Intervention de Bertrand Willocquet

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 30 avril 2020 : 1ère réunion
Étude sur l'urgence économique en outre-mer — Audition de M. Bertrand Willocquet directeur du département des trois océans de l'agence française de développement afd

Bertrand Willocquet :

Je vous remercie d'avoir souhaité auditionner l'AFD. Il est important pour nous de faire passer des messages. Si l'action de l'AFD à l'international s'est démultipliée, son poids dans les outre-mer n'a par ailleurs jamais diminué en valeur absolue.

Comment allons-nous aider les collectivités territoriales d'outre-mer sur le court terme, mais également pour assurer leur reprise ? Celles-ci feront face à des tensions de trésorerie importantes, exacerbées dans le Pacifique. Dans les outre-mer, la crise aura un effet sur les recettes, telles que l'octroi de mer ou la taxe sur les carburants. L'impact sera cependant décalé d'au moins un, voire deux, mois. Nous devrons donc intervenir. Je ne dispose pas d'information particulière quant à un plan national qui viserait l'ensemble du secteur public local, y compris ultramarin. Néanmoins, quel qu'il soit, nous y participerons.

Comme nous sommes le partenaire financier traditionnel des outre-mer, nous avons adapté notre dispositif classique de prêts, et de versement-remboursement. Nous acceptons des reports d'échéance de six mois de nos prêts, pour les collectivités et pour les entreprises publiques qui nous en feraient la demande. Pour le moment, les collectivités locales n'ont pratiquement pas fait de demandes. Deux collectivités nous ont contactés mais leurs requêtes n'étaient pas directement liées à la crise. Nous sommes cependant prêts et nous suggérons en outre de reporter les intérêts de paiement.

Nous en ferons de même pour les entreprises publiques et privées. Notre attitude est bienveillante. Nous ne prévoyons cependant pas un report généralisé, comme par exemple pour l'aide publique au développement international, qui fait l'objet d'un moratoire généralisé d'un an.

Nous accélérons également autant que possible les décaissements des prêts que nous avons déjà octroyés, ce qui représente un montant de quelques centaines de millions d'euros. La commande publique est en effet un ressort essentiel de l'investissement dans les outre-mer.

De plus, nous accélérons l'instruction des prêts budgétaires en faveur des collectivités territoriales, à commencer par les plus importantes, puisque c'est par elles que l'effet d'entraînement sera le plus fort. Je songe notamment aux régions ou aux gouvernements locaux dans le Pacifique. L'instruction des prêts de quelques centaines de millions d'euros sera ainsi accélérée.

Une autre piste explorée, mais qui devra être discutée avec les ministères de tutelle, consiste à mieux utiliser les mécanismes de préfinancement des subventions d'État ou européennes. Des améliorations pourraient y être apportées, afin de fluidifier l'amorçage des investissements des collectivités locales. En effet, celles-ci doivent généralement consentir l'avance des fonds. Si le Gouvernement nous demande d'intervenir au un plan ultramarin, nous le ferons naturellement.

Sur les équipements hospitaliers, nous participons au plan national de désendettement et de réinvestissement des hôpitaux. Dans les outre-mer, le financement des hôpitaux est très largement porté par l'AFD et la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Nous devons parvenir à ce désendettement, afin de restaurer la capacité d'emprunt des hôpitaux. Cela leur permettra d'investir massivement dans leur modernisation, essentielle pour atteindre les standards métropolitains, mais également pour renforcer leurs capacités de réponse aux pandémies qui frappent régulièrement ces territoires (dengue, chikungunya, zika) ou aux nouvelles (Covid ...).

Il est encore trop tôt pour définir les régions qui seront les plus concernées. Néanmoins, l'AFD a investi massivement à La Réunion, et aux Antilles. Nous serons aux côtés des hôpitaux pour les placer sur une trajectoire de réinvestissement, sachant que les besoins sont considérables.

L'article de loi dans le PLFR relatif à la Nouvelle-Calédonie a été voté. Il accorde une garantie à l'AFD pour qu'elle consente un prêt aux risques de l'État. Cette intervention vise tout d'abord à maintenir l'activité et les emplois, grâce notamment à l'accompagnement financier du chômage partiel. Par ailleurs, son objectif est la sauvegarde du système de santé, et la solidarité, gérée par la Caisse de compensation des prestations familiales, des accidents du travail et de prévoyance des travailleurs (CAFAT). Elle vise enfin à garantir aux provinces et aux communes leurs dotations budgétaires à travers le budget central de la Nouvelle-Calédonie qui reçoit les taxes de l'ensemble de ces collectivités. Cela favorisera la continuité de l'activité des collectivités de rang inférieur.

Le PLFR a établi un cadrage précis des modalités d'utilisation de ce fonds. Il vise à couvrir des pertes de recettes fiscales et sociales, ainsi que des dépenses supplémentaires d'aides aux entreprises et aux particuliers liées à la crise sanitaire. Il existe une préparation étroite au niveau local, entre les services du gouvernement de Nouvelle-Calédonie, la Direction régionale des finances publiques (DRFIP), le Haut-commissariat, et l'AFD. Ces travaux ont également été réalisés en collaboration avec la Direction générale du Trésor (DGT), la Direction générale des outre-mer (DGOM), ainsi que la Direction du budget.

La demande du gouvernement de Nouvelle-Calédonie date du 23 mars, et la garantie de l'État a été accordée le 25 avril. Nous avons procédé de manière concertée à une évaluation des besoins. L'affectation du crédit sera prévue dans la convention tripartite entre l'État, l'AFD, et la collectivité de Nouvelle-Calédonie, comme le précise la loi de finances rectificative. Elle détaillera les modalités d'affectation budgétaire du prêt, sur le budget propre de la Nouvelle-Calédonie. Elle précisera également la destination finale du prêt, c'est-à-dire la Nouvelle-Calédonie en tant que telle, la CAFAT, et les collectivités locales, à travers le transfert du budget général aux autres budgets de répartition et de versement.

Les versements seront naturellement contrôlés, sur la base d'une situation de trésorerie, qui détaillera les besoins, en fonction des mandats de paiement en attente, et les reports et pertes de recettes enregistrés en raison de la crise sanitaire. Ce tableau sera validé par la DRFIP, qui le transmettra au Haut-commissariat. Celui-ci demandera à l'AFD de réaliser les versements sur cette base. Deux à trois versements sont prévus, le premier devant intervenir après le passage au conseil d'administration de l'AFD. Il est escompté à la mi-mai, le second, au mois de juin, et le troisième, si nécessaire, au mois de juillet.

Il s'agira d'un prêt sur 25 ans, avec deux ans de différé. Il ne sera pas bonifié, dans la mesure où il s'agit d'un prêt d'urgence, amortissable sur du long terme. La loi de finances rectificative a également prévu une conditionnalité à l'octroi de ce prêt. Les conditions sont en cours de négociation entre l'État et la Nouvelle-Calédonie, et seront précisées dans la convention tripartite. Elles porteront sur les réformes à mettre en oeuvre, ainsi que les modalités d'affectation des ressources. Plusieurs pistes sont à l'étude, la première sur la trajectoire financière de la Nouvelle-Calédonie, c'est-à-dire ses recettes et dépenses futures. Nous approfondirons en la matière le dialogue que l'AFD avait initié l'année dernière, en instruisant un prêt budgétaire. Nous menons régulièrement ce type d'échanges avec les collectivités locales, pour assurer la pérennité de leurs ressources et de leurs emplois sur le long terme.

Le deuxième chapitre porte sur les réformes structurelles que devra engager la Nouvelle-Calédonie, notamment celle de son système de santé, et de la rationalisation des dépenses en matière de compétences croisées entre les provinces et la collectivité. Des missions de corps d'inspection ont eu lieu sur le système local de santé, et un rapport a été remis. Il conviendra d'accélérer ce processus. En ce qui concerne la rationalisation des compétences croisées, nous avions commencé à échanger avec le Gouvernement de Nouvelle-Calédonie l'année dernière. Cette convention tripartite est en cours de négociation, et je ne peux vous en dire plus pour l'heure.

La DRFIP de Polynésie française nous a alertés sur la situation de trésorerie de la collectivité et de la Caisse de prévoyance sociale (CPS). Nous avons échangé à Paris et localement avec le ministère des finances et le ministère des outre-mer, pour envisager d'apporter à ce problème une réponse comparable au dispositif prévu pour la Nouvelle-Calédonie, c'est-à-dire un prêt garanti par l'État. Si celui-ci y est disposé, fort de l'expérience acquise pour la Nouvelle-Calédonie, nous serions en mesure de répondre rapidement à cette demande.

La Polynésie française constate une forte contraction de son produit intérieur brut (PIB), compte tenu du poids important du tourisme, de 15 % à 18 %, bien supérieur à ce qu'il est dans les autres collectivités d'outre-mer, à l'exception de Saint-Martin. Nous avons accéléré le décaissement des prêts octroyés l'année dernière à la Polynésie française. Celle-ci songeait dans un premier temps à y renoncer, mais a finalement demandé leur maintien. De même, nous procédons de la sorte avec notre filiale bancaire, la Socredo, qui est le premier établissement bancaire de la place, et dont les clients sont pour une large part des petits entrepreneurs individuels. Nous avons accéléré le décaissement des lignes de refinancement qu'elle nous avait demandées à la fin de l'année dernière.

À la différence des autres banques et intervenants publics, l'AFD intervient également en appui technique, à travers des dialogues sur leurs politiques publiques. La création du fonds 5.0 par le ministère des outre-mer, qui nous en a confié la gestion, nous permet de développer ce rôle d'appui aux maîtrises d'ouvrage publique locale. Notre programme d'intervention cette année doit renforcer les capacités de maîtrise d'ouvrage locale, pour favoriser les investissements, et réussir à mobiliser davantage les fonds européens et d'État pour les collectivités.

Si les entreprises ne constituent pas notre coeur de métier, nous intervenons néanmoins en subsidiarité du système bancaire. Nous participons à l'effort collectif des banques, et nous accompagnons les prêts garantis par l'État et le fonds de solidarité aux entreprises. Nous nous alignerons sur ce que feront les banques, en matière de report d'échéance. Une vingtaine de demandes nous a été adressée pour l'heure, et nous en avons traité la moitié. Très peu étaient hors périmètre. Elles concernent principalement le secteur aérien (compagnies aériennes, aéroports), les activités impactées par la situation du bâtiment et travaux publics (foncières, programmes immobiliers ou d'aménagement) ainsi que l'hôtellerie.

La Socredo est un vecteur important de l'action de l'AFD dans le Pacifique. Nous avons ainsi décidé d'accélérer les décaissements des lignes de crédit à cette filiale, qui couvre presque la moitié des crédits, afin de ne pas la contraindre en termes de liquidités. L'Institut d'émission d'outre-mer (IEOM) a également réalisé d'importantes avancées. Nous examinerons de manière bienveillante les demandes d'assistance supplémentaire que la Socredo pourrait nous adresser.

Un autre vecteur d'intervention est le soutien à la microfinance. Nous avons largement aidé par le passé l'Association pour le droit à l'initiative économique (ADIE) à s'installer en outre-mer. Nous sommes l'un des financeurs importants de cette association de microfinance, qui est la plus importante en outre-mer. Nous comptons l'aider par une ligne de refinancement massive, qui devrait être rapidement décidée par nos instances. Il s'agit d'un moyen important pour sortir une part de la population du secteur informel. Nous constatons en effet aujourd'hui que ce secteur ne peut recourir aux dispositifs d'aide. Le fonds de solidarité aux entreprises ne s'adresse par définition qu'au secteur formel. Tout ce qui peut aider le secteur informel à sortir de cet angle mort est précieux, notamment dans les zones géographiques où il est prédominant, telles que Mayotte.

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