Intervention de Patrick Chaize

Réunion du 27 mai 2020 à 15h00
La crise du covid-19 : révélateur de la dimension cruciale du numérique dans notre société. quels enseignements et quelles actions — Débat organisé à la demande du groupe union centriste

Photo de Patrick ChaizePatrick Chaize :

La crise sanitaire et le confinement ont constitué un test grandeur nature de l’état des réseaux numériques de notre pays. Quel bilan doit-on tirer de ce test ? La réponse n’est pas univoque.

Côté pile, les moyens de communication numérique se sont affirmés, pour la première fois à grande échelle, comme de formidables outils de résilience et de garantie de la continuité de pans essentiels de la vie de notre nation. Les réseaux ont tenu, alors qu’au début du confinement on pouvait légitimement craindre des engorgements, voire des saturations. Cela n’a pas été le cas, et nous pouvons nous en réjouir.

Côté face, la crise sanitaire a révélé les failles et les injustices de notre société numérique. Des millions de Français ont ainsi subi une double peine : en plus du confinement, beaucoup ont connu un isolement numérique intolérable, les coupant parfois de leur travail, de l’éducation, de la santé et de leurs proches.

La fracture est double. Certains sont déconnectés faute de compétences numériques ou de terminaux pour communiquer – on parle alors d’illectronisme –, d’autres n’ont pas accès à des réseaux fixes ou mobiles de qualité.

Ainsi, plusieurs milliers de zones blanches mobiles doivent encore être résorbées. Près de la moitié du territoire n’est pas couvert en très haut débit fixe. Pis encore, une connexion en « bon » haut débit, permettant de réaliser des recherches internet de base, est encore attendue par des milliers de nos concitoyens, alors que le Gouvernement a promis un accès à ce « bon » haut débit pour tous les Français d’ici à la fin de l’année.

Il revient aux pouvoirs publics de gagner la bataille de l’aménagement numérique du territoire, au travers des programmes France Très haut débit pour le fixe et New Deal pour le mobile. Le premier vise une couverture intégrale du territoire en très haut débit en fixe pour 2022 et en fibre optique pour 2025. Le second a notamment pour ambition de faire basculer l’ensemble des antennes mobiles existantes en 4G d’ici à la fin de l’année et de résorber des milliers de zones blanches d’ici à 2025, par le déploiement d’un dispositif de couverture ciblée.

Malheureusement, la crise sanitaire menace la tenue de ces objectifs. On peut certes se féliciter que certains chantiers aient pu se poursuivre pendant la période de confinement, quand d’autres secteurs étaient à l’arrêt – je voudrais, à cet instant, saluer les acteurs de la filière. Il est cependant probable que certaines échéances ne pourront pas être tenues. C’est ce qui ressort des auditions que j’ai menées pendant le confinement pour la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable avec mes collègues Guillaume Chevrollier et Jean-Michel Houllegatte.

Il faut tirer plusieurs leçons de ces constats.

Premier enseignement, la crise ne doit pas empêcher le régulateur – l’Arcep – d’exercer son pouvoir de contrôle et de sanction en cas de non-respect des objectifs assignés aux opérateurs, en adaptant, s’il le faut, les échéances au contexte. Une chose est certaine : il faudra étudier les demandes de report des échéances formulées par les opérateurs au cas par cas et ne pas accepter n’importe quel retard justifié par la crise, d’autant plus que des doutes avaient été émis, avant même le début du confinement, sur le respect de certaines échéances, tant pour le fixe que pour le mobile.

Deuxième enseignement, l’État doit absolument se donner les moyens de son ambition. Lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2020, le Sénat avait proposé de doter le plan France Très haut débit de 322 millions d’euros supplémentaires – ces crédits étaient nécessaires pour couvrir intégralement le territoire par la fibre –, ce qui avait été refusé par le Gouvernement. La crise sanitaire démontre pourtant par les faits l’incroyable effet de levier des réseaux numériques sur les activités économiques et la modestie d’un tel investissement au regard de ses effets positifs. Il est certain que l’épidémie du Covid-19 impliquera des surcoûts pour les programmes de déploiement. La rallonge de 322 millions d’euros votée par le Sénat en décembre dernier et rejetée par le Gouvernement ne serait donc peut-être plus suffisante… Nous attendons aujourd’hui un engagement fort du Gouvernement à faire du déploiement de la fibre un des axes prioritaires du plan de relance.

J’en viens à mon troisième et dernier point. Il semble évident que certains freins non financiers devront être levés pour soutenir le déploiement des réseaux dans les territoires. À cet égard, certaines simplifications ont déjà été apportées, notamment sur l’initiative du Sénat, dans le cadre de la loi ÉLAN (loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique), et grâce à votre engagement, monsieur le ministre. Je pense, par exemple, à l’amélioration de l’accessibilité des poteaux du réseau électrique afin de faciliter le déploiement de la fibre en aérien. Je suis convaincu que nous pouvons, sur certains sujets techniques, trouver de nouveaux leviers de simplification.

Nous devons aussi accélérer le déploiement de la base adresse nationale. Aujourd’hui, 30 % des foyers français ne sont pas couverts par la base adresse, ce qui occasionne des difficultés de raccordement à la fibre. Ce taux est encore plus fort dans les territoires ruraux. Nous devons remédier à cela, par exemple en donnant très clairement la compétence aux maires pour la dénomination des voies et l’adressage et en confiant à l’Agence nationale de la cohésion des territoires la responsabilité d’accompagner les collectivités territoriales dans l’élaboration de leur base adresse locale.

Les chantiers sont donc nombreux. Vous pourrez compter, monsieur le ministre, sur la contribution du Sénat pour les faire avancer.

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