Monsieur le président Marseille, vous l’avez dit dans votre question, une initiative franco-allemande assez exceptionnelle a été annoncée par la Chancelière Merkel et le Président de la République voilà deux jours. Elle fait suite à l’épidémie de Covid-19, à la crise sanitaire que l’Europe a connue à des titres divers, et à la crise économique et sociale qui s’annonce, conséquence directe à la fois du confinement lié à la crise sanitaire et à l’arrêt de la production et de la consommation que nous avons constaté dans un très grand nombre de pays d’Europe et du monde. Je vous rappelle ce chiffre édifiant : près de la moitié de l’humanité confinée – on entrevoit bien les conséquences économiques et sociales qui vont en découler…
Est-ce que l’Europe a été à la hauteur de la crise ? Beaucoup de nos concitoyens en France, beaucoup de nos amis en Espagne, en Italie et ailleurs diront volontiers que tel n’a pas été le cas. Auront-ils raison ? Autrement dit, les réponses de l’Union européenne, au-delà de la perception de nos concitoyens, auront-elles été à la hauteur ?
Probablement pourrons-nous affirmer avec un peu de recul que l’Union européenne n’a pas rien fait et qu’elle a été utile dans la crise. Mais est-ce que, véritablement, elle a été à la hauteur de cette crise ? Je ne le crois pas, monsieur le président Marseille. Comme toujours, lorsque nous nous retrouvons dans une situation de crise, de difficultés, il faut soit le constater, vivre avec et, le cas échéant, le déplorer, soit trouver des solutions pour y remédier.
Bien souvent, lorsque la crise européenne est là, c’est dans la capacité de la France et de l’Allemagne à s’entendre et à entraîner les autres – non pas à décider pour eux, ce qui serait inenvisageable – que l’on trouve la solution. C’est très précisément ce qui s’est passé ou, plus exactement, ce qui est en train de se passer, puisque la France et l’Allemagne se sont mises d’accord pour un plan très ambitieux, sans précédent, visant à permettre le financement d’une relance à hauteur de 500 milliards d’euros, grâce à la nouvelle capacité de la Commission à créer de la dette de façon à alimenter le marché, l’investissement, la relance.
Ce plan repose sur quatre piliers.
Le premier, c’est l’Europe de la santé, qui existe, ou plus exactement, qui devrait exister. Il faut donc, collectivement, investir et regarder comment on peut améliorer les dispositifs de santé de chaque pays.
Deuxième pilier, la création d’un instrument qui permette une solidarité entre les États européens, et donc entre les citoyens européens, un fonds de relance doté, je l’ai dit, de 500 milliards d’euros de dettes émises par la Commission.
Ce fonds fonctionnerait, pour l’essentiel, dans les premières années du prochain cadre pluriannuel de financement que l’Union discute et viendrait lui-même en complément des 500 milliards d’euros de prêts agréés par l’Eurogroupe.
Les sommes en jeu sont vertigineuses et, au fond, assez peu concevables : 1 000 milliards d’euros pour financer la relance et la solidarité, auxquels s’ajouteront les dispositifs nationaux, qui se conjugueront ou compléteront le dispositif européen.
Le troisième pilier de ce plan est la nécessaire accélération de la transition numérique et la transition écologique. C’est une réponse à votre question, monsieur le président Marseille : si nous utilisons cet argent pour renforcer nos systèmes de santé, si nous l’utilisons pour accélérer la transition numérique et la transition écologique, alors, par définition, nous préparons l’avenir et nous renforçons nos capacités de long terme et notre capacité, à long terme, à répondre aux questionnements de nos concitoyens.
Enfin, le quatrième pilier va, là encore, dans le sens de ce que vous indiquez, me semble-t-il, à savoir le renforcement de la souveraineté européenne.
En effet, cette crise sanitaire a montré que, si nous voulions maîtriser notre destin, il fallait que, dans l’espace européen, un certain nombre de productions soient localisées, qu’un certain nombre de marchés sensibles soient maîtrisés et qu’un certain nombre de dispositifs sans lesquels nous ne pouvons pas faire face aux difficultés soient assurés.
C’est sur le principe de cette souveraineté européenne que la France et l’Allemagne viennent de s’entendre ; c’était le sens des annonces du Président et de la Chancelière.
Il n’y a pas eu de précédent à ce type d’annonces. Pourquoi ? Parce que, et je le dis avec beaucoup de plaisir et de satisfaction, l’Allemagne a bougé : ce qu’elle a accepté de faire ne correspond pas à ce qu’elle envisageait pendant longtemps.
Pourquoi l’Allemagne a-t-elle bougé, monsieur le président Marseille ? Parce que la crise est là et que chacun peut la mesurer. Je n’exclus pas, mais sans doute ce point-là sera-t-il sujet de longues discussions, que l’Allemagne ait bougé parce que la France elle-même a bougé. Je n’exclus pas que l’Allemagne ait bougé parce qu’elle a vu que la France, en s’attaquant à des réformes de structure qui avaient parfois été évoquées, mais pas réalisées, voulait effectivement préparer l’avenir sérieusement. Je ne l’exclus tellement pas que c’est la seule raison que j’identifie pour pouvoir faire fonctionner de nouveau ce moteur franco-allemand dont nous savons tous qu’il est indispensable au redémarrage de l’Europe, non pas simplement à sa souveraineté, mais à son existence.
C’est donc une excellente nouvelle qui ressort de cette annonce conjointe par le Président de la République et la Chancelière : une excellente nouvelle, pour nous, Français, pour les Allemands aussi, j’en suis certain, et pour les Européens dans leur ensemble.
La vie est ainsi faite que ces excellentes nouvelles, qui ne sont pas encore traduites dans les faits – vous avez raison, car il va falloir convaincre, mais j’ai observé, vous aussi sans doute, monsieur le président Marseille, que la Banque centrale européenne et la Commission européenne s’étaient félicitées de cette annonce et de cette initiative. C’est un excellent début ! Il va évidemment falloir parler et convaincre l’ensemble de nos partenaires. C’est normal, mais reconnaissons ensemble que, lorsque la France et l’Allemagne s’accordent, lorsque, ensemble, elles avancent, en général elles entraînent. C’est une excellente nouvelle ! (