Nous faisons face à cette crise inédite avec beaucoup de modestie, de concentration et de mobilisation. Nous nous tournons bien sûr vers les scientifiques - nous sommes notamment à la disposition du Dr Nkengasong, que je salue. Nous menons des actions de surveillance en lien avec la commission de l'océan Indien, ou encore en Afrique de l'Ouest. Nous sommes prêts à nouer des partenariats avec l'ensemble des acteurs pour appuyer l'action de CDC Afrique, dont le rôle est si important face à cette pandémie.
Je salue également les autres voix africaines qui sont très fortes dans cette crise, non seulement celles des chefs d'État, mais aussi celles de mes amis Tidjane Thiam, Ngozi Okonjo-Iweala, Donald Kaberuka, Trevor Manuel et Vera Songwe, lesquels interviennent surtout sur le volet économique et financier de la crise, qui, comme dans le reste du monde, est essentiel.
Le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale annoncent que l'Afrique va connaître sa première récession depuis vingt-cinq ans. Sur les plans sanitaire et économique, une attention toute particulière doit être apportée à l'Afrique du Nord et à l'Afrique australe. Les pays les moins avancés d'Afrique subsaharienne nous préoccupent tous et, dans ces territoires, nous sommes très actifs ; mais les pays à revenus intermédiaires subissent le choc sanitaire sans toujours bénéficier des dispositifs de soutien existants.
Face à cette crise, mystérieuse par bien des aspects, les équipes de l'AFD sont pleinement mobilisées. Comme celles du réseau diplomatique français, elles sont restées sur le terrain - ce n'est pas le cas pour tous les pays. En parallèle, nous restons opérationnels via le télétravail, un peu partout dans le monde, afin d'accompagner tous nos clients et nos partenaires de la manière la plus dynamique et la plus contracyclique possible.
À cette fin, nous disposons des crédits votés en loi de finances pour 2020 - un peu réduits par rapport à l'année précédente - et de nos ressources de marché. Nous avons procédé à deux émissions obligataires depuis le début de la crise, représentant 1,5 milliard d'euros et 2 milliards de dollars. Les marchés sont ouverts et nous avançons à un rythme soutenu : nous devrions atteindre 45 % de nos engagements prévus en juillet - c'est plus que l'année dernière - et 25 % de décaissements, contre 22 % l'an dernier à la même date. Si nous sommes en avance sur nos prévisions, c'est parce que la demande est forte et parce que nous nous adaptons pour être encore plus agiles face à cette crise.
Au titre de notre activité de prêt, nous observons une très forte montée des risques souverains et non souverains, qui auront, plus vite que ne l'a anticipé le Gouvernement, un effet sur nos provisions, notre résultat et nos besoins en fonds propres. Aussi, la transformation de l'AFD doit s'accélérer.
Depuis le début de la crise, nous avons travaillé pour qu'une voix française et européenne forte s'exprime et pour que notre action soit opérationnelle. Nous nous inscrivons dans l'action multilatérale qui se met progressivement en oeuvre. L'Assemblée mondiale de la santé vient de voter une importante déclaration ; une coalition, baptisée Access to Covid-19 tools (ACT), a été lancée et la Commission européenne se trouve en première ligne à cet égard ; grâce, en particulier, au Président de la République, plus de 7 milliards d'euros de promesses de financements ont été recueillis pour accélérer l'élaboration d'un vaccin et le mettre à disposition.
S'y ajoute, sur le plan macroéconomique, le moratoire sur la dette des pays les plus pauvres, qui pourrait apporter 20 milliards de dollars dès cette année pour financer la réponse à la crise, les programmes du FMI et ceux de la Banque mondiale. Bien sûr, il faut apporter de la liquidité dans toutes ces économies pour financer les dépenses exceptionnelles.
Nous nous inscrivons dans ce cadre multilatéral. Nous insistons sur des territoires ou des sujets susceptibles d'être oubliés. De plus, nous contribuons à accélérer, à travers les coalitions internationales, la coopération en direction de l'Afrique.
Nous menons ce travail depuis la mi-mars. Dès la fin de février, nous avons commencé à financer, avec l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), le programme Aphro-Cov, destiné à accélérer le dépistage.
Le 22 mars, nous avons adressé une première note résumant nos propositions, d'abord au Gouvernement, ensuite à la Commission européenne, en insistant sur le fait que nous sommes face à une seule et même crise à la fois sanitaire, économique, sociale et environnementale.
Je suis fier que l'Europe ait parlé d'une voix forte, avant même les institutions multilatérales. Début avril, la Commission et les États membres ont annoncé qu'ils allaient mobiliser 20 milliards d'euros. J'espère que ce signal a été reçu en Afrique. L'ensemble des agences de notre continent se coordonnent désormais sous le slogan Team Europe.
Quant à l'AFD, elle déploie sa réponse en trois temps.
Premièrement, le 2 avril dernier, après l'approbation de notre conseil d'administration, nous avons lancé l'initiative « Covid-19 - santé en commun » pour assurer des réallocations de ressources. Notre programme d'origine est fortement perturbé, mais il faut être agile et réallouer les capacités financières dont nous disposons, à savoir 150 millions d'euros venant des programmes 209 et 110 et une capacité de prêt de 1 milliard d'euros, auquel nous essayons d'ajouter les fonds de l'Union européenne et diverses réallocations d'enveloppes correspondant à des projets déjà engagés.
Ces fonds sont dédiés à l'Afrique ainsi qu'au Proche-Orient, qui inspire bien des inquiétudes. Selon le FMI, la récession serait de 12 % au Liban : en pareil cas, en l'espace de deux ans, 20 % de la richesse de ce pays disparaîtrait. Nous avons également été sollicités par le gouvernement indien.
Afin d'agir vite, nous privilégions les acteurs éprouvés, nous renforçons des programmes existants et nous mettons en oeuvre des procédures simplifiées. À cette date, nous nous sommes déjà octroyé dix-neuf projets et 60 millions d'euros de subventions ; vingt-deux pays ont été servis, dont seize en Afrique francophone.
Nous nous concentrons sur les capacités des laboratoires, qu'il s'agisse des actions de dépistage ou de diagnostic ; nous finançons la surveillance épidémiologique et la recherche, non seulement dans le domaine médical, mais aussi en sciences sociales, pour que les réponses soient aussi adaptées que possible aux communautés. Nous veillons au renforcement des soins apportés aux patients et aux capacités budgétaires des États. À la fin de juin, quelque 500 millions d'euros devraient être engagés au titre du plan de 1,2 milliard d'euros.
Nous agissons à l'échelle du groupe AFD. Expertise France déploie une plateforme d'experts en lien avec les équipes de Jean-Paul Moatti ; Proparco, qui déploie ses investissements dans les hôpitaux, les cliniques et les laboratoires, est également mobilisé face à ces enjeux de santé.
La force de la France, c'est d'agir en Afrique, grâce à ses implantations, avec les Africains, en valorisant les innovations émergentes et en agissant en mode plateforme avec les instituts Pasteur, la fondation Mérieux, l'Inserm, l'Institut de recherche pour le développement (IRD), le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), la Banque mondiale et d'autres acteurs encore.
Deuxièmement, nous avons proposé au Gouvernement une initiative centrée sur le soutien au secteur privé africain, dont les dernières annulations de dettes, il y a vingt ans, ont permis l'émergence. Ce tissu d'entreprises est dynamique, mais il reste très fragile. En son sein, les entrepreneurs français nous font part de leurs inquiétudes ; le chômage partiel n'existe pas en Afrique et BPI France n'y étend pas son action.
Au cours de l'année qui vient, nous devons agir collectivement afin de préserver ce tissu économique, qui est indispensable à la reprise de la croissance en Afrique. À cet égard, le groupe AFD dispose d'une vraie valeur ajoutée, notamment par sa filiale Proparco, active depuis plus de quarante ans en Afrique. La Commission européenne comme la Société financière internationale (SFI) de la Banque mondiale sont prêtes à nous aider à engager un programme à notre mesure. Face à cette crise, BPI France a apporté 74 milliards d'euros de prêts garantis ; cet effort est magnifique, mais nous devons également agir pour sauver le tissu des entreprises africaines.
Troisièmement, à la demande du Président de la République et en partenariat avec le forum de Paris sur la paix, nous allons organiser du 10 au 12 novembre 2020 le premier sommet mondial de toutes les banques publiques de développement. Ce sera l'occasion de débattre, plus largement, des moyens à déployer face à cette crise, en particulier pour accroître la durabilité de nos investissements et renforcer la lutte contre les inégalités. D'ailleurs, ce débat est déjà ouvert.
Les 450 banques publiques de développement que compte la planète représentent 10 % de l'investissement mondial - fonds publics et privés confondus. Elles doivent être rassemblées et débattre utilement - je pense notamment à la Caisse des dépôts, aux Nations unies et aux banques multilatérales.
Enfin, la réponse à cette crise n'épuise pas l'activité de l'AFD. Ainsi, il faut continuer à travailler au Sahel, où 700 millions d'euros ont été engagés l'année dernière. La pandémie vient s'ajouter à l'ensemble des crises que subit cette région du monde qui est, pour nous, prioritaire.