Intervention de Viviane Artigalas

Réunion du 27 mai 2020 à 15h00
La crise du covid-19 : révélateur de la dimension cruciale du numérique dans notre société. quels enseignements et quelles actions — Débat organisé à la demande du groupe union centriste

Photo de Viviane ArtigalasViviane Artigalas :

La crise sans précédent que nous traversons a bouleversé nos usages et nos habitudes de vie. Ces deux mois de confinement, d’autant plus difficiles à vivre que la situation était inédite, ont été rendus en grande partie supportables grâce au numérique.

À la faveur de la crise, l’accès de tous au numérique est apparu comme un nouveau droit fondamental, celui de bénéficier, quel que soit le territoire, d’une connexion internet suffisamment opérationnelle pour pouvoir travailler, se soigner et accéder aux services publics dans de bonnes conditions.

Si le numérique a été un amortisseur social de la crise, les inégalités liées à son accessibilité se sont trouvées aggravées. Sur ce plan, tous les Français ne sont pas égaux. Le Défenseur des droits a d’ailleurs alerté récemment sur les risques de perte de droits ou de non-accès aux droits qu’emporte la méconnaissance de l’outil numérique.

La fracture numérique soulève la question centrale de l’inclusion des territoires et des usagers. J’ai déjà alerté le Gouvernement sur le sentiment d’abandon et d’insécurité ressenti par les habitants des territoires ruraux et montagnards. La crise a clairement illustré les inégalités territoriales en matière de numérique. Certains cumulent les handicaps en termes de réseau, de matériel, de capacités d’utilisation. Mon collègue Jean-Michel Houllegatte complètera mon propos, qui est centré sur l’inclusion numérique.

La fracture numérique peut, chez nos concitoyens, se manifester par un manque de maîtrise des usages et des outils du web, que ce soit à cause de l’âge, du niveau de formation, d’un handicap ou, tout simplement, de difficultés de lecture. Monsieur le ministre, vous avez ainsi évalué à 13 millions le nombre de Français qui ne savent pas se servir d’internet ; 20 % de la population a ainsi un accès limité ou inexistant aux procédures dématérialisées.

La crise a encore renforcé l’urgence de s’interroger sur la pertinence des politiques de dématérialisation engagées depuis le début du quinquennat. La dématérialisation généralisée des agences de service public – préfectures, trésoreries, agences Pôle emploi, agences de l’habitat… – plaçait déjà nombre de nos concitoyens dans une situation de grande fragilité technologique.

Si la dématérialisation peut permettre une simplification et un gain de temps, elle doit être accessible à tous, ce qui n’est pas le cas actuellement. En effet, elle s’est parfois faite dans l’urgence et de manière radicale, sans aucune préparation, sans formation ni accompagnement à l’usage des nouveaux outils, qui sont complexes. Cela limite l’accès aux aides de l’État pour certains de nos concitoyens, particulièrement les plus fragiles.

Ces difficultés concernent également les entreprises, notamment les plus petites d’entre elles – je pense par exemple à la dématérialisation des marchés publics.

Or ces difficultés d’accès aux services publics mettent à mal l’égalité républicaine, et la crise a considérablement accentué ce phénomène. C’est d’autant plus dommageable qu’internet est un outil de résilience qui peut nous aider à relancer l’économie et à améliorer le quotidien de nos concitoyens.

Si l’accès au numérique devient un droit fondamental pour tous les Français, il faut que l’État le garantisse au même titre que le droit à un logement digne ou la liberté d’expression. Cela passe par la reconnaissance d’un véritable service public de la médiation numérique et le déploiement de moyens massifs pour accompagner les publics les plus éloignés du numérique.

Nous formulons à ce titre plusieurs propositions, dont je ne citerai que les principales : conditionner l’objectif de 100 % des services publics dématérialisés en 2022 à la couverture numérique complète du territoire et à l’inclusion numérique ; coconstruire les plateformes numériques avec les usagers ; faire en sorte que l’inclusion numérique passe nécessairement par l’échelon local, en créant un maillage de médiation numérique qui s’appuiera sur les communes ; mettre en place un accompagnement personnalisé d’ultraproximité qui permette d’aller vers les exclus du numérique ; équiper chaque foyer d’un matériel informatique performant d’ici à 2022 et optimiser le recyclage des équipements informatiques obsolètes ; enfin, pour servir ces quelques objectifs, redéployer le fonds pour la société numérique de la Caisse des dépôts et consignations, qui représente tout de même 4, 5 milliards d’euros.

Le numérique a un rôle capital à jouer pour contribuer à forger une société plus égalitaire, sobre et durable. La sortie de crise ne pourra faire l’économie d’une nouvelle stratégie en matière numérique, et nous savons tous à quel point nous n’avons pas le droit de manquer ce tournant, sauf à prendre le risque que nos droits fondamentaux, nos libertés publiques et notre équilibre économique et social payent un lourd tribut.

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