La première garantie de cette mue en État stratège pourrait se situer sur le terrain de la lucidité. Dans mon département, le Territoire de Belfort, 43 % des emplois sont industriels, contre 12 % à l’échelon national.
Lorsque le site belfortain de General Electric, en pleine épidémie de Covid-19, a demandé à ses 240 sous-traitants de réduire de 20 % leur prix à partir du 1er mai, sous peine de ne plus être considérés comme des partenaires de l’entreprise, un rappel à l’ordre de l’État aurait peut-être été salutaire.
Lorsque la direction de General Electric, deux jours après le déconfinement, a convoqué à Belfort un comité social et économique pour annoncer aux représentants du personnel un programme de délocalisation de l’ingénierie, des activités commerciales, de maintenance et de réparation des turbines, une réaction de l’État n’aurait-elle pas été souhaitable ?
L’entreprise invoque le retard accumulé pendant la période du confinement pour justifier ces délocalisations. Sans céder à la paranoïa, je pense que nous pouvons légitimement nous interroger sur les véritables intentions de l’entreprise, au regard de ses précédentes manœuvres dolosives, mais aussi sur la volonté de l’État face à General Electric, six mois seulement après la signature des accords d’octobre 2019.
L’exécutif clame haut et fort sa volonté de sauver l’appareil productif français. Qu’attend-il pour intervenir et rappeler ses engagements à la direction de General Electric ?
La seconde preuve qui témoignerait de la volonté de changement du Gouvernement pourrait se situer sur le terrain du pragmatisme. Comme bon nombre de mes collègues, j’ai été sollicité dès le début de la crise par des entreprises et des bénévoles, tous démunis face à la complexité de notre réglementation.
À titre d’exemple, j’évoquerai le cas d’une PME de mon département, qui s’est lancée au début du confinement dans la fabrication de visières de protection grâce à son imprimante 3D.
Pendant près de deux mois, ce fabricant a offert ses visières aux personnels soignants et les a vendues à prix coûtant aux artisans et aux commerçants, mais, depuis la mi-mai, il a cessé d’en produire. En effet, pour que les visières puissent porter la mention « garantie de protection contre le Covid », une instruction ministérielle impose qu’elles résistent – tenez-vous bien – à une bille d’acier de 22 millimètres et de 43 grammes, projetée à une hauteur de 1, 30 mètre…
Les normes et les lourdeurs de la technostructure ne doivent pas provoquer plus de dégâts que le Covid-19. Dans ce cas précis, le remède est simple : un peu de pragmatisme et beaucoup de bon sens.
Si j’évoque ces quelques exemples, c’est pour demander au Gouvernement de mieux nous défendre en simplifiant les normes et en les faisant respecter aux industriels étrangers, en formant les jeunes aux métiers de l’industrie et en valorisant ces métiers importants, en développant les politiques publiques territoriales en faveur de l’industrie, en favorisant une meilleure diversification des processus productifs, enfin, en renouvelant la vision stratégique et prospective des pouvoirs publics, cela a été dit par ma collègue.
Cela pourrait se traduire par la nomination – enfin ! – d’un ministre de l’industrie de plein exercice, qui s’appuierait sur une direction d’administration centrale dédiée. Nous n’avons plus de politique industrielle depuis des années, ni même de ministre de l’industrie.
Madame la secrétaire d’État, mettez vos actes en accord avec vos paroles. Il y a urgence ! L’industrie n’est pas un gros mot. C’est elle qui crée la richesse, non les services.