Intervention de Jean-Claude Tissot

Réunion du 27 mai 2020 à 15h00
La crise du covid-19 : relocalisation des productions stratégiques pour assurer notre souveraineté. lesquelles où comment — Débat organisé à la demande du groupe union centriste

Photo de Jean-Claude TissotJean-Claude Tissot :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, chers collègues, la crise due au Covid-19 a jeté une lumière crue sur notre dépendance à l’égard d’acteurs lointains. Elle nous invite ainsi à reconsidérer en profondeur notre système économique, avant de le relancer.

La France, sixième puissance économique mondiale, qui possédait le meilleur système de santé du monde il y a encore quelques années, s’est pourtant trouvée fort démunie face à cette épidémie. Au nom d’un modèle présenté comme « l’horizon indépassable de l’humanité », notre pays a été progressivement réduit à l’impuissance : système hospitalier et recherche publique affaiblis, tissu industriel démantelé, entreprises et savoir-faire délocalisés…

Avec la crise engendrée par cette pandémie, on se rend finalement compte que ceux qui ont privilégié une logique de rentabilité immédiate plutôt que de soutenir l’investissement dans les secteurs stratégiques étaient davantage les cigales que les fourmis de la fable.

La prise de conscience de la nécessité de retrouver de la souveraineté est désormais largement partagée et transcende certains clivages politiques, comme le démontre le débat aujourd’hui.

Au sein du groupe socialiste et républicain, nous avons travaillé, ces dernières semaines, selon une démarche prospective, pour préparer le « monde d’après », et pouvons ainsi apporter quelques réponses aux questions posées à l’occasion de ce débat sur la relocalisation des productions stratégiques.

Quelles sont ces productions ? Les secteurs clés que nous identifions sont la santé, l’alimentation, l’énergie, les transports, le numérique, sans bien sûr oublier les productions industrielles qui se sont révélées indispensables dans la crise.

Où faut-il relocaliser ? La présence d’entreprises industrielles dans nos territoires conditionne de fait le maintien de nos emplois. Aussi la reconquête industrielle ne doit-elle pas se réaliser au détriment des territoires ruraux. Ceux-ci doivent profiter des plans de relance et de relocalisation industrielle.

Comment ? En assumant une rupture claire avec les politiques d’austérité menées ces dernières années et en prenant systématiquement en compte la préoccupation environnementale pour la reconstruction de notre système de production.

À la vision idéologique du « tout marché », nous proposons de substituer une vision pragmatique et d’analyser la faisabilité d’une relocalisation secteur par secteur.

Plus largement, notre assemblée a déjà produit de nombreuses réponses à ces questions, à travers différents travaux conduits ces dernières années. Mme Létard l’a mentionné : voilà un an, la mission d’information sur l’avenir de la sidérurgie préconisait un engagement fort de l’État pour soutenir cette filière, symbolique du déclin de l’industrie dans notre pays, pallier les défaillances du marché et relever les grands défis, comme celui de la décarbonation.

La crise a encore révélé d’autres faillites de notre appareil productif, particulièrement insupportables dans le secteur sanitaire. Dans de tels cas, la reprise de contrôle doit passer par une nationalisation. C’est dans ce sens que notre groupe a déposé une proposition de loi portant nationalisation des entreprises Luxfer, Famar et Peters Surgical. Madame la secrétaire d’État, je vous ai déjà interrogée sur ce sujet. Vous m’avez indiqué prendre l’attache des dirigeants de Famar. Mon collègue Gilbert-Luc Devinaz les a rencontrés voilà quelques jours : apparemment, aucun travail n’a encore été engagé avec le Gouvernement. Qu’en est-il ?

La proposition de résolution de notre collègue Françoise Laborde sur la résilience alimentaire des territoires et la sécurité nationale, présentée au mois de décembre dernier, s’est révélée particulièrement visionnaire ! Même si elle mettait plutôt l’accent sur le risque de catastrophe climatique, elle nous alertait sur la grande dépendance alimentaire de nos territoires et le ballet de camions qu’elle induit. Le degré d’autonomie alimentaire de nos territoires n’est que de 2 % en moyenne, alors même qu’ils disposent d’actifs agricoles permettant de couvrir 54 % des besoins de leurs habitants. Il ne manque donc que la volonté politique pour organiser la reconnexion entre production et consommation.

Dans tous les cas, la relocalisation de nos productions doit s’accompagner d’une reconversion écologique de notre industrie et de notre agriculture.

Cela implique, d’une part, un engagement massif de l’État dès le prochain plan de relance, et, d’autre part, un conditionnement des aides d’État à un engagement véritable des entreprises dans la transition écologique, ainsi qu’au maintien de l’emploi et des investissements en France.

Bien entendu, la reconversion écologique de notre industrie et la réindustrialisation de nos territoires doivent pouvoir s’appuyer sur l’Union européenne, notamment sur son « pacte vert ». Il faudra cependant aller plus loin et réorienter la construction européenne en faisant le pari de la coopération plutôt que de la concurrence libre et non faussée, et doter l’Union européenne d’un véritable budget, abondé par exemple par une taxe carbone aux frontières de l’Union européenne. Bien sûr, il faudra tourner le dos aux traités commerciaux, tels que le Tafta et le CETA, qui mettent à mal nos normes protectrices.

Enfin, cette reconquête industrielle doit être socialement inclusive, pour que l’on puisse véritablement s’attaquer à l’extrême pauvreté révélée par la crise, mais présente depuis des décennies en raison du creusement des inégalités.

Pour atteindre ces objectifs ambitieux, nous devons disposer d’indicateurs autres que le PIB, qui n’est que purement quantitatif et monétaire. Le groupe de réflexion sur les nouveaux indicateurs de richesse, créé sur l’initiative de notre collègue Franck Montaugé, a déjà produit deux propositions de loi particulièrement bienvenues pour penser le « monde d’après ».

De même, nous devons nous emparer de la notion de biens communs, qui questionne les limites de la marchandisation de la nature et du travail. C’est que vient de faire notre collègue Nicole Bonnefoy en déposant une proposition de loi visant à inscrire dans la Constitution les principes de protection du sol et de garantie de la souveraineté alimentaire.

Ainsi, les outils et les moyens pour relocaliser nos productions stratégiques ont, pour beaucoup, déjà été pensés sur ces travées.

Le Covid-19 et la crise qu’il a induite ont joué un rôle de révélateur de la trop grande dépendance de notre pays dans plusieurs secteurs clés. Pour que cette prise de conscience ne soit pas sans lendemain, il faut que de premiers jalons soient très vite posés afin de préparer une relocalisation durable, demain, des secteurs clés de notre économie.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion