Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d’abord m’associer aux nombreux remerciements qui ont été adressés au groupe Union Centriste, et plus particulièrement à vous, madame Loisier, pour avoir inscrit à l’ordre du jour ce débat sur une question ô combien importante.
Je vous prie d’excuser Cédric O, retenu à l’Assemblée nationale par le débat sur StopCovid, qui se tiendra ce soir dans votre hémicycle.
Je souhaiterais vous faire part d’un certain nombre de convictions.
Ma première conviction, exprimée par beaucoup d’entre vous, c’est que pouvoir accéder au numérique, à internet, à la téléphonie mobile, est aujourd’hui non pas un luxe, mais un droit. Ce n’est pas un luxe, parce que c’est une nécessité, et c’est un droit, parce que l’égalité est l’un des principes fondamentaux de notre République. Or l’égalité n’est pas assurée lorsque l’on ne bénéficie pas du même accès au numérique et à la téléphonie mobile selon le territoire où l’on vit.
Ma deuxième conviction, c’est qu’on a eu trop tendance à présenter le numérique comme le remède miracle à beaucoup de maux, notamment en matière d’aménagement du territoire. On a trop souvent dit à certains de nos concitoyens : « Ne vous inquiétez pas, si cet aménagement n’est pas réalisé, c’est parce que le numérique arrive. » En fait, année après année, on constatait des suppressions de services, mais le numérique n’arrivait pas dans tous les territoires… Il est donc extrêmement important de souligner que, bien loin de combler les inégalités territoriales, le numérique les a plutôt accentuées pendant nombre d’années. Cela rend d’autant plus impérieuse la nécessité de couvrir le territoire de manière massive, tout en accompagnant les usages.
Voilà trois ans, quand j’ai pris mes fonctions, au cours d’un tel débat, nous ne parlions que des infrastructures, très peu des usages. Aujourd’hui, on parle beaucoup plus des usages, ce qui veut dire que le débat a évolué, parce que, précisément, beaucoup de choses ont été faites en matière d’infrastructures, et pas uniquement par le Gouvernement : je n’oublie jamais que le donneur d’ordres, in fine, en matière de déploiement du numérique ou de téléphonie mobile, c’est la collectivité territoriale. En fait, ma troisième conviction est que c’est l’action d’une équipe du numérique réunissant les collectivités territoriales, les opérateurs et l’État, intervenant en appui, qui a permis que l’on parle désormais beaucoup plus des usages, les infrastructures se déployant de manière beaucoup plus rapide qu’il y a trois ans.
Comme l’ont souligné les sénateurs Chaize et Houllegatte, le premier constat est que les réseaux ont tenu pendant toute la période du confinement. Nous pouvons être fiers de nos opérateurs du numérique. Je salue l’action du secrétaire d’État au numérique et de ses équipes, qui se sont fortement mobilisés.
Mmes Loisier, Assassi et Saint-Pé, MM. Collin, Chaize, Houllegatte et Chevrollier m’ont interrogé sur la progression du déploiement des infrastructures.
Nous avons d’abord opéré un changement de paradigme en janvier 2018, avec ce que l’on a appelé le New Deal. En fait, on se plaignait depuis des années d’un système coconstruit en premier lieu par l’État, qui organisait tous les deux ans des enchères et demandait beaucoup d’argent aux opérateurs. Ces derniers, pour rentabiliser leurs investissements, s’attachaient à couvrir prioritairement les zones denses. Nous avons donc changé les choses avec le New Deal : désormais, on demande moins d’argent aux opérateurs, mais on leur impose des obligations en termes de développement des infrastructures dans les territoires.
Fin 2019 a été lancée la couverture de 1 361 zones blanches. Dans les tout prochains jours, je publierai un décret pour en ajouter 481 nouvelles. Cela fera près de 1 800 zones blanches en voie de couverture, avec obligation de mise en service. Lors du précédent quinquennat – je suis bien placé pour le savoir, puisque j’y travaillais au côté d’Emmanuel Macron –, le programme « mobile » avait identifié 600 zones blanches, dont bon nombre, in fine, n’avaient pas été couvertes, faute d’obligation de résultat. L’un des éléments fondamentaux du New Deal est qu’il y a une obligation de résultat, avec un pouvoir de sanction dévolu à l’Arcep.
Plusieurs d’entre vous l’ont dit, en 2019 ont été installées 4, 8 millions de prises raccordables, soit deux fois plus qu’en 2017. Là aussi, c’est grâce à la grande équipe du numérique constituée des collectivités territoriales, donneurs d’ordres et premiers financeurs, des opérateurs et de l’État, qui accompagne.
Les opérateurs ont été touchés par la crise. Que fait-on pour retrouver le niveau d’avant celle-ci ?
Tout d’abord, nous poursuivons le soutien au titre du FSN, le fonds de solidarité numérique. Nous disposons aujourd’hui d’une enveloppe de 280 millions d’euros. Un cahier des charges a été présenté en février 2020. Le retour des collectivités territoriales est attendu jusqu’au 15 septembre.
Ensuite, nous allons permettre le versement d’acomptes au titre du FSN, pour faire en sorte que les choses aillent plus vite.
Par ailleurs, nous serons très attentifs au respect par les opérateurs des engagements calendaires, sauf s’il est justifié d’en décaler certains. Cependant, nous continuerons à « mettre une bonne pression dans le tube », pour reprendre une expression que j’ai employée hier devant votre commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.
Enfin, nous avons annoncé la création d’un guichet « cohésion des territoires », aux fins de donner un coup de pouce de 150 euros à ceux de nos concitoyens qui ont besoin d’une technologie autre que filaire. Le dispositif n’étant pas utilisé à plein, nous allons élargir les critères d’éligibilité pour pouvoir accompagner plus de personnes.
Nous avons beaucoup travaillé avec Enedis, madame Loisier, pour faire en sorte que, lorsque des difficultés apparaissent ici ou là, on puisse adresser directement les bons messages au bon endroit. Une plateforme recensant les incidents a ainsi été créée : plus de deux cents signalements de difficultés de raccordement électrique ou autres ont été faits.
Concernant la méthode, nous avons mis en place une sorte de comité de pilotage depuis maintenant deux ans. Je l’ai réuni en début de semaine avec Agnès Pannier-Runacher et Jacqueline Gourault. Y sont représentés toutes les associations d’élus, y compris celles d’élus de montagne, madame la sénatrice Artigalas, les opérateurs et, bien évidemment, l’État. Ce comité de pilotage permet un suivi très précis.
Nous allons continuer à travailler sur la base adresse nationale avec vous, monsieur le sénateur Chaize, en lien avec l’Agence nationale de la cohésion des territoires, l’ANCT.
En définitive, les deux objectifs d’un « bon » débit pour tous en 2020 et du très haut débit pour tous en 2022 doivent être tenus ; décaler ces échéances n’est pas du tout à l’ordre du jour.
Mme Artigalas, MM. Collin et Mizzon ont fait observer que beaucoup de nouveaux usages du numérique sont apparus pendant la crise que nous avons traversée.
Je pense par exemple au maintien du lien social et éducatif. En tant que père de quatre enfants, j’ai pu mesurer tout l’intérêt des cours à distance, de la « Nation apprenante », mais, parallèlement, en tant que ministre de la ville, je me suis aussi rendu compte que c’était terriblement inégalitaire. Ainsi, le taux de décrochage des élèves était très élevé dans un certain nombre de quartiers prioritaires de la politique de la ville. J’ai rencontré à Trappes, voilà quelques jours, des mères de famille qui m’ont expliqué toutes les difficultés qu’elles avaient rencontrées, pendant la période de confinement, pour assurer la continuité éducative. Nous avons donc mis en place un fonds de 10 millions d’euros pour acheter du matériel informatique et rendre possible cette continuité éducative sur un certain nombre de territoires ; il est déjà plus qu’à moitié consommé un mois après sa création.
Cet exemple montre très bien en quoi le numérique peut à la fois jouer un rôle très positif et contribuer à creuser les inégalités.
Un deuxième usage du numérique qui s’est développé à l’occasion de la crise, c’est la télémédecine : le nombre de consultations selon cette modalité est passé de 10 000 avant la période de confinement à 500 000 fin mars, puis à un million début avril, soit une multiplication par 100.
Pour les responsables politiques que nous sommes, c’est un élément qui doit absolument être pris en compte. Comment aller plus loin ? Le Gouvernement avait déjà commencé à travailler sur ce sujet, notamment en permettant un certain nombre de remboursements au titre de la télémédecine. Puisque vous aurez tout à l’heure un débat sur l’application StopCovid, je n’en parlerai pas ici.
On a également constaté des usages de solidarité, avec un développement incroyable du recours aux réseaux pour maintenir le lien social. Je me bornerai à citer l’exemple des plateformes mettant en relation les associations recherchant des bénévoles et les personnes souhaitant s’engager. Le numérique peut permettre à la solidarité de s’organiser. C’est un point très important à souligner.
J’en viens à la question de la formation. Beaucoup d’entre vous l’ont dit, dans notre pays, 13 millions de personnes déclarent aujourd’hui être en situation d’illectronisme. Ce sont autant de personnes qui voient le TGV passer en bas de chez eux sans pouvoir y monter ! C’est l’autre grand facteur de creusement des inégalités. Pour y remédier, le Gouvernement a déployé un certain nombre de dispositifs, en lien avec les collectivités territoriales. Je pense évidemment au pass numérique, à la structuration de lieux de médiation et de formation, ainsi qu’aux plus de 1 800 tiers lieux en voie de déploiement sur notre territoire, autant dans les zones urbaines qu’en milieu rural. Je remercie le sénateur Collin d’avoir mentionné ce dispositif, pour lequel le Gouvernement a lancé un grand plan de développement, que nous avons annoncé, avec Jacqueline Gourault, quelques semaines avant le début du confinement : il s’agit de créer 300 nouveaux tiers lieux, dont 150 dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, le numérique étant un vecteur d’excellence pour ces territoires.
J’évoquerai enfin la plateforme Solidarité numérique, créée sur l’initiative du secrétaire d’État Cédric O, qui a été beaucoup utilisée pendant la période de confinement.
Je prends bonne note des propositions formulées à la fois par Mme Artigalas et M. Mizzon, qui en appellent à une volonté politique d’aller encore plus loin en matière d’usages du numérique pour la formation. C’est aussi l’objet de la proposition de loi évoquée par Mme la sénatrice Lamure.
Sur le plan économique, la priorité a été de soutenir des acteurs du numérique. Je pense au plan de soutien aux start-up de 3 milliards d’euros qui a été mis en place immédiatement pour aider ces futurs fleurons de l’économie française.
Au-delà de ce plan, au-delà des préfinancements, au-delà de l’utilisation du programme d’investissements d’avenir (PIA), il y a tout ce que nous faisons depuis maintenant trois ans en faveur du développement de cette économie. Je ne citerai qu’un exemple à cet égard : la création du Next40.
Enfin, à propos du télétravail, beaucoup de bonnes questions ont été posées, auxquelles je n’apporterai aucune réponse certaine.
Le constat qui a été rappelé par l’un d’entre vous est très juste : avant la crise, le recours au télétravail était en France moitié moindre que la moyenne européenne. Le télétravail a bouleversé l’ensemble de notre société pendant la période de confinement. Cela va-t-il conduire à beaucoup de changements durables ? En tout cas, ce qui est sûr, c’est que le regard de beaucoup d’entre nous sur le télétravail a évolué.
Le gouvernement auquel j’appartiens croit beaucoup au télétravail. D’ailleurs, les ordonnances prises par Mme la ministre du travail le favorisent grandement, puisqu’elles permettent à des salariés de demander sa mise en place à leurs employeurs.
Cependant, certaines questions très justes ont été soulevées au cours de ce débat, comme celle du lien entre télétravail et inégalités sociales. Il ne faudrait pas qu’il y ait, d’un côté, une France de cols blancs pouvant accéder au télétravail, et, de l’autre, une France de cols bleus privés de cette possibilité, comme cela a parfois pu être observé pendant la crise sanitaire. L’isolement social est un autre vrai sujet, qu’il nous faut aussi aborder.
À ces questions, nous n’avons pas de réponses préconçues. Cela doit nous amener à travailler pour appréhender les conséquences de l’ampleur nouvelle prise par le télétravail à la suite de la crise que nous avons traversée. Comme l’a rappelé Mme Assassi, le télétravail produit des effets sur d’autres considérants. Ainsi, on observe que, depuis la sortie du confinement, beaucoup de demandes de nos concitoyens en matière de logement ont changé. Le logement devient un nouveau lieu d’usage du numérique : il est très important de le prendre en compte.
Enfin, plusieurs d’entre vous, en particulier Mme Loisier et M. Houllegatte, ont évoqué la question de la régulation des plateformes numériques, notamment à l’échelle européenne. Après plusieurs années de discussions, la Commission européenne a adopté, à l’été 2019, un règlement, dit « Platform to b usiness », qui entrera automatiquement en vigueur dès le 12 juillet 2020 et contribuera à renforcer la protection des consommateurs sur les grandes plateformes numériques. Un projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne, qui doit être présenté prochainement au Parlement, permettra d’adapter notre droit aux nouvelles dispositions qui s’appliqueront dans le cadre de ce règlement européen, au travers notamment d’un renforcement des pouvoirs de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).
En conclusion, je tiens d’abord à vous remercier une nouvelle fois, madame Loisier, ainsi que l’ensemble des membres de votre groupe, d’avoir pris l’initiative de ce débat. On ne doit jamais oublier que c’est toujours l’humain qui doit être placé au centre du numérique. C’est selon moi essentiel. Contrairement à ce que l’on a beaucoup dit jusqu’à présent, le numérique a trop souvent constitué un facteur de creusement des inégalités. C’est pourquoi nous devons complètement inverser la donne : avec le New Deal, nous avons changé de paradigme. Le numérique doit bien évidemment être un élément essentiel d’une relance économique qui soit à la fois inclusive, durable et résiliente, pour reprendre les mots de M. le sénateur Chevrollier.