Intervention de Colette Mélot

Réunion du 27 mai 2020 à 15h00
La crise du covid-19 : révélateur de la dimension cruciale du numérique dans notre société. quels enseignements et quelles actions — Débat organisé à la demande du groupe union centriste

Photo de Colette MélotColette Mélot :

Je voudrais tout d’abord remercier à mon tour le groupe Union Centriste d’avoir permis l’inscription de ce débat à notre ordre du jour.

Le 5 mars dernier, Margrethe Vestager, vice-présidente de la Commission européenne chargée du numérique, appelait à faire des choix clairs pour notre futur. La crise que nous traversons exacerbe la nécessité de penser la place du numérique dans la société non pas demain, mais dès aujourd’hui. Le numérique n’est pas entré dans nos vies en mars 2020, mais il est devenu incontournable dans plusieurs pans de notre société et de notre quotidien. Le Parlement doit s’emparer de ce sujet majeur, car, si les avancées sont notoires, les limites le sont tout autant, et une adaptation de notre système est primordiale.

Beaucoup d’enseignements, propres à chaque sujet, ont pu être tirés pendant la crise sanitaire.

Je parlerai d’abord de l’éducation, sujet qui me tient particulièrement à cœur.

Je souhaite saluer le travail impressionnant fourni par la majorité du corps professoral pour s’adapter, durant la crise et encore aujourd’hui, et réorganiser la vie scolaire. Ce travail, parfois bien compliqué, a permis à notre jeunesse d’avoir accès à l’enseignement à distance, et ce fut un succès dans beaucoup de cas.

Cependant, comme nombre d’entre nous, j’ai aussi noté des limites, et même des fractures profondes dans notre société. Cette période a révélé les inégalités existant dans notre pays. L’accès à un ordinateur, à une tablette ou à un smartphone ne va pas de soi, par exemple lorsque plusieurs enfants doivent suivre simultanément un enseignement à distance, lorsque parents et enfants ont besoin d’un accès au numérique ou, dans le pire des cas, lorsqu’aucun accès n’est possible.

Tous les enfants n’ont pas les mêmes besoins en matière d’éducation. Les parents ne peuvent pas encadrer les enfants comme le font les professeurs, dont c’est le métier. Tous les élèves ne disposent pas d’un espace suffisant pour se concentrer et suivre de manière assidue un enseignement en ligne.

Enfin, nous ne sommes pas égaux devant l’outil informatique, et cela vaut aussi pour les élèves et les professeurs. Ainsi, quelque 13 millions de Français rencontrent des difficultés pour utiliser l’outil numérique.

Les états généraux du numérique éducatif annoncés pour la rentrée permettront de réfléchir à une nouvelle flexibilité dans l’enseignement. Nous devons capitaliser sur le travail fourni durant cette crise.

Cependant, l’enseignement ne peut pas se faire uniquement à distance et via des supports numériques. L’humain doit rester au centre de la transmission. Les deux approches, loin d’être incompatibles, doivent être appréhendées comme complémentaires. L’enseignement à distance peut être très utile, par exemple pour les enfants malades, qui peuvent continuer de participer à la classe grâce au tableau blanc interactif, ce qui est extrêmement important.

Le second sujet que je voudrais aborder est celui du télétravail. Depuis le début de cette crise, pas un jour ne passe sans qu’il soit évoqué dans les médias.

Avec 7 % de télétravailleurs réguliers en 2019, selon les chiffres d’Eurostat publiés en mars 2020, la France est en retard. À titre d’exemple, la Finlande compte 14 % de télétravailleurs réguliers et la Bulgarie 0, 5 %. Les causes de cette situation sont diverses.

Des différences sont également visibles au sein même de notre pays, entre territoires et secteurs d’activité. D’après les chiffres de l’Insee, 1, 2 % des employés et 0, 2 % des ouvriers pratiquaient le télétravail en France en 2017, contre plus de 11 % des cadres. De manière générale, les entreprises, grandes ou petites, étaient quelquefois réticentes à le mettre en place.

Depuis mars, notre regard sur le sujet a évolué et chacun a pris conscience des avantages que le télétravail pouvait apporter aux entreprises et aux salariés, si bien que, des grandes entreprises aux start-up, les adaptations ont été rapides et de nouvelles organisations sont apparues.

Les avantages du télétravail sont nombreux, d’abord pour l’environnement : d’après une étude de l’Ademe, la réduction des transports entre domicile et lieu de travail diminuerait de 30 % les impacts environnementaux de ces déplacements. Je préciserai que cette question doit être envisagée de manière globale et qu’il reste à connaître l’impact du numérique sur l’environnement – le Sénat s’est d’ailleurs saisi de cette question.

Dans les territoires, le télétravail profitera aux villes moyennes proches des grandes agglomérations. Quand on travaille deux jours par semaine à domicile, il devient intéressant de s’installer à une heure d’une métropole. Enfin, les entreprises y trouvent aussi leur intérêt, en réduisant les coûts grâce à une réorganisation des locaux.

Pour autant, beaucoup de questions se posent ; je n’en évoquerai que quelques-unes : l’isolement social de la personne en télétravail, l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, le volet juridique du télétravail ou encore l’accès à internet. Toutes ces interrogations nous incitent à envisager un système hybride, donnant sa juste place au numérique.

Je voudrais rappeler qu’environ 20 % des Français n’ont pas accès à internet ou sont reliés à un réseau de mauvaise qualité. Il reste encore des citoyens vivant en zone blanche, même si des progrès sont à l’œuvre. Pour eux, pouvoir accéder au numérique est vraiment essentiel, son absence étant synonyme de difficultés et d’isolement.

Le numérique est donc bien crucial dans notre société. De nombreuses facettes positives ont été dévoilées. Il reste maintenant à mener une large réflexion, au regard tant de la place du numérique avant la crise que des expériences importantes vécues depuis le mois de mars. De nombreux chantiers étaient déjà engagés, notamment au niveau européen ; il s’agira de les approfondir, de les penser ensemble. L’expérience a enrichi notre réflexion.

Enfin, nous devrons aussi prendre en compte les dimensions de l’indépendance et de la sécurité, notamment en ce qui concerne la protection des données ; ce sera essentiel pour sortir de cette crise en instaurant une relation mature avec le numérique, qui doit encore trouver sa juste place dans notre société !

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