Intervention de Olivier Brochet

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 7 mai 2020 : 1ère réunion
Audition de M. Olivier Brochet directeur de l'agence pour l'enseignement français à l'étranger aefe en téléconférence

Olivier Brochet, directeur de l'AEFE :

Merci, Monsieur le Président, de m'avoir invité à intervenir devant votre commission pour faire un état de la situation. Je voudrais en profiter pour remercier le Sénat dans son ensemble et votre commission en particulier pour votre engagement aux côtés du réseau et de l'agence dans la situation particulièrement difficile que nous connaissons depuis quelques mois.

Au mois de décembre, j'étais effectivement intervenu devant votre commission pour présenter le plan de développement de l'enseignement français à l'étranger. A cette époque, le contrat d'objectifs et de moyens était en voie de finalisation avec notre ministère de tutelle. En 3 mois, tout notre environnement et toutes les perspectives de court et de moyen terme ont été bouleversés par l'apparition de la crise du Covid-19. Si la problématique est véritablement apparue en France au mois de mars, c'est dès la mi-janvier que nous avions commencé à fermer des établissements, en Chine et au Vietnam notamment. 520 établissements sur 522 ont fermé. Nous commençons à voir quelques réouvertures se profiler. Il n'en demeure pas moins que le réseau d'enseignement français doit vivre dans un environnement totalement bouleversé.

Cette crise du Covid-19 a deux impacts immédiats. Elle nous a d'abord placés face à un défi pédagogique considérable qui consistait à fournir aux familles le service qu'elles attendaient de nous. Il s'agissait de compenser la fermeture des établissements par une offre adaptée permettant de maintenir la continuité pédagogique. Le défi était considérable. Par ailleurs, certaines familles ont été directement touchées par les effets économiques de la crise du Covid-19, voyant leurs revenus s'effondrer. Ces familles se trouvent en difficulté pour payer les droits de scolarité. En effet, les établissements scolaires à l'étranger sont payants, et tous les établissements dépendent de la capacité des familles à payer les droits de scolarité. Nous avons répondu à cet impact immédiat avec des échéanciers de paiement ou via le remboursement d'un certain nombre de frais annexes que les familles avaient parfois engagés en avance. Néanmoins, les retards d'encaissement conduisent tous les établissements à se retrouver en tension croissante du point de vue de leur trésorerie. Les petits établissements sont les plus fragiles.

A moyen terme, la prochaine rentrée scolaire est encore très incertaine. Nous ne savons pas si les familles continueront de scolariser leurs enfants dans nos établissements. Nous ne savons pas non plus mesurer l'impact qu'aura la crise sur les nouvelles inscriptions dans le réseau.

L'AEFE s'est fixé quelques grands objectifs à l'égard du réseau dans son ensemble, quel que soit le statut des établissements. Notre première responsabilité a consisté à aider les équipes à relever le défi pédagogique. Personne n'était préparé à cela. Un travail considérable a été effectué depuis la mi-janvier, dès que le problème s'est posé en Chine. Nous avons accompagné tous les établissements au fur et à mesure de leur fermeture pour mettre en place une continuité pédagogique de qualité et garantir que celle-ci s'améliore dans la durée. Nous avons produit un grand nombre de fiches d'accompagnement. Nous en sommes à la 4ème édition de notre vadémécum. Les inspecteurs et les enseignants formateurs de l'agence se sont pleinement mobilisés. En 3 mois, plus de 45 000 opérations de soutien et de formation ont été accomplies au bénéfice de l'ensemble des établissements du réseau pour aider les équipes à tenir.

Bien entendu, la continuité pédagogique ne peut pas remplacer la classe. Tout le monde s'en rend bien compte. Nous devons permettre à tous les enfants scolarisés dans l'enseignement français à l'étranger d'atteindre les objectifs pédagogiques de l'année, même si c'est avec des moyens différents. Nous devons également lutter contre les risques de décrochage, qui sont notamment liés au fait que nous avons beaucoup d'enfants allophones. Je voudrais vraiment la saluer la mobilisation absolument exceptionnelle des équipes de direction des établissements et des équipes enseignantes pour relever ce défi extrêmement difficile. Une charge de travail considérable pèse sur ces équipes. Je voudrais également remercier les parents. Sans eux, il aurait été impossible de mettre ce dispositif en oeuvre. C'est une lourde charge qui pèse sur eux, d'où les quelques incompréhensions qui ont pu voir le jour sur la mise en oeuvre du dispositif. Pour autant, je pense que ce dispositif répond globalement aux attentes et aux objectifs principaux.

Plus les enfants sont jeunes et plus la mise en oeuvre du dispositif de continuité pédagogique est difficile, notamment en maternelle. L'accompagnement des publics allophones est également compliqué. Globalement, ce travail est salué par les parents, même s'ils en soulignent parfois les insuffisances.

L'agence a également eu pour mission, durant cette crise, de faire l'interface avec le ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse, pour s'assurer que les spécificités du réseau à l'étranger étaient bien prises en compte dans l'ensemble des décisions. Nous travaillons en permanence avec les services du ministère sur la question des examens. Je veux vraiment saluer la qualité du dialogue que nous avons avec ces services.

Nous avons pris des mesures d'accompagnement pour les familles dans les EGD. Toute famille le demandant obtenait un échéancier de paiement des droits de scolarité. Parallèlement, nous n'avons pris aucune mesure dans nos établissements en gestion directe qui mettrait en difficulté les autres établissements du réseau (conventionnés ou partenaires). Ainsi, nous avons décidé de ne pas toucher aux écolages et aux droits de scolarité du troisième trimestre pour ne pas mettre en difficulté les établissements du point de vue de leur trésorerie. Il était extrêmement important pour nous d'être exemplaire en la matière. Un trimestre d'écolage dans le réseau d'enseignement français à l'étranger représente environ 650 millions d'euros. Le coût d'une mesure de réduction de 10 à 20 % aurait été considérable, sans nécessairement résoudre le problème des familles en difficulté.

Aux côtés de notre ministère de tutelle, nous avons documenté la réalité de la crise et des besoins, et travaillé à la préparation du plan d'urgence qui a été annoncé la semaine passée.

Durant toute cette période, nous avons cherché à être réactifs et inventifs, dans le cadre des lois et des règlements, ainsi que de nos moyens budgétaires. Nous étions parvenus à équilibrer nos budgets après trois années d'efforts extrêmement importants, marqués notamment par la suppression de 500 ETP à l'agence. Nous avons souhaité être parfaitement responsables vis-à-vis des familles, sans engager de promesses que nous ne pourrions pas tenir.

Des annonces ont été faites. L'abondement de 50 millions d'euros pour les bourses doit nous permettre de répondre aux difficultés des familles françaises. Les familles peuvent déposer des recours gracieux directement auprès de l'agence pour obtenir une bourse de soutien qui leur permettra de faire face aux écolages du troisième trimestre. Ce recours est ouvert aussi bien à des familles qui étaient déjà boursières qu'à des familles qui ne l'étaient pas. A ce jour, nous avons reçu environ 1 500 demandes de recours gracieux. Nous pensons que nous aurons entre 10 et 15 millions d'euros de recours gracieux à gérer d'ici la fin du mois de mai. Pour l'année prochaine, les critères pour demander une bourse ont été revus. Les commissions locales des bourses ont été prolongées jusqu'au 30 mai. Elles tiendront compte des situations auxquelles les familles sont confrontées en 2020.

L'avance de France Trésor de 100 millions d'euros doit permettre à l'agence de prendre toutes les mesures d'urgence nécessaires pour soutenir tous les établissements qui seraient en difficulté. Il s'agit d'une avance. Par principe, elle est donc remboursable. Elle ne règlera pas l'ensemble des problèmes auxquels nous sommes confrontés. Néanmoins, cette avance est extrêmement importante car elle nous met à l'abri d'un risque de crise de trésorerie.

Nous attendons les derniers arbitrages sur l'orientation de ces fonds. Le ministre ne devrait pas tarder à nous les donner. Nous nous engageons à les mettre rapidement en oeuvre, au bénéfice de l'ensemble des établissements et dans le cadre de la loi. A cet égard, il convient de distinguer les établissements conventionnés, qui se sont vus reconnaître une mission de service public et qui bénéficient de certains moyens publics, et les établissements partenaires, qui sont des établissements privés étrangers. Les établissements partenaires reçoivent essentiellement des subventions sur projet, pas des subventions de fonctionnement. Il nous faudra venir en aide à ces établissements.

La situation de l'agence nécessitera un budget rectificatif. Nous le présenterons à notre conseil d'administration en juillet. Ce budget intègrera des mesures d'économies que nous sommes en train de prendre, ainsi que des pertes de recettes, qui seront importantes. Sans aide aux familles en difficulté, les pertes de recettes des EGD pourraient s'élever à 48 millions d'euros. Nous ne savons pas quel sera l'impact sur les effectifs de rentrée dans nos établissements. Nous essayons de le mesurer. Une baisse de 5 % en moyenne des effectifs dans les EGD représenterait une perte de chiffre d'affaires de 23 millions d'euros sur l'année 2020-2021. J'espère que nous aurons une estimation plus précise de cet impact d'ici la fin du mois de mai.

L'agence utilisera tous ses outils pour soutenir les autres établissements : baisse de la participation à la rémunération des résidents, délais de paiement, annulations de la participation à la vie du réseau pour les établissements partenaires, etc.

Un grand point d'interrogation entoure l'impact de la crise sur les inscriptions dans nos établissements. Des familles pourraient ne plus être en capacité de payer les écolages. Des élèves que nous attendions pourraient ne pas venir (notamment en maternelle). Les situations sont extrêmement complexes selon les pays et les établissements. Des décisions extérieures pourraient avoir un impact très lourd. Je pense notamment à de grandes entreprises qui, dans un pays, décideraient de rapatrier la majeure partie de leurs expatriés.

Il n'y aura pas de croissance des effectifs du réseau à la rentrée prochaine mais sans doute une baisse. Une baisse de 5 % à l'échelle du réseau représenterait une perte de chiffre d'affaires de 140 millions d'euros. Toutefois, je crains que la baisse ne soit plus importante. Il nous faudra porter une attention particulière aux petits établissements, qui sont les plus fragiles. Il nous faudra également suivre de près la situation au Liban, où la crise du Covid-19 s'ajoute à la crise politique et économique. Le Liban est notre premier réseau à l'étranger avec 60 000 élèves.

Deux petites lumières émergent de ce panorama assez sombre. Une vingtaine d'établissements ont rouvert, et leur nombre progresse. Toutefois, la majorité du réseau restera certainement fermée jusqu'à l'été. La réouverture est partout compliquée, pour des raisons sanitaires, mais également parce qu'elle demande un accompagnement très précis des établissements. D'ailleurs, nous travaillons sur un vadémécum de la réouverture. Les premières expériences sont positives. Nous travaillons à trouver un consensus au sein de la communauté éducative de chaque établissement sur les conditions de réouverture.

La seconde petite lumière tient au fait que les demandes d'homologations nouvelles ou d'extensions d'homologations restent assez nombreuses. Nous avons 35 premières demandes et 53 demandes d'extension. Ces demandes sont en cours d'instruction avec les ministères. Nous espérons que le réseau comprendra quelques dizaines d'établissements supplémentaires à la rentrée prochaine.

Les objectifs globaux du plan de développement devront être repensés pour tenir compte de la situation dans laquelle nous sommes. Néanmoins, les instruments que nous avons commencé à mettre en place et les axes de réflexion qui ont été engagés restent fondamentaux. Ce plan est important pour nous donner une dynamique et nous permettre de progresser.

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