Notre perspective est assez proche de la vôtre, madame le rapporteur, sur le fond comme sur la forme.
L'obstination du Gouvernement à dessaisir sans cesse le Parlement de ses prérogatives devient relativement inquiétante. Dans le précédent texte relatif à l'état d'urgence sanitaire, les conditions de délibération acrobatiques avaient été réservées au Sénat ; cette fois-ci, elles le sont à l'Assemblée nationale. Le bicamérisme, me semble-t-il, a pourtant l'avantage que les travaux des deux chambres peuvent présenter un intérêt et se compléter. Il y a donc atteinte à la qualité de la loi et, à travers elle, au quotidien des Français.
Les ordonnances sont surnuméraires. Dans sa version initiale, le présent projet de loi comportait trente-cinq habilitations à légiférer, ce qui aurait porté leur nombre à près d'une centaine depuis le début de l'état d'urgence sanitaire. L'Assemblée nationale en a supprimé certaines, et nous nous apprêtons à en supprimer d'autres : c'est la preuve qu'il fallait passer par la loi, et non par les ordonnances.
Dans certains cas, les durées étaient ou sont encore excessives. Dans d'autres, le caractère d'urgence n'est pas avéré.
Il est surprenant de voir comment, par la transformation de ces demandes d'ordonnances en mesures inscrites en dur dans la loi, ce texte finit par ressembler, en lui-même, à un cavalier législatif. Comment appliquer l'article 45 de la Constitution compte tenu du nombre de matières abordées ?
Le Gouvernement semble aussi vouloir s'affranchir d'un certain nombre de consultations obligatoires. Soyons là aussi attentifs : il faut être attaché à la démocratie parlementaire autant qu'à la démocratie sociale.
Nous sommes en fait entre nécessité et opportunisme... Certaines mesures s'imposent, comme celle qui concerne l'acquisition de droits à la retraite en cas d'activité partielle. Nous en avions défendu le principe ; reste à débattre des modalités. Mais on trouve aussi des mesures très opportunistes, sans véritable caractère d'urgence : certaines dispositions tirées du projet de loi ASAP actuellement en navette ; les mesures concernant la justice des mineurs ; celles qui portent sur les seuils de revente à perte. On peut même s'étonner que le Gouvernement passe par cette voie pour aller contre des dispositions que nous avons votées collectivement et imposer une vue qui, on le sait, n'est pas la bonne sous l'angle des territoires.
Enfin, l'intérêt d'un texte tient en ce qu'il dit, mais aussi en ce qu'il ne dit pas... Dans celui qui nous occupe, une dimension essentielle n'est pas traitée : la question sociale. Manifestement, ce n'est pas la priorité du Gouvernement, qui confirme son choix de la dérégulation, y compris en temps de crise.
Nous essaierons, dans la mesure du possible, d'améliorer ce « collage » - c'est le terme que j'emploierais, ne voyant pas bien Édouard Philippe en Casimir -, mais le résultat n'est pas le bon : on n'y retrouve pas les mesures sociales qu'il faudrait prendre.
Dernier point, monsieur le président, comment mes collègues présents en visioconférence pourront-ils se prononcer sur les amendements ?