nous allons assister, au moins dans un premier temps, à une raréfaction des ressources disponibles. C'est un pronostic qui reste à vérifier.

Il existe du point de vue de la diplomatie chinoise une doctrine d'ensemble et une déclinaison nationale qui peut être plus ou moins forte. Nous avons été assez généreux, en termes d'ouverture, au regard de la politique d'influence chinoise. La Chine consacre des efforts importants à sa politique d'influence. Nous avons été soumis, de ce point de vue, à des contraintes budgétaires relativement fortes. En tant qu'ancien directeur général de la mondialisation (DGM) du ministère des affaires étrangères, je crois qu'au-delà de la question des moyens, nous devons aussi trouver de nouveaux modes d'expression de cette politique d'influence, dans un monde où la présence virtuelle offre des capacités de démultiplication plus importantes.

Je n'ai pas eu connaissance de cas de tracasseries policières. En revanche, nous avons eu vent, dans le contexte du Covid, de problèmes de voisinage, ce qui s'est traduit par la dénonciation de citoyens français dont on a dit qu'ils n'avaient pas fait leur quarantaine ou qu'ils ne respectaient pas certaines consignes. Ce sont des difficultés qui sont apparues plutôt au niveau des comités de quartier, sans que la police ne soit en première ligne dans la période récente.

En ce qui concerne la façon dont nous avons informé les autorités françaises, c'est assez simple. Nous avons fait notre travail : nous n'avons pas eu d'information privilégiée avant le 31 décembre. Le 31 décembre, notre consul général à Wuhan adressait son premier mail au centre de crise et informait Paris des données dont nous disposions. La première note diplomatique consolidée sur la base de ces informations éparses date du 10 janvier. La première communication claire et ferme d'un risque de contamination interhumaine ne date que du 20 janvier. Jusqu'à la décision de confinement de Wuhan, le sentiment dominant - car relayé par les autorités chinoises, et que l'on retrouve dans les propos de virologues français fin janvier et début février - consiste à estimer que cette maladie n'est qu'une grippe. C'est à partir du 20 janvier et singulièrement au cours de la nuit du 22 au 23 janvier, que les choses vont basculer.

S'agissant des îlots et de la communication qui a entouré les faits que vous avez rapportés, je rappellerai que nous avons une politique de présence systématique de la Marine nationale en mer de Chine. Notre position est connue. Est-ce une erreur de ne pas en faire plus ? Je ne suis pas convaincu qu'il y ait une matière si neuve dans les derniers évènements, qui constituent plutôt la déclinaison d'évènements passés.

Nous avons très rapidement signalé les difficultés que rencontrent les TPE françaises en Chine. Nous peinons, pour le moment, à trouver des solutions. Nous sommes dans une phase de recensement et d'état des lieux, près de trois mois après le début de la crise.

Le problème des îlots est lourd puisqu'il relève désormais des intérêts vitaux chinois. La détermination de la réponse collective à l'attitude de la Chine fait partie de la stratégie indo-pacifique, sur laquelle je suis d'ailleurs passé rapidement tout à l'heure. Nous ne souhaitons pas faire partie d'une machine de guerre qui s'enclencherait contre la Chine. Dans le même temps, il est important que l'ensemble des puissances, fussent-elles moyennes, témoignent une solidarité avec les États de la région afin d'éviter qu'une relation fortement déséquilibrée ne se cristallise. Nous sommes dans une phase très basse avec l'Australie. Le fait que celle-ci fut très en pointe pour demander une commission d'enquête provoque une réaction de rejet. Globalement, l'ASEAN connaît à peu près les mêmes difficultés que celles qui existent avec quelques États de l'Union européenne, du fait de leur grande perméabilité vis-à-vis de la Chine, dont ils deviennent dépendants. Il est difficile pour l'ASEAN de présenter un front parfaitement uni vis-à-vis de la Chine.

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