Si l’on refuse de se doter de tous les outils, il faut le faire les yeux ouverts, comme dirait Marguerite Yourcenar.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la question qui se pose et que, ce soir, nous vous posons tout spécialement tient donc en un seul terme : la proportionnalité.
La politique, le droit, la vie, tout est affaire de proportions. Ce qui compte, c’est l’équilibre. Telle est la question en balance : y a-t-il un plus grand risque sanitaire, social, économique, voire démocratique que la perspective du reconfinement ?
C’est cette proportionnalité qui a conduit le Comité national pilote d’éthique du numérique, au sein du Comité national consultatif d’éthique, à insister sans délai sur l’importance d’une telle application de suivi numérique de contacts, dont le contrôle souverain doit être garanti aux citoyens français, voire européens, dès lors que l’on aura statué sur ses qualités éthiques.
C’est cette proportionnalité encore qui a conduit la CNIL, laquelle s’est prononcée deux fois en faveur de l’application, à déclarer on ne peut plus clairement que « l’application peut être déployée conformément au RGPD » – ce règlement est, je le rappelle, le régime de gestion des données personnelles le plus protecteur au monde.
C’est cette proportionnalité, enfin, qui conduit le Gouvernement à solliciter, aujourd’hui, votre approbation pour le déploiement de l’application StopCovid.
Avant de conclure, je tiens à vous livrer une réflexion personnelle, dépassant le seul sujet qui nous réunit aujourd’hui. Il s’agit, plus largement, de l’avenir de notre pays.
S’il y a une caractéristique de StopCovid que je souhaite souligner devant vous, c’est qu’il s’agit d’un projet français. Ce projet a le goût de l’excellence et du panache – d’aucuns diraient même de l’entêtement – qui distinguent notre pays. Bien sûr, il a des échos et des ramifications européennes, mais ne nous y trompons pas : ce qui tiendra, demain, derrière une petite icône sur chaque téléphone est le fruit de milliers d’heures de travail et de nuits courtes, en faveur d’un projet emblématique du savoir-faire des chercheurs, des industriels et des entrepreneurs français.
À ce jour, vingt-deux pays ont choisi de développer une solution de protection des contacts s’appuyant sur l’interface développée par Apple et Google. Nombre de ces vingt-deux pays se trouvent en Europe, mais ni la France ni le Royaume-Uni ne figurent sur la liste. Est-ce le fruit du hasard ? Ce sont, en parallèle, les deux seuls États européens disposant de leur propre outil de dissuasion nucléaire, ce qui est finalement l’acmé de la souveraineté nationale.
Ce refus n’a rien de dogmatique. Il n’est pas opposé, en soi, parce qu’il s’agit d’Apple et de Google ; mais parce qu’une grande entreprise, si performante et innovante soit-elle, n’a pas à contraindre les choix de politique sanitaire d’une nation souveraine ; parce que, pour garantir la sécurité des données des Français et l’efficacité sanitaire du dispositif, la France a fait le choix de l’indépendance.
Nous ne sommes pas au bout du chemin, loin de là ; vous pourriez du reste décider que la route s’arrête là. Mais, à ce stade, j’ai une pensée pour toutes les équipes qui, en un temps record, auront permis cette indépendance, car il s’agit déjà d’une victoire technique et politique.
Ce projet a été mené de main de maître par l’Inria et par l’équipe resserrée qui s’est formée autour de lui : Capgemini, Dassault Systèmes, Lunabee Studios, Orange, Withings, sans oublier tous les autres industriels qui ont choisi de travailler gratuitement à ce projet, ainsi que l’Anssi, la direction interministérielle du numérique, la Dinum, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, l’Inserm, l’Institut Pasteur, Santé publique France, de même que l’armée de terre, qui a mis à disposition ses soldats pour mener à bien les tests des derniers jours. Que tous ces partenaires soient remerciés.
Cette aventure n’est pas terminée. Si vous en décidez ainsi, le plus dur commencera même mardi prochain. Elle continue aussi sur le plan technique, puisque nous travaillons au déploiement d’un support hors téléphone : il s’agit de pourvoir, à partir de l’été prochain, les personnes qui ne disposent pas de cet équipement ou sont éloignées du numérique.
Cette attention à la fracture numérique – il s’agit, je le sais, d’un sujet qui vous tient à cœur – a guidé l’équipe projet depuis le début. Elle nous a conduits à travailler jusqu’au bout pour rendre StopCovid le plus facile d’utilisation et le plus accessible au plus grand nombre, notamment aux personnes en situation de handicap.
À l’heure où le monde du numérique et, parfois, le monde tout court, tend à être dominé par une poignée d’entreprises quasi oligopolistiques, c’est cette même alliance de la recherche, des grandes entreprises, des start-up et des institutions qui doit permettre à la France de tirer son épingle du jeu et de conserver son indépendance sanitaire et technologique.
Cette histoire, celle de nos relations à la technologie et aux sciences, plonge profondément ses racines dans le roman national français, avec Lavoisier, Marie Curie, les frères Lumière ou encore Louis Pasteur.