Intervention de Jean-François Longeot

Réunion du 27 mai 2020 à 15h00
La crise du covid-19 : relocalisation des productions stratégiques pour assurer notre souveraineté. lesquelles où comment — Débat organisé à la demande du groupe union centriste

Photo de Jean-François LongeotJean-François Longeot :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe Union Centriste est ravi que ce débat sur la relocalisation des productions stratégiques puisse se tenir. Un tel débat ne peut, bien entendu, laisser de côté la crise actuelle, mais nous voulons le rendre plus aigu, en interrogeant la mondialisation telle que nous la connaissons et telle que nous la souhaitons.

En tant qu’Européens convaincus, nous avons la chance de pouvoir influer sur le cours de cette mondialisation, même si beaucoup en doutent, au premier rang desquels les Européens eux-mêmes. Le virus qui sévit aujourd’hui nous a démontré notre dépendance envers la Chine et a mis en lumière que la mondialisation actuelle, synonyme d’interdépendances sans solidarités, se caractérise en réalité par des chaînes de production mondiales fonctionnant en flux tendu : les vulnérabilités de notre approvisionnement apparaissent au grand jour en situation de crise.

Voici donc la question légitime qui se pose : comment faire en sorte que la France et, plus largement, l’Union européenne s’assurent une indépendance stratégique, notamment en matière sanitaire ?

Dans un premier temps, il nous faut comprendre les ressorts de la localisation des entreprises. À ce titre, croire que la mondialisation se limite à la suppression des droits de douane serait un leurre, tout comme vouloir expliquer les délocalisations par les seuls avantages comparatifs des différents territoires au sens de Ricardo. En réalité, les délocalisations nous ont permis d’accéder à des marchés émergents à croissance rapide tout en faisant baisser nos coûts. À titre d’exemple, seuls 4 % des investissements directs français à l’étranger correspondent à des délocalisations motivées par des différences de coûts salariaux et impliquant la réimportation des produits finaux.

Néanmoins, le mouvement de délocalisation conduit à des spécialisations régionales qui font émerger un modèle économique opposant les activités de conception, dans les pays du Nord, à celles de production, dans les pays du Sud. La crise actuelle a démontré qu’une telle situation n’était pas viable du point de vue stratégique : toute activité de production ne peut et ne doit pas être abandonnée. C’est pourquoi notre groupe appelle de ses vœux un taux minimum de production sur le territoire européen, notamment pour les laboratoires pharmaceutiques, ainsi que la constitution systématique de stocks.

Dans certains cas, la délocalisation est réversible : on parle alors de relocalisation. Les relocalisations ont connu quatre vagues depuis la fin des années 1970 ; elles étaient justifiées par des problèmes de qualité des produits, des augmentations des coûts de personnel ou encore des coûts de coordination et de suivi. Souhaitons-nous, dès lors, envisager une nouvelle vague de relocalisations ? Si le constat semble unanime, quels en seraient alors les ressorts ?

De fait, la plupart des entreprises qui ont décidé de relocaliser leur production l’ont fait indépendamment des aides publiques. Ainsi, sur la centaine de relocalisations relevées en France depuis le milieu des années 2000, seules six entreprises témoignent avoir bénéficié d’une aide pour y procéder. En effet, de telles aides risquent surtout d’attirer des chasseurs de primes, ces entreprises nomades ou volatiles qui quittent le territoire à l’approche de la fin de la période d’exonération. En réalité, les relocalisations pérennes s’expliquent par des motifs de compétitivité par l’innovation, et non par les prix.

Dès lors, si nous souhaitons relocaliser une partie des productions stratégiques, privilégions donc les relocalisations néo-schumpetériennes d’innovation plutôt que les relocalisations tayloriennes visant à une baisse des coûts. Je pense, bien sûr, à la recherche médicale, mais également à l’hydrogène en tant qu’énergie de rupture technologique propre non seulement à conforter notre souveraineté, mais également à nous donner une avance technologique.

Dans un second temps, il nous faut comprendre les limites des relocalisations et définir des ambitions industrielles renouvelées.

Depuis les années 1990, les investisseurs américains comme européens se sont plutôt tournés vers la semi-périphérie asiatique que vers le voisinage proche ; il nous faut en partie inverser la tendance. Ne confondons pas pour autant vision stratégique et discours souverainiste ! Ce dernier fait le constat que la souveraineté économique ne coïncide plus avec la souveraineté politique. C’est le diagnostic lucide, quoique tardif, d’une fragmentation des chaînes de valeur, mais prôner un retour en arrière s’opérant uniquement sous les injonctions d’un État-nation fantasmé est totalement vain.

Face à la régionalisation caractérisant actuellement la mondialisation, nous avons une chance à saisir : celle d’une souveraineté industrielle européenne.

À cet égard, la nouvelle stratégie industrielle présentée par la Commission européenne en mars dernier représente un bon point de départ : une réflexion bienvenue a été engagée en matière de concentrations pour mieux tenir compte de la concurrence à l’échelle mondiale. Cette démarche pourrait, très prochainement, nous permettre de créer un « Airbus du rail », grâce à l’acquisition par Alstom des activités ferroviaires du groupe canadien Bombardier, ainsi qu’un « Airbus naval », à l’issue des discussions menées entre les Chantiers de l’Atlantique, à Saint-Nazaire, et l’italien Fincantieri. De même, les projets importants d’intérêt européen commun (PIEEC) permettent aux États membres de soutenir des projets transnationaux d’importance stratégique, qu’il s’agisse de la microélectronique ou, plus récemment, des batteries électriques.

Ne nous exemptons pas pour autant d’une réflexion nationale sur notre industrie, que nous devons impérativement moderniser ! À ce titre, l’industrie du futur constitue une occasion unique de rendre l’industrie française plus attractive et compétitive. Si la France possède des atouts pour accélérer son déploiement, les efforts à cette fin doivent être rationalisés au regard de la trop grande fragmentation des dispositifs de financement, d’accompagnement et de formation.

Que l’on veuille produire sur notre sol des produits de première nécessité, quand c’est indispensable, ou surtout des produits stratégiques à forte valeur ajoutée, la question des coûts de production et de la nécessaire baisse de la fiscalité de production se pose toujours. Ces impôts, similaires à une taxe sur la taxe, constituent en effet un facteur d’explication de l’écart de compétitivité-coût entre la France et ses partenaires commerciaux : cette fiscalité est en effet chez nous sept fois plus élevée qu’en Allemagne et deux fois supérieure à la moyenne de la zone euro.

Mes chers collègues, il ne s’agit pas d’être pour ou contre la mondialisation : le sujet qui nous occupe est bien celui de son amélioration du point de vue de l’intérêt général. L’intégration économique n’est pas une fin en soi : il revient au politique de lui donner un sens afin de relativiser les bienfaits de la main invisible smithienne.

La relocalisation des productions stratégiques passe alors par l’identification des secteurs essentiels à notre pays, ainsi que par des mesures ciblant les défaillances spécifiques du marché, comme l’illustre l’impérative nécessité de faire de tout vaccin un bien public mondial.

Enfin, alors que la lutte contre le coronavirus nous a fait découvrir notre vulnérabilité et, par effet de miroir, notre trop forte dépendance à la Chine, nous tenons à saluer la démarche franco-allemande de relance européenne. Si nous refusons le confort idéologique consistant à prôner un protectionnisme aveugle et vain, nous appelons en revanche de nos vœux une souveraineté européenne renouvelée et l’esquisse d’une Europe de la santé, car nous sommes convaincus qu’il est ainsi possible de remettre en cause le constat amer de Paul Valéry, selon lequel l’Europe risque de devenir « un petit cap du continent asiatique ».

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