Le numérique est la nouvelle donne du XXIe siècle. En 2020, nous n’en sommes encore qu’au début de sa révolution. L’accès à internet sur l’ensemble du territoire est devenu un véritable droit prioritaire pour chacun. Une enquête de l’association de consommateurs UFC-Que Choisir de l’an dernier nous apprend que 6, 8 millions de personnes, soit 10 % de la population française, sont privées d’un accès minimal à internet, à savoir 3 mégabits par seconde. Quant au haut débit performant, il n’est accessible qu’à 12, 8 millions de consommateurs, soit moins de 20 % de notre population. Ces chiffres confirment une accessibilité inégalitaire d’internet selon les territoires. On observe dès lors une fracture entre deux mondes, chacun vivant à la vitesse de ses capacités de connexion : les métropoles branchées d’un côté, la France profonde, enracinée mais déconnectée, voire oubliée, de l’autre.
À cette fracture numérique s’ajoute la crise sanitaire actuelle. Elle révèle les promesses, les insuffisances et les dérives du numérique. Le numérique a permis aux familles séparées de se voir, au monde du travail de poursuivre son activité à distance et en sécurité, à nos commissions parlementaires de continuer à se réunir. Avec le télétravail, les entreprises ont adopté de nouvelles habitudes pour l’avenir.
Mais il y a aussi ceux qui ont vécu un confinement compliqué, sans possibilité de recourir à la visioconférence pour leur travail et privés de tout contact visuel avec leurs proches, à cause d’un mauvais accès à internet. Et combien d’enfants ont été privés des cours dispensés par leurs professeurs via internet ?
Cependant, il faut également savoir mettre des limites à l’hubris du numérique, qui s’installe partout dans nos vies.
Les risques en matière de cybersécurité, ou plutôt de cyberinsécurité, doivent être pris au sérieux, et un principe de précaution doit prévaloir. Ici même, au Sénat, nous avons utilisé l’application Zoom pour tenir nos réunions de commission. Cette application n’est pourtant pas du tout sécurisée, et le contenu de nos échanges pourrait très bien avoir été intercepté.
Une deuxième dérive consisterait à croire qu’une entreprise n’est qu’une somme de travailleurs et qu’elle peut fonctionner entièrement en télétravail. Nous ne devons pas oublier l’importance de la vie en équipe, de la cohésion, du partage, qui sont les clés d’une vraie dynamique d’entreprise et ne sont possibles qu’en travaillant physiquement, humainement ensemble.
Par ailleurs, le tout-numérique ne doit pas amener à brader nos libertés. On a parlé du traçage et du partage des informations personnelles, dont le Gouvernement entendait faire une solution de facilité pour sortir du confinement. C’est une dérive. Il y a également la menace que fait peser le télétravail sur nos libertés, par la remise en cause des conditions de travail. Il y a un risque de glissement, sur lequel il faut rester vigilant. Le fameux « métro-boulot-dodo » ne doit pas devenir « boulot-boulot-boulot ». Une mauvaise séparation entre vie privée et vie professionnelle pourrait conduire à une multiplication des risques psychosociaux. À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles : le télétravail ne doit pas devenir la règle imposée ; il doit garder son caractère exceptionnel et relever d’un choix personnel. Le télétravail doit rester une nouvelle possibilité de flexibilité ponctuelle pour les travailleurs.
J’ai entamé mon propos en évoquant une révolution du numérique : nous le savons, toute révolution produit des excès. Que comptez-vous faire, monsieur le ministre, pour que le numérique prenne sa place, toute sa place, mais rien que sa place dans notre société ? Le numérique doit rester un moyen : le havre de paix de la vie privée doit être sacralisé.