Monsieur le directeur, vous avez signalé que les équipes de l'AFD étaient restées sur le terrain durant le confinement. J'imagine que de nombreux déplacements ont pu être remplacés par des audio ou visioconférences : envisagez-vous de maintenir en partie ce fonctionnement, ce qui permettrait de limiter l'impact carbone des professionnels de l'AFD ?
Interrogé le 4 mars dernier, Mathieu Pellerin, chercheur à l'International Crisis Group, se montrait extrêmement dubitatif quant à l'opérationnalisation de la synergie sécurité-développement au Sahel, même si le sommet de Pau a accéléré la coordination des bailleurs à travers l'Alliance Sahel. La traduction sur le terrain était selon lui inexistante.
Confirmez-vous que les agences de développement, en particulier l'AFD, rencontrent de grandes difficultés à agir dans ce contexte d'insécurité ? L'AFD a-t-elle pu intervenir dans le nord du Mali pour financer des infrastructures indispensables comme la route reliant Bamako à Gao ?
Enfin, la Cour des comptes a récemment estimé que Proparco est trop à l'écart du continuum sécurité-développement. Certains lui reprochent aussi un fonctionnement trop classiquement bancaire, avec une aversion au risque que n'ont pas certains fonds d'investissement. Comment faire pour dépasser ces limitations ?
Dr John Nkengasong. - Nous rencontrons principalement quatre difficultés pour mettre en oeuvre le plan de lutte contre le Covid-19 élaboré le 22 février dernier. La première, c'est le financement. L'Union africaine, à travers Africa CDC, aurait besoin de 600 millions de dollars pour appuyer les efforts des 55 pays. La deuxième, c'est le grave défaut de tests. Seules 1,3 million de personnes ont été testées sur le continent ; or il faudrait atteindre rapidement 10 à 15 millions de personnes. La troisième, c'est le manque de matériel de protection, la compétition ayant été rude. Enfin, nous manquons de ressources humaines pour lutter efficacement contre le coronavirus : épidémiologistes, laborantins...
Beaucoup de progrès ont été réalisés pour renforcer le système de santé, comme au Sénégal, en Côte-d'Ivoire, au Maroc. Cependant, les systèmes supposés renforcés comme l'Afrique du Sud, l'Égypte, le Maroc, l'Algérie enregistrent étonnamment plus de cas. Est-ce dû au système de surveillance, qui permet de détecter plus de cas ? Je n'en sais rien. Notre grande inquiétude porte sur les pays fragiles, comme la Somalie ou le Soudan du Sud, qui comptent de nombreux cas et dans lesquels il est difficile d'agir.
Concernant la synergie avec les agences de développement, les institutions multilatérales, la création du Centre africain de prévention et de contrôle des maladies par les chefs d'États de l'Union africaine représente une opportunité de mieux coordonner l'action des différents partenaires.
L'Afrique a-t-elle été épargnée ? Il faut regarder trois facteurs. Compte tenu du faible nombre de tests jusqu'à présent, il est difficile de dire si les 88 000 cas de Covid-19 correspondent à la réalité.
Ensuite, les pays ont très vite réagi. Beaucoup ont fermé leurs frontières et pris des mesures de confinement, ce qui a largement ralenti l'évolution de la pandémie. Le continent peut-il garder cette posture à long terme ? La réponse est non. Les mesures de confinement sont en train d'être levées et le nombre de cas rebondit.
Ce qui joue également en notre faveur, c'est la forme démographique du continent : 70 % de la population a moins de 30 ans, ce qui peut contribuer à ralentir l'épidémie. Cependant, je ne pense pas que l'Afrique soit totalement épargnée. Il faut faire vraiment attention. Au Brésil, la situation a changé en quelques semaines. Le virus, très dangereux, se modifie rapidement.
L'Afrique ne doit pas seulement attendre qu'un vaccin soit produit ailleurs. Nous devons participer activement à la recherche et espérons une collaboration avec plusieurs partenaires. L'Institut Pasteur de Dakar, mais aussi ceux du Maroc, de la Côte-d'Ivoire, doit y prendre part.
Devons-nous prévoir un plan plus vaste pour restructurer le système de santé en Afrique ? Bien sûr ! À l'issue de cette crise, il faudrait organiser une vaste concertation pour déterminer exactement ce que l'Afrique doit faire pour renforcer rapidement son système de santé, dans un état inacceptable. Actuellement, il lui est difficile de faire face à une pandémie telle que le Covid-19.
La RDC recense aujourd'hui 1600 cas, mais est-ce conforme à la réalité ?
Pour conclure, nous travaillons en étroite collaboration avec l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et le forum économique mondial, à travers la Task Force mise en place depuis le mois de février.