Je vais essayer de répondre aux questions posées par nos collègues du groupe Union Centriste. Quelles productions stratégiques relocaliser ? Pour ma part, je parlerai du médicament. Où ? En France. Comment ? En créant un pôle public du médicament.
Ce faisant, je porterai également la voix de notre collègue Yves Daudigny, qui, dans des conditions de fonctionnement normal de notre assemblée, aurait été présent aujourd’hui et serait intervenu sur la question du médicament.
Deux dysfonctionnements majeurs affectent aujourd’hui l’accès aux médicaments : l’accroissement des pénuries de médicaments et, bien entendu, notre dépendance à l’égard de la Chine et de l’Inde. Ces deux dysfonctionnements conduisent à nous interroger sur un troisième, à savoir le prix de certains médicaments, qui est totalement déconnecté des coûts de production.
La France fait partie des pays dont les dépenses pharmaceutiques sont les plus élevées. Celles-ci représentent 38 milliards d’euros, dont 34 milliards d’euros sont remboursables par la sécurité sociale. D’un certain point de vue, l’industrie pharmaceutique est sans doute l’industrie la plus subventionnée dans notre pays. Le rapport entre les dépenses de la sécurité sociale et l’industrie du médicament nous conduit à réfléchir sur ce que devrait être une politique publique du médicament.
L’industrie pharmaceutique n’a pas totalement disparu en France, mais nous nous situons aujourd’hui au quatrième rang européen, alors que nous étions leaders dans ce secteur jusqu’en 2008.
Dans le secteur des principes actifs, la France s’est fait ravir tout le marché du paracétamol, par exemple, par l’Inde et la Chine. Il ne reste plus qu’une centaine de sites de production dans notre pays. Dans le domaine de la production de médicaments innovants, le bilan n’est pas meilleur. Sur 254 nouveaux médicaments autorisés entre 2016 et 2018, seulement 20 sont fabriqués en France. Et le retard est encore plus considérable pour la production de médicaments biologiques.
Parler de l’industrie pharmaceutique, c’est aussi évoquer les récentes pénuries de médicaments subies par les Français et les Européens. La pénurie de curare ou de morphine a été portée à la connaissance de tous par neuf grands hôpitaux européens en pleine pandémie ! Au quotidien, en 2019, quelque 1 450 médicaments étaient en rupture, dont 14 vaccins.
Ces pénuries sont la conséquence directe de la perte d’indépendance et de souveraineté productive de la France, en particulier en ce qui concerne les principes actifs.
Enfin, ces pertes de souveraineté, les suppressions d’emplois qui les accompagnent chaque fois que nous fermons un site et ces pénuries ont un coût social et sanitaire pour les patients, qui sont privés de leurs médicaments. Ce coût est donc très élevé pour la collectivité, mais ce n’est pas si grave, puisqu’il est pris en charge par la sécurité sociale !
Alors que de nombreux médicaments ont des coûts de production très faibles, leur prix est élevé, ce qui permet la réalisation de fortes marges. L’argument de la recherche, souvent avancé, n’est pas totalement honnête. En effet, les résultats en termes de recherche ne sont pas à la hauteur de l’argent public investi dans l’industrie pharmaceutique. La sécurité sociale finance la recherche privée au profit d’entreprises qui ne se sentent nullement engagées à l’égard de la France.
Ainsi, tout le monde a en mémoire les propos du directeur général de Sanofi, qui ont choqué tout le monde, mais dont la franchise et la crudité ne sont pas totalement surprenantes non plus : ceux qui paient recevront le vaccin en premier. Peu lui importe que son entreprise soit souvent désignée comme l’un des fleurons de l’industrie pharmaceutique française !
La recherche publique court perpétuellement après trois francs six sous, chacun le sait. Nous finançons largement la recherche privée, par la sécurité sociale, et, de ce fait, notre dépendance au marché mondialisé comme système économique, donc aux autres pays.
L’engagement de l’État est donc très attendu dans le secteur de l’industrie pharmaceutique, tout d’abord dans le cadre du comité stratégique de filière, bien sûr. Soyons honnêtes toutefois, retrouver notre souveraineté exigera d’explorer diverses voies, classiques ou originales.
Il pourra s’agir d’une simple relocalisation de la production de médicaments anciens, d’investissements modernes dans des produits innovants, de prises de participation, voire peut-être de nationalisations, ou encore de dispositifs aussi innovants que les médicaments que nous souhaitons promouvoir.
À cet égard, je pense, par exemple, aux coopératives de production imaginées par Arnaud Montebourg, lesquelles réuniraient industries pharmaceutiques, mutuelles et sécurité sociale. Cette proposition n’a, à mon sens, rien perdu de sa pertinence, comme d’ailleurs, et j’élargis à cet instant mon propos, les trente-quatre plans industriels qu’il avait lancés en 2014, lesquels ont malheureusement été abandonnés par son successeur, le ministre Macron.
Je vous invite donc, madame la secrétaire d’État, à les retrouver dans les tiroirs de Bercy. Vous verrez qu’ils n’ont pris ni une ride ni la poussière !