Intervention de Dany Wattebled

Réunion du 27 mai 2020 à 15h00
La crise du covid-19 : relocalisation des productions stratégiques pour assurer notre souveraineté. lesquelles où comment — Débat organisé à la demande du groupe union centriste

Photo de Dany WattebledDany Wattebled :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le dire est désormais un lieu commun : la crise du coronavirus constitue un choc d’une rare violence. La crise n’est pas seulement sanitaire ; elle est aussi économique et géopolitique. Tous ces aspects sont étroitement liés.

Le choc de la crise a obligé tous les pays à réagir très vite, rarement de façon coordonnée, en mobilisant leur système de santé et leur tissu économique. Nul n’était prêt à faire face à ce virus. Tous les gouvernements ont été confrontés à une même réalité : le monde est interdépendant.

Des crispations sont apparues, car le temps est passé où l’État disait et l’administration suivait. Nous n’avons pas renoncé à notre souveraineté ; simplement, les temps ont changé. On ne peut pas construire la souveraineté nationale au XXIe siècle comme on le faisait au siècle dernier.

Le débat d’aujourd’hui porte sur la relocalisation des productions stratégiques.

Je veux commencer mon propos par une clarification : la crise du Covid-19 n’est pas une crise de la mondialisation. La mondialisation n’est pas la cause de la crise ; celle-ci n’en a pas non plus montré les limites. Ne cédons pas aux discours simplistes !

La mondialisation des échanges profite aux producteurs comme aux consommateurs. Ce n’est pas l’interdépendance qui pose problème, mais la seule dépendance.

De ce point de vue, la théorie économique et le bon sens paysan convergent : il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier.

Nous ne devons pas jouer l’économie de marché mondialisée contre la souveraineté nationale : la seconde ne s’acquiert que par la première. L’histoire l’a déjà prouvé et le prouvera encore. Pour ceux qui en douteraient encore, il suffit de penser aux deux plus grandes économies mondiales. Les États-Unis comme la Chine ont acquis leur puissance par l’économie de marché et le commerce international. Dans les deux cas, malgré des trajectoires totalement différentes et même opposées, l’ouverture à l’international constitue la clé de la puissance.

Toutefois, ces deux exemples nous incitent aussi à ne pas faire preuve de naïveté en matière de souveraineté. Il faut confronter la théorie économique au principe de réalité. Ici encore, les exemples des États-Unis et de la Chine sont révélateurs. D’un côté, la Chine, le plus libre-échangiste des pays communistes, se développe par un capitalisme d’État qui veille surtout aux intérêts nationaux, quitte à verrouiller son marché intérieur. De l’autre, les États-Unis, le plus interventionniste des pays libéraux, n’hésitent pas à lancer des offensives contre certains pays, parfois même alliés, pour assurer leur souveraineté nationale.

Dans les deux cas, de grands groupes privés agissent comme les bras armés d’un pouvoir politique. Je ne pense pas que nous devions suivre leur modèle, mais je sais aussi que nous ne devons pas en subir les conséquences. Nos valeurs doivent non pas nous affaiblir, mais nous renforcer.

En effet, nos entreprises sont l’objet de convoitises étrangères. C’est le cas de nombreux fleurons industriels français. Nous devons faire preuve de lucidité, car un rachat par une entreprise étrangère peut nuire à nos intérêts stratégiques. Je pense au rachat de la branche énergie d’Alstom par General Electric au regard de la maintenance de nos réacteurs nucléaires.

Je tirerai de ces exemples trois leçons pour la préservation de nos intérêts stratégiques.

D’abord, la souveraineté passe par le maintien sur le territoire national des centres de décision plus que des unités de production. Il faut miser sur les activités à forte valeur ajoutée pour peser sur les décisions stratégiques.

Ensuite, pour défendre nos valeurs de liberté et d’innovation, mieux vaut miser sur les forces du marché que sur une économie administrée. C’est dans cette logique que doit s’inscrire notre politique économique.

Enfin, pour peser face aux géants, la France a besoin de l’Europe. La révolution numérique a fluidifié les échanges et les communications. Nous devons miser sur notre capital humain et encourager la circulation des talents et des idées à l’échelle européenne.

Il s’agit donc d’adapter le projet humaniste qui se trouve au fondement du rêve européen à la réalité du XXIe siècle. Cela passe notamment par la révision de nos règles de concurrence, afin de favoriser l’émergence de géants européens. Nous avons besoin de nouveaux groupes du type d’Airbus dans plusieurs secteurs.

Mes chers collègues, l’esprit français est toujours tiraillé entre des instincts contraires. Comme nous avons eu Voltaire contre Rousseau, nous avons eu Turgot contre Colbert. L’un et l’autre peuvent nous inspirer utilement, les deux continuent de nous tirailler.

Nous avons besoin d’entreprises françaises aussi fortes qu’indépendantes. Cela nous oblige à faire preuve de réalisme et de détermination face aux puissances étrangères prédatrices de nos fleurons industriels.

Des solutions existent pour protéger nos entreprises sans que l’État contrôle l’économie. Par exemple, instaurer la taxe carbone aux frontières permettrait à nos entreprises d’être sur un pied d’égalité avec leurs concurrentes étrangères, et ce sans nuire à la dynamique du marché.

Notre souveraineté ne passera pas par le recours à une économie administrée. Laissons les énergies s’exprimer dans tous les territoires. Laissons parler Turgot !

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