Intervention de Rémy Rioux

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 20 mai 2020 : 1ère réunion
Aide publique au développement en afrique face à l'épidémie de coronavirus — Audition de M. Rémy Rioux directeur général de l'agence française de développement afd et du dr john nkengasong directeur du centre africain de prévention et de contrôle des maladies en téléconférence

Rémy Rioux, directeur général de l'Agence française de développement :

Nous n'avons pas à déplorer de victimes ou de cas graves parmi les collaborateurs de l'AFD, mais nous restons vigilants. Le travail à domicile a été rendu obligatoire dès le 13 mars en France, étendu progressivement dans le monde entier. Ces dispositions seront graduellement levées à partir du 2 juin. Nous portons bien sûr une attention particulière à nos collègues restés sur place, qui s'inquiètent de la capacité de prise en charge des systèmes de santé locaux.

S'agissant d'une éventuelle réorientation de la stratégie de l'AFD, nous avions déjà introduit plus fortement les sujets sociaux, sous le thème du lien social, des inégalités, y compris la santé. Nous sommes l'instrument des autorités françaises, donc le choix dépend du Gouvernement et du Parlement. La loi développement et le nouveau contrat d'objectifs et de moyens de l'Agence seront l'occasion d'avoir ce débat. Je peux vous dire que les équipes sont plus motivées que jamais face à une crise d'une telle ampleur.

Nous sommes en train de construire le groupe AFD avec le rapprochement d'Expertise France, accompagné de garanties en termes d'autonomie, de contrôle parlementaire, de proximité des autorités publiques. Si nous démontrons que ce groupe public unique au monde regroupant l'ensemble des instruments opérationnels d'une politique active et ambitieuse mérite plus de confiance, nous serons capables de gérer plus de moyens en subventions. C'est essentiel dans les pays pauvres, sur les questions de santé, notamment en Afrique. Compte tenu du contexte financier, nous aurons besoin de plus de fonds propres, voire de garanties, ce qui passe évidemment par une loi de finances. C'est votre décision, in fine. Nous essayerons d'en être dignes, et d'être à votre écoute.

Nous devons être très vigilants sur la situation en Afrique, qui diffère de celle de l'Europe. L'équilibre entre les réponses sanitaires et économiques et sociales n'est pas le mêmes. Le docteur Nkengasong nous a présenté la situation sanitaire, avec ses inconnues, ses menaces, mais aussi ses opportunités que l'Afrique s'en sorte mieux. Ce n'est pas le cas du point de vue économique. Il faut donc être en capacité de répondre avec agilité aux demandes des autorités africaines. Gardons-nous d'une réponse 100 % sanitaire, alors que la demande sur le terrain est d'abord économique. Les deux dimensions doivent être pondérées le plus efficacement possible.

C'est la raison pour laquelle je ne renonce à rien. Nous avons réalloué 1,2 milliard d'euros d'ici à l'été, sur une capacité financière de plus de 14 milliards d'euros en 2019. Le Président Xi Jinping, lors de l'Assemblée mondiale de la santé, a annoncé 2 milliards de dollars dans les deux prochaines années pour appuyer les efforts de santé des pays du sud. La réponse française est donc significative, dans un périmètre plus vaste comprenant la lutte contre le changement climatique, l'éducation, l'action dans le Sahel et les priorités que vous nous fixez.

J'en viens à des questions plus précises. Je connais le combat de Mme Garriaud-Maylam en faveur des entrepreneurs français en Afrique, également évoqués par M. Yung. De mon point de vue, ces entreprises, comme toutes les entreprises africaines, entrent dans le mandat du groupe AFD et de Proparco. Le mode d'emploi, en cours d'examen par le Gouvernement, prévoit une attention particulière portée à ceux qui animent des TPE en Afrique. Il faudrait sans doute renforcer le mécanisme de garantie ARIZ (Accompagnement du risque de financement de l'investissement privé en zone d'intervention) qui passe par les banques locales, sur le modèle décidé par le Parlement via Bpifrance dans cette crise, donc monter la garantie de 50 % à 80 % du montant du prêt. Les entrepreneurs pourraient ainsi obtenir de leur banque un financement rapide il s'agit souvent de faibles montants pour passer ce cap difficile sans déposer le bilan. Nous sommes prêts à y répondre dans ce cadre, en respectant notre modèle économique, cela a été dit par Mme Perol-Dumont, sans mettre l'entreprise et sa filiale Proparco en difficulté financière. Une prise en charge des risques par des moyens publics, comme pour Bpifrance, mais pour des montants très faibles, permettrait de pousser plus loin l'action de Proparco au service des entreprises africaines, y compris celles gérées par des entrepreneurs français.

M. Laurent et Mme Garriaud-Maylam m'ont interrogé sur les banques. Je crois beaucoup au rôle des banques publiques dans la mise en oeuvre des mandats des gouvernements, dans leur capacité à tourner dans le bon sens les investissements privés et à renforcer les systèmes financiers. La question des infrastructures sociales est majeure, et pas seulement en Afrique. La santé, l'éducation sont-elles au bon niveau ? Comment les finance-t-on, avec des retours sur investissement différents ? Au sommet mondial des banques publiques de développement, le 12 novembre prochain, les banques publiques de développement européennes porteront le sujet de l'accroissement des investissements dans les infrastructures sociales. Nous espérons à cette occasion engager avec nos collègues asiatiques, très présents en Afrique, un travail plus collaboratif, plus soucieux de la soutenabilité de la dette.

En réponse à M. Vallini sur les déterminants de la crise en Afrique, la prudence s'impose. J'insiste sur les innovations, la voix de l'Afrique. Nous allons essayer de mieux informer l'opinion française sur la réalité africaine, encore marquée par trop de préjugés.

Il a été décidé un moratoire sur la dette, et non une annulation, c'est-à-dire de décaler d'un an les créances exigibles cette année. Pour la France, cela représente 1 milliard d'euros, dont 300 millions d'euros pour l'AFD. Nos collègues africains demandent d'ailleurs un décalage de deux ans. Nous sommes attachés à ce que l'effort soit le plus collectif possible. Pour la première fois, le Club de Paris, le G20 ont permis que les bailleurs émergents figurent dans ce moratoire. Des discussions intenses ont actuellement lieu avec les créanciers privés. Il faut redéfinir un cadre de financement de l'Afrique. Dans certains pays, il conviendra sans doute d'aller jusqu'à des annulations, le Président de la République l'a dit. D'autres pays sont très soucieux de continuer à avoir accès aux marchés financiers. Il va falloir fixer des paramètres, des critères. C'est le rôle des envoyés spéciaux de l'Union africaine. Je souhaite que l'Afrique exprime sa position et qu'ensuite tous les créanciers du continent puissent joindre leurs forces dans un cadre soutenable, mais dynamique. On ne financera pas l'Afrique avec des dons, même s'ils sont nécessaires pour traiter certains points névralgiques.

Sur les problèmes structurels des systèmes de santé, j'ajouterai que le vaccin est un grand sujet multilatéral, qui relève de fonds verticaux. Il dépasse l'aide publique au développement, puisqu'il nous est aussi destiné. C'est un bien commun qu'il convient de financer, en partie par l'aide au développement, mais aussi, et c'est le cas, par d'autres capacités financières des États.

Nous n'avons pas, d'ailleurs, de cadre conceptuel complet, et j'espère que la loi sur le développement nous aidera à progresser en ce sens. Le rôle des acteurs bilatéraux comme nous est plutôt le renforcement d'ensemble des systèmes de santé.

Je salue la force de l'engagement de M. Bockel sur les enjeux sahéliens, qui restent dans nos priorités. Nous avançons, avec 700 millions d'euros engagés, auxquels s'ajoutent des dons via un fonds qui, avec la crise du Covid-19, décaisse plus rapidement : je me sers des circonstances actuelles pour transformer la maison ! L'intrication entre acteurs de la sécurité, de la diplomatie et du développement est toujours meilleure, autour d'une programmation territoriale des actions de chacun, dans le cadre d'une réponse globale.

L'IRD a une action importante, oui, notamment par son expertise en sciences sociales, qui a montré son utilité lors de l'épidémie d'Ebola. En RDC, 19 millions d'euros de dons sont utilisés pour renforcer l'hôpital de Monkole et le réseau hospitalier de Kinshasa.

Oui, l'audiovisuel extérieur est un élément de réponse à la crise et un instrument de développement. Avec France Médias Monde, nous réorientons nos programmes pour y faire passer des informations de santé publique.

J'ai échangé avec les ONG de santé il y a une dizaine de jours. Pour aller vite, nous passons beaucoup par des acteurs que nous connaissons et des financements déjà en place. Pour la société civile, l'AFD consacre près de 400 millions d'euros de subvention chaque année, outre les 100 millions d'euros de dons mis à disposition par le Gouvernement.

Nous faisons évoluer nos procédures : nous avons accéléré toutes nos instances, faisons des notes simplifiées, réduisons les délais, simplifions les délégations, nous voyons tous les dix jours... Quand la poussière sera retombée, nous capitaliserons sur ce que nous avons appris à l'occasion de cette crise. J'avais déjà engagé la déconcentration, indispensable, de l'AFD en créant les directions régionales, et nous continuerons en ce sens.

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