Intervention de Cédric O

Réunion du 27 mai 2020 à 21h30
Innovations numériques dans la lutte contre l'épidémie de covid-19 — Débat et vote sur une déclaration du gouvernement

Cédric O :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est la première fois qu’un logiciel mobilise ainsi, à lui seul, le Parlement pour un débat et pour un vote.

Certes, la Haute Assemblée a déjà eu l’occasion de débattre de l’utilisation des outils numériques, de leur impact et des limites qu’il convient de leur assigner. Mais jamais le Gouvernement et le Parlement ne se sont retrouvés pour traiter d’un tel sujet, qui, malgré son caractère très restreint, soulève des questions très profondes.

Il s’agit donc d’une première, mais probablement pas d’une dernière. Ce que nous savions, et que le confinement a confirmé de manière paroxystique, c’est que le numérique est devenu la colonne vertébrale de notre économie, de notre société et même de nos institutions.

Or cette dorsale a ses propres déterminants et ses propres règles, que le champ législatif et l’action politique méconnaissent trop souvent. Les langages du droit et de la loi ont, à nos yeux, une noblesse que le code informatique n’a pas encore, même s’il tend souvent à les supplanter.

L’intelligence artificielle et les algorithmes décident de plus en plus à notre place : si nous n’y prenons garde, ils risquent de reproduire ou d’amplifier les inégalités du monde réel, par exemple les inégalités de genre.

Les réseaux sociaux ancrent, malheureusement, notre quotidien dans la culture et le droit anglo-saxons.

Les moteurs de recherche hiérarchisent l’accès à l’information et formatent notre débat démocratique.

Enfin, mille autres exemples témoignent de cette urgence : inscrire le numérique au cœur du travail de nos institutions, non comme une matière en soi, mais comme une grammaire déterminant l’ensemble de notre action.

À l’aune de ces débats ontologiques, l’application StopCovid n’est en soi que peu de chose. Au reste, la polémique qui l’a accompagnée en dit probablement un peu plus de nous que de l’application elle-même – j’y reviendrai.

Avant toute chose, il convient donc de préciser ce qu’est StopCovid. Cette application, présentée à de multiples reprises, obéit à un principe simple : dès lors que vous l’aurez installée, volontairement bien sûr, elle « historisera » sur votre téléphone portable la liste des personnes utilisatrices de l’application avec qui vous avez été en contact pendant plus de quinze minutes et à moins d’un mètre, sans que vous connaissiez jamais leur identité.

Si vous êtes testé positif, StopCovid vous permettra de notifier volontairement et instantanément ces mêmes personnes : elles sauront qu’elles ont été en contact avec une personne contaminée par le Covid. En conséquence, elles pourront s’isoler, appeler un médecin et, le cas échéant, être testées.

De même, l’application vous préviendra si l’un de vos contacts est testé positif, mais de manière anonyme ; vous ne saurez jamais qui est le contact en question.

Vous l’avez compris : la logique est la même que pour les équipes sanitaires, citées par Christelle Dubos. Le résultat d’une notification positive est d’ailleurs en ligne avec la doctrine relative aux cas contacts : une fois notifié, vous devrez vous isoler, prendre contact avec un médecin et, le cas échéant, être testé. L’urgence est de circonscrire les départs de feu et d’éteindre les résurgences de l’épidémie le plus vite possible.

Les équipes d’enquête sanitaire sont le fer de lance de ce combat contre l’épidémie : elles ont fait, ici même, l’objet de multiples débats il y a quelques semaines. En quelque sorte, elles sont notre assurance vie. Mais leur efficacité est limitée par deux facteurs.

Tout d’abord, certains cas de transmission échappent au travail des enquêteurs sanitaires : il en est ainsi des personnes croisées dans le bus ou dans le métro, ou encore dans une file d’attente, devant un supermarché. En pareil cas, si vous avez été un peu trop proche, un peu trop longtemps, d’une personne malade testée a posteriori, personne ne pourra vous prévenir.

Ensuite, la rapidité d’intervention peut se révéler insuffisante. Plusieurs heures, voire plusieurs jours, peuvent s’écouler entre le moment où une personne est testée positive et celui où ses contacts sont appelés. Or, comme le prouvent de nombreux travaux scientifiques, ces heures et ces jours sont décisifs : plus de la moitié des contaminations sont le fait de personnes en période d’incubation ou asymptomatiques. Elles contaminent leurs proches et d’autres individus sans le savoir.

Dans ce contexte, StopCovid n’est en aucun cas la solution magique. Mais l’application apporte une réponse à ces difficultés. Elle offre un complément utile et nécessaire au travail, central, des équipes d’enquête sanitaire.

Cela étant, ses avantages sont-ils décisifs ? Justifient-ils d’y consacrer tant de moyens ? C’est ma conviction ; c’est la conviction du gouvernement français et celle de la quasi-totalité des gouvernements européens, qui sont tous en train de développer un tel projet d’application. C’est, surtout, la conviction des épidémiologistes et des médecins.

À cet égard, je tiens à rappeler les nombreux avis du conseil scientifique – le dernier date du 20 avril dernier –, qualifiant d’« indispensable » le déploiement d’un tel outil, même si la prévalence de l’épidémie est basse. L’Académie de médecine a également donné un avis favorable à l’utilisation de smartphones pour le suivi du déconfinement.

Enfin, avec soixante autres scientifiques et professionnels de médecine, Pierre-Yves Boëlle, Simon Cauchemez, Vittoria Colizza, Dominique Costa-Guyola, Jean-Claude Désenclos, Arnaud Fontanet, Chiara Poletto, Alfred Spira ou encore Alain-Jacques Valleron, tous épidémiologistes reconnus au sein de nos plus prestigieux instituts de recherche, l’ont affirmé dans une tribune au Monde : cette application est un moyen parmi d’autres, mais elle est un atout incontestable pour identifier de nombreux contacts de manière instantanée. En effet, elle permet de gagner du temps. « Si nous voulons éviter une seconde crise sanitaire, nous devons nous en donner les moyens. D’un point de vue sanitaire, l’application StopCovid, dûment encadrée, doit faire partie d’une stratégie nationale de contrôle de l’épidémie. »

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