Intervention de Jean-Michel Houllegatte

Réunion du 27 mai 2020 à 15h00
La crise du covid-19 : révélateur de la dimension cruciale du numérique dans notre société. quels enseignements et quelles actions — Débat organisé à la demande du groupe union centriste

Photo de Jean-Michel HoullegatteJean-Michel Houllegatte :

À la faveur de la crise, le numérique s’est affirmé comme un formidable outil de continuité de la vie de notre pays, un facteur de résilience de notre société, un bien essentiel, un nouveau droit, un service de base, au même titre que l’eau et l’électricité. Aussi devons-nous saisir l’occasion de la transcription en droit français de la directive européenne concernant le service numérique universel pour engager un débat au Parlement, afin de définir les contours et les modalités de ce service.

Les réseaux ont tenu face à l’accroissement significatif des usages : le trafic internet a en effet augmenté de 20 % à 30 % et le trafic voix a été multiplié par deux ! Mais la crise a mis aussi en relief les fragilités liées aux fractures numériques, qu’elles soient territoriales ou sociales, comme l’a souligné avant moi Viviane Artigalas. Les naufragés du Net, dont on estime le nombre à 13 millions, ont, pour certains, bénéficié de quelques bouées de sauvetage, dont la distribution à titre caritatif n’a pas manqué d’être médiatisée… Ce n’était pas à la hauteur de l’enjeu, à savoir rétablir une égalité de droits.

De même, le télétravail a créé une nouvelle barrière sociale entre ceux qui avaient la possibilité d’y recourir et les autres, entre les protégés et les exposés.

Concernant la fracture territoriale, nous devons poursuivre et accélérer le déploiement des réseaux, dont le rythme s’est ralenti. Certes, les opérateurs, hormis la fermeture des boutiques commercialisant produits et services, ont été peu impactés, à l’inverse des entreprises de BTP ou de maintenance, qu’il faut continuer à soutenir, sauf à perdre les compétences durement acquises ces derniers temps, qui ont permis à la filière de livrer 4 millions de prises en 2019. Les réseaux d’initiative publique, qui démontrent chaque jour que les infrastructures sont un bien commun, doivent être soutenus par le biais du guichet numérique afin de boucler les plans de financement.

Dans le même ordre d’idées, les leçons de l’expérimentation menée pour fluidifier les procédures administratives doivent être tirées en ce qui concerne les permissions de voirie, l’accès aux colonnes montantes des copropriétés ou les appuis communs sur les réseaux électriques. Enfin, concernant la téléphonie mobile, les engagements du New Deal doivent être tenus.

Mais cette crise a aussi mis en relief la vulnérabilité du Net et, sans doute, la nécessité de nouvelles régulations.

La ruée vers le numérique a fait que les noms d’applications comme Webinaire, Zoom ou BlueJeans sont passés dans le langage commun. Dans la précipitation, nous avons produit de la donnée, entrouvert les portes de nos systèmes d’information, alors que la cybercriminalité individuelle ou organisée, y compris étatique, n’a cessé de progresser.

Nous devons, au plan national, renforcer notre action pour la production de services numériques sécurisés en gérant les données comme une ressource précieuse, constituant le carburant qui alimente la nouvelle économie numérique, et ne pas laisser aux Gafam la possibilité d’accroître leurs monopoles.

La régulation doit concerner également les flux, pour éviter les embouteillages sur les nouvelles autoroutes de l’information. D’ailleurs, les opérateurs ont appelé les consommateurs à faire preuve de « civisme numérique ». Même si les principaux acteurs, comme Netflix, ont réduit de 25 % l’intensité de trafic et si YouTube a paramétré ses vidéos, par défaut, sur une qualité d’image standard, voire dégradée, la crise met en évidence le poids considérable pris par le streaming vidéo dans les usages numériques : il représente environ 50 % du trafic internet en France ! Elle met aussi en lumière notre dépendance aux grands acteurs du streaming, presque tous américains, et nous incite à revisiter, certes avec précaution, le principe de neutralité du web pour canaliser les flux liés à ces usages vidéo.

Enfin, n’oublions pas que le numérique a une empreinte environnementale, même si ses externalités sont largement positives. Les flux de données à stocker, les terminaux, dont la fabrication consomme des matières premières, ont un impact grandissant sur l’environnement.

Monsieur le ministre, cette crise démontre la nécessité de construire une stratégie numérique républicaine englobant les infrastructures, les services et les usages, pour un numérique durable au service de tous nos concitoyens.

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