Intervention de Muriel Domenach

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 18 décembre 2019 à 10h30
Audition de Mme Muriel Domenach ambassadrice auprès de l'organisation du traité de l'atlantique nord

Muriel Domenach, ambassadrice auprès de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord :

Merci de votre accueil, après une séquence intense, en effet. Nouvelle dans mes fonctions - je suis arrivée en septembre - j'ai été d'emblée plongée dans le bain ! Il est vrai que mes fonctions de consule générale à Istanbul, de 2013 à 2016, m'ont donné une certaine expérience de la Turquie : j'avais notamment organisé le traitement des djihadistes français, avant de devenir, de 2016 à 2019, déléguée interministérielle sur la prévention de la délinquance et la radicalisation.

C'est une Alliance bien changée que j'ai retrouvée, quinze ans après mon premier passage en son sein. L'OTAN est une bulle, presque algorithmique, comme on dit en matière de radicalisation. C'est un monde en soi, où les Européens viennent d'abord s'assurer de l'arrimage des Américains en Europe. Comme l'avait dit lord Ismay : « Keep the Americans in ». Il avait ajouté : « the Russians out, and the Germans down », mais ceci est caduc. Garder les Américains à bord, c'est l'obsession de tous. La cause du trouble actuel de l'Alliance est bien que les Américains ont d'autres priorités, se désengagent manifestement et ont des attentes de rééquilibrage du fardeau. Ce mouvement ne date pas de M. Trump, et n'est pas dénué de légitimité, même si celui-ci l'exprime dans des termes qui peuvent susciter un malaise. Les Américains nous demandent de nous occuper davantage de notre voisinage.

Ce décalage entre un malaise politique et l'efficacité militaire de l'Alliance est difficilement soutenable, et même mortifère : les membres ne peuvent pas fonctionner durablement si la tête ne va pas bien. D'où les propos du Président de la République, qui ont provoqué un électrochoc. Ils visaient à susciter une prise de conscience, à être perçus comme un wake-up call, face à une triple crise, de confiance dans le lien transatlantique, de solidarité avec la Turquie et de responsabilité des Européens. Vu de l'intérieur de la bulle, le représentant de la France apparaît comme celui qui dit que le roi est nu, et s'attire une partie du blâme : en disant tout haut ce que beaucoup pensent tout bas, nous avons en quelque sorte pris le mistigri.

Au niveau des ambassadeurs, l'ambiance était fraîche. Certains viennent véritablement communier, dans une ambiance de foi en la garantie de sécurité américaine et la solidité de l'alliance atlantique. La déclaration française a littéralement tiré des larmes à certains, je l'ai vu durant une réunion. Pour beaucoup, ces valeurs sont un credo existentiel, et il faut le comprendre, étant donné leur histoire. Et, dans les périodes de « doutes sur la foi », on a la tentation de brûler l'hérétique ! Je me suis parfois sentie l'hérétique. Mais c'était local, dès le niveau des ministres, l'ambiance était meilleure et, à Londres, le Président de la République a parfaitement réussi sa séquence. Personne n'a contré son constat, ni ne lui a opposé de propositions alternatives. Nul n'a bloqué notre proposition d'une réflexion de fond, même si elle a été reformulée par les Allemands en des termes acceptables par la structure, c'est-à-dire prévoyant une forte implication du secrétaire général, et le principe d'un « processus de réflexion sous les auspices du SG » a été agréé à Londres, ce qui est une marque de confiance de l'organisation en sa capacité à bénéficier d'une refondation stratégique.

Donc, même si M. Trump à Londres, il est vrai, a déclaré d'emblée que les déclarations de M. Macron étaient « nasty », la séquence s'est très bien passée.

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