C'est un privilège d'être devant vous aujourd'hui et de vous parler de notre action, après l'audition de Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance, hier par le Sénat.
Bpifrance est contrôlée à 50 % par l'État et à 50 % par la Banque des territoires. Nos missions sont d'autant plus prégnantes dans les moments difficiles que nous traversons depuis trois mois.
Dans l'opération PGE, nous intervenons principalement en raison de notre savoir-faire en matière de garantie pour le compte de l'État. Bpifrance se contente avec ce dispositif de gérer la garantie pour le compte de l'État.
Il s'agit d'un dispositif très important, dont je m'entretiens chaque jour avec mes différents interlocuteurs. Nous n'aurions jamais imaginé devoir mettre en oeuvre un tel projet et personne ne savait il y a trois mois ce qu'était le PGE. Ce dernier est né il y a six semaines et, depuis lors, 60 milliards d'euros de crédits ont été consentis à 370 000 entreprises. En six semaines, la profession bancaire s'est mobilisée et, grâce à un outil performant dès le départ, nous avons pu adresser ces 60 milliards d'euros de financement aux entreprises ayant disposé d'un préaccord de leurs banques.
La notoriété de Bpifrance a été complétée par une action de communication immédiate, à un moment crucial. Il fallait en effet expliquer aux entreprises que la situation qui était imposée l'était dans des conditions financières supportables. Nous avons mis en place un numéro vert, sollicité des dizaines de milliers de fois dès les premiers jours, alors que l'État n'était pas encore en mesure de répondre aux 70 000 entreprises qui venaient chercher des informations. Nous avons donc mis en place un processus de communication vertueux, avec des messages très rassurants, ayant permis d'éviter une panique bancaire et entrepreneuriale.
Les tout premiers jours de cette opération, nous savions que le PGE ne serait pas opérationnel immédiatement. Il fallait en effet tout d'abord que les banques acceptent ce produit imposé par l'État et fédèrent leurs équipes. Nous avions quant à nous été associés en amont par l'État et avons d'emblée mené trois actions majeures.
Nous avons tout d'abord relancé les fonds de garantie que Bpifrance avait utilisés lors de la crise de 2008-2009. Le premier jour de la crise, dès le mois de mars, les banquiers disposaient donc d'une solution de garantie de l'État, pour les affaires les plus urgentes. Nous avons relancé des fonds de garantie, de façon éphémère. Il s'agissait de garantir les prêts à moyen terme, ainsi que les autorisations à court terme que les banques confirmaient à leurs entreprises clientes. Le PGE a relayé ce fonds de garantie, que nous avons arrêté.
L'État nous avait en outre demandé de créer un équivalent Bpifrance du PGE. Nous avons donc créé le prêt Atout, qui cible les mêmes entreprises que le PGE. Ce prêt a été monté uniquement sur trésorerie Bpifrance. Il diffère du PGE, car il est confirmé immédiatement sur cinq ans, alors que le PGE est un crédit sur un an, qu'il est possible de reporter sur six ans. Nous avons obtenu une enveloppe de 3 milliards d'euros pour ce prêt, que nous avons distribuée et décaissée en près de 4 semaines, avec une très belle performance dans les outre-mer.
Après que nous ayons épuisé notre prêt Atout, l'État nous a invités à nous inscrire dans le dispositif du PGE, au même titre que les autres entreprises. Le fonds prévu pour le PGE est de 300 milliards d'euros, mais ce plafond ne devrait pas, à mon avis, être atteint. Nous communiquons avec l'ensemble des réseaux bancaires et nous constatons que les dossiers qui devaient être traités dans l'urgence l'ont déjà été. Certains pourraient de nouveau devoir être instruits, mais nous n'atteindrons probablement pas 300 milliards d'euros. Dorénavant, Bpifrance a l'autorisation de continuer à aider ses clients avec sa gamme classique, ainsi qu'avec le PGE bancaire, au même titre que les autres banques.
Bpifrance propose plusieurs produits complémentaires à l'offre des réseaux bancaires, mais nous ne pesons que 3 % ou 4 % des encours bancaires au niveau national. Nous devons donc être présents là où nous sommes attendus, par exemple pour les phases de risque, comme l'innovation, l'international, etc.
Nous avons également proposé aux régions de monter un prêt qui s'adressera en priorité aux petites entreprises, le prêt Rebond, que nous avions créé en Île-de-France il y a trois ou quatre ans. Nous l'avons dupliqué dans toutes les collectivités. À La Réunion, 6 ou 7 millions d'euros de prêts Rebond ont déjà été accordés et nous sommes en voie de finalisation des conventions avec les quatre collectivités aux Antilles et en Guyane, Saint-Martin compris. Ce prêt Rebond complètera le dispositif PGE et ne comportera pas de clause de rendez-vous au bout d'un an, qui peut parfois inquiéter les entreprises. Le PGE est en effet accordé sur un an presque gratuitement. L'entreprise ne versera à la fin de la première année que le coût d'accès à la garantie de l'État, qui est dérisoire (0,25 % à l'année). Au bout d'un an, une clause de rendez-vous est prévue avec le banquier, qui peut demander le remboursement ou étaler le crédit sur cinq ans. Les taux peuvent alors augmenter, ce qui peut gêner certaines entreprises. Néanmoins, les taux ne devraient pas flamber, après 15 jours de panique constatés sur les marchés.
Nous avons, quant à nous, souhaité créer un prêt pour les petites entreprises, le prêt Rebond, portant sur un montant de 10 000 à 300 000 euros, sans garantie, à taux 0, comme les collectivités l'ont souhaité. Il s'agit ainsi du produit qui était attendu par les TPE et les PME.
Ces prêts sont complètement digitaux. Nous avons travaillé sur ces sujets avec les entreprises des fintechs (technologies financières) les plus évoluées actuellement. Aujourd'hui, deux collectivités - Auvergne-Rhône-Alpes (AURA) et Île-de-France - sont en test pour un parcours client complètement digitalisé concernant les offres inférieures à 50 000 euros. Le client ne rencontre personne et obtient un chèque de 50 000 euros en moins de deux heures. Ce processus qui a commencé voici huit jours en région AURA et ce mardi en Île-de-France, sera étendu aux outre-mer.
L'année dernière, à la demande de la ministre, nous avions déjà amélioré nos produits de financement des créances publiques, en anticipant des dérapages dans les délais de paiement. Nous constatons d'ailleurs des dérapages supplémentaires. Contrairement aux banques, Bpifrance ne demande pas à l'entreprise le remboursement de la facture qu'elle a payée pour le compte de la collectivité. Nous portons ainsi des créances sur six, neuf mois, voire plus d'un an pour certaines collectivités. Nous avons donc fourni un effort particulier sur les « produits ultramarins ».
Outre ces produits spécifiques, nous continuons de proposer nos autres produits, notamment ceux qui ont été conçus l'année dernière avec nos ministères de tutelle. Nous avons donc créé des produits que nous sommes en train de distribuer. Ces produits fonctionnaient bien depuis leur lancement, mais ce succès a été quelque peu enrayé du fait de la crise du Covid-19. Malgré tout, le flux d'affaires se poursuit, notamment le prêt de Développement outre-mer. Les subventions d'investissement de la stratégie 5.0 ont également été lancées depuis le début de l'année. Les subventions innovation outre-mer complètent la gamme nationale, alors qu'auparavant, les critères nationaux ne permettaient pas de soutenir l'innovation ultramarine. Nous sommes donc en train de distribuer ces produits et le flux d'activités se poursuit.
Enfin, je vous remercie pour avoir collégialement appuyé la démarche d'autonomie de Bpifrance l'année dernière, suite aux Assises des outre-mer. Nous nous sommes éloignés de l'AFD l'année dernière et avons créé un réseau Bpifrance, avec des directions territoriales, des chargés d'affaires, des implantations de Bpifrance. En 18 mois, l'AFD a rapatrié les 30 collaborateurs qu'elle mettait à notre disposition. En parallèle, nous avons embauché 16 collaborateurs outre-mer, qui ont été appuyés par des équipes franciliennes, pour aller plus vite dans l'étude des dossiers. Nous avons positionné des chargés d'affaires Bpifrance dans tous les territoires ultramarins, y compris en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie.
En ce moment, je participe chaque jour à des téléconférences, à l'initiative de mes différentes tutelles, avec les banquiers et les autres établissements de la sphère publique. Sous le pilotage des ministères de l'outre-mer et de l'économie nous n'avons d'ailleurs jamais aussi bien communiqué entre les « structures publiques » qu'en cette période de crise. Les équipes ministérielles, de la Banque des Territoires, de l AFD, de l IEOM /IEDOM et de Bpifrance communiquent avec une grande fluidité et une grande rapidité. Chaque semaine, nous coordonnons nos actions, définissons les priorités et nous apprenons tous à bien nous connaître. Cette période est donc très constructive de ce point de vue, notamment en vue de la phase de rebond, sur laquelle nous travaillons de façon très intense avec la Banque des territoires.
Hier, nous avons tenu deux conférences importantes avec les banques antillaises et réunionnaises concernant le PGE. Contrairement aux idées reçues, d'après les chiffres publiés par le ministère de l'économie et des finances (Minefi) au 24 avril, le déploiement des PGE dans les DROM est tout à fait satisfaisant. Le PNB des DROM pèse 1,9 % du PNB national. Or, les PGE accordés aux entreprises des DROM représentent 2 % du montant national en euros, ce qui est légèrement supérieur au poids de ces entreprises dans le PNB. 1,7 % des entreprises françaises concernées par ces prêts sont originaires des DROM. Nous pourrons revenir sur ce sujet si vous le souhaitez. Au 5 mai, d'après nos bases d'information, ces chiffres sont en légère baisse. Nous restons très vigilants quant à cette notion d'adéquation par rapport à la dynamique nationale. De grands groupes, comme la FNAC, commencent à souscrire des PGE, ce qui fait augmenter les chiffres nationaux. Les PGE les plus importants d'outre-mer concernent pour l'heure les compagnies aériennes, sans atteindre les 500 millions d'euros demandés par le groupe FNAC. De plus, certains groupes d'outre-mer sont plus discrets et ont peut-être moins besoin de PGE que d'autres groupes métropolitains. Il reste que nous n'observons pour l'heure aucun décalage statistique entre les PGE accordés par les banques ultramarines aux entreprises ultramarines et la situation nationale.
En ce qui concerne les prêts Atout, Bpifrance disposait d'une enveloppe de 3 milliards d'euros, dont 80 millions d'euros réservés aux entreprises ultramarines (soit 3 % de l'enveloppe nationale). Plus de 70 millions d'euros de prêts Atout ont été décaissés et 10 millions d'euros devraient l'être sous peu. Nous avons donc pu décaisser notre dotation cinq semaines après le lancement du produit. Nous avons notamment permis à Air Austral de passer une échéance très compliquée, car ce groupe n'avait pas le temps de monter un dossier complet et avait besoin de 20 millions d'euros. Deux banquiers lui ont prêté 10 millions d'euros et Bpifrance a proposé un prêt Atout de 10 millions d'euros. Un autre dossier est en cours avec le Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) pour ce groupe, pour un montant bien plus significatif, car les besoins des compagnies aériennes desservant l'outre-mer sont très importants. Il s'agit ainsi de l'un de nos chantiers très importants pour les semaines à venir.
Les prêts de Développement outre-mer (l'un des plus beaux produits que j'ai vendus pendant toute ma carrière) continuent leur vie et sont toujours en croissance. La ministre des outre-mer voulait mettre en place un prêt complétant les prêts bancaires en outre-mer, où nous avons tiré les taux du marché à la baisse, en raison de nos barèmes nationaux, tandis que les autres banques ont des pratiques différentes sur ces territoires. La ministre considérant cependant toujours que les entreprises ultramarines payaient leur crédit trop cher, nous avons proposé un crédit bon marché, pour que les entreprises ultramarines bénéficient des mêmes taux que celles de la métropole. Ce prêt revient ainsi à 0,07 centime, contre 2 ou 2,5 avec les banques. Avec ce produit, les entreprises ultramarines peuvent se financer au même taux que leurs homologues de l'hexagone. Ce prêt de Développement outre-mer met donc les entreprises ultramarines au niveau des taux des entreprises métropolitaines, ce dont je suis très satisfait. Il y a quatre ou cinq ans, lorsque nous nous sommes tournés vers les outre-mer, nous avions constaté que le marché bancaire local était quelque peu figé et nous l'avons donc un peu bousculé.
Dans les COM, nous étions face à deux obstacles majeurs : l'absence d'euro et de numéro d'immatriculation SIREN pour les entreprises. Personne à Bercy n'avait envisagé cette situation dans le cadre du PGE, conçu en euros dans toutes ses chaînes de traitement. La ministre ne nous a cependant pas laissé le choix et a insisté auprès de Nicolas Dufourcq pour que nous trouvions une solution. Forts d'une lettre de mission volontariste de la ministre, nous avons approché la Banque de France, qui disposait d'un moyen dérivé pour attribuer des numéros SIREN à des entreprises. Nous lui avons expliqué qu'elle devait s'attendre à recevoir, sous huit jours, des premières demandes de SIREN qui pourraient se chiffrer jusqu'à 20 000 à 30 000 entreprises des collectivités d'outre-mer COM. La Banque de France a estimé qu'il serait compliqué de satisfaire ces demandes, or nous y sommes collégialement parvenus en dix jours. Les banques de Polynésie et de Nouvelle-Calédonie ont également réalisé un miracle, en créant les chaînes informatiques et les contrats adéquats. Aujourd'hui, elles décaissent donc chaque jour des PGE sur ces territoires, alors que cela paraissait impossible il y a un an. Il s'agit d'une grande satisfaction commune, qui soude les équipes et a fait naître de solides relations entre les acteurs bancaires. Nous avons mis au point un site spécifique, sur lequel l'entreprise polynésienne envoie un mail à la Banque de France lui demandant un SIREN dérogé, avec lequel l'entreprise peut déposer un PGE au même titre qu'une entreprise métropolitaine. Le banquier délivre quant à lui son crédit en francs Pacifique.
En ce qui concerne les dispositifs régionaux, nous avons mis en place le prêt Rebond à La Réunion, où nous pouvons accorder 20 millions d'euros, avec 7 millions d'euros déjà consentis en quinze jours. Face à ce succès, ces fonds devraient être réapprovisionnés. La région Réunion a également redoté un fonds de garantie, pour aller plus loin que les PGE dans certains cas. Sur ces nouveaux produits Covid-19, nous avons encaissé des dotations budgétaires uniquement sur La Réunion, mais des négociations sont en cours pour Mayotte, la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane. Nous devrons lancer un prêt Rebond sur ces quatre collectivités dans les jours à venir. Les territoires ultramarins ne seront donc pas lésés, leurs spécificités seront même reconnues. Il y a cinq ans, Bpifrance n'était pas présente en outre-mer, alors qu'elle l'est à présent, avec une gamme de produits améliorée par rapport à l'hexagone, grâce à l'État. Les moyens budgétaires obtenus du ministère ont permis de créer des produits spécifiques à nos territoires et de les distribuer. Tous les produits métropolitains sont également distribués en outre-mer, sans exclusion.
Pour revenir sur la question du positionnement de l'AFD, de la Banque des territoires et de Bpifrance, dans l'esprit des gouvernants et de nos dirigeants, Bpifrance a vocation à se consacrer à l'entreprise, la Banque des territoires aux collectivités et à l'habitat, tandis que l'AFD conserve un positionnement original. Cependant, dans le cadre du Covid-19, la Banque des territoires va probablement proposer quelques aides pour des micro-entreprises et des autoentrepreneurs. Ces offres demeureront néanmoins ponctuelles et la répartition des rôles de nos trois établissements reste très précise.
Madame Nassimah Dindar vous m'avez en outre demandé si nous couvrions les pertes d'exploitation. C'est le cas, car nous intervenons sur les pertes de chiffre d'affaires et de revenus des entreprises. Nous restons néanmoins très vigilants concernant cette notion de pertes, car des entreprises souffrent parfois moins que ce qu'elles prétendent. Il arrive que l'entreprise perde effectivement 25 % de son chiffre d'affaires, sans que cela corresponde effectivement à une perte comptable de 25 %. L'État nous demande donc d'analyser ces éléments. Aujourd'hui, les prêts Rebond, Atout et PGE couvrent les pertes d'exploitation. Un PGE est un crédit, que l'entreprise devra ensuite rembourser. Il ne s'agit donc pas là d'un cadeau. Les entreprises qui ne pourront pas rembourser seront celles qui auront déposé le bilan. Les entrepreneurs souhaiteraient que les assureurs prennent en charge les pertes d'exploitation, ce que ces derniers ne pourront pas faire car en effet ce n'est pas prévu dans les contrats et ferait exploser le modèle économique de l'assurance. Il convient de rester pragmatique. Les assureurs pourront libérer quelques centaines de millions d'euros pour aider les entreprises, mais ils ne pourront pas couvrir des pertes d'exploitation suite à la crise Covid-19. S'ils le faisaient, ils seraient en effet contraints de déposer le bilan.
En ce qui concerne l'impact du prêt Rebond et des autres crédits sur l'endettement et les entreprises, il est majeur et bien entendu nous interpelle sérieusement. Par contre nous n'avons pas dû affronter cette crise dans les pires conditions, car l'année 2019 a été une bonne année, c'est très utile aujourd'hui pour distinguer les entreprises en difficulté récurrente de celles qui ne le sont qu'à cause du Covid-19. Les banques ont également connu une bonne année 2019, ce qui les rend plus « allantes » aujourd'hui. Le contexte n'est donc pas le plus mauvais pour affronter cette crise majeure. Les entreprises françaises s'étaient toutefois endettées, car l'argent n'était pas cher. Dès lors, tout l'endettement supplémentaire complexifie les analyses et risque d'augmenter significativement les ratios sur lesquels les banques s'appuient et cotent les entreprises. Nous nous entretenons régulièrement avec les chefs d'entreprises et certains me livrent des témoignages poignants, en nous expliquant par exemple que les prêts qu'ils souscrivent actuellement ne leur serviront au mieux qu'à survivre. Nous devons donc leur trouver des solutions pour qu'ils remboursent ce crédit à l'État, tout en continuant à les aider à emprunter, pour qu'ils investissent. Cette continuité de l'investissement est en effet une condition de survie pour nos entreprises. Voilà l'enjeu de la relance que nous devrons imaginer avec sans doute de nouveaux produits originaux et alternatifs, de conception nationale dans un premier temps.
En ce qui concerne le pilotage de la relance économique, j'ai pour mission depuis la fin des Assises des outre-mer de créer un réseau Bpifrance, ce qui m'a obligé à nouer des contacts avec les services de Bercy et des territoires des outre-mer. Je découvre une dynamique opérationnelle qui s'amplifie, doublée d'un réel pragmatisme. Ces Assises des outre-mer m'avaient semblé très constructives et cette phase de cohésion se déroule à présent. Dès avant la crise, je me rendais chaque semaine au ministère des outre-mer et à Bercy, pour évoquer les produits, les marchés, etc. Ces sujets font donc l'objet de réflexions constantes, mais, depuis la crise, nous avons franchi un nouveau cap d'efficacité dans notre dynamique partenariale, y compris entre établissements. Je ne suis cependant pas pour autant impliqué dans les relations entre les collectivités et l'État.
Votre question portant sur les secteurs prioritaires est très importante. Nicolas Dufourcq nous demande à ce titre de régulièrement interroger nos clients, comme le fait la Banque de France. Nous estimons qu'un secteur terriblement difficile à redresser sera celui du tourisme, prépondérant en outre-mer. En métropole, nous étudierons comment le déconfinement va libérer le commerce et nous incitera à nouveau à aller au restaurant. Cependant, les métropolitains se réapproprieront leurs territoires et ne songeront sans doute pas à prendre un billet d'avion pour aller à La Réunion ou aux Antilles pour la saison d'été, voire la saison d'hiver. Les craintes sont multiples à ce titre, notamment concernant la pérennité des établissements et des compagnies aériennes. Nous avons fait état aux pouvoirs publics de cette extrême urgence pour le tourisme. La semaine prochaine, l'État, la Banque des territoires et Bpifrance présenteront un plan Tourisme de 3 milliards d'euros, avec de nouveaux produits, des orientations originales, avec la mobilisation de tous les savoir-faire de Bpifrance en matière de tourisme. Il s'agit en l'occurrence d'une partie de notre ADN et d'une part importante de notre activité. Un énorme enjeu se profile sur ces questions. Je ne suis pas certain que le plan Tourisme sera pleinement adapté à la demande qui sera constatée en outre-mer. Je vous rassure cependant : si les produits développés ou budgétisés dans le plan Tourisme ne suffisent pas, nous pourrons actionner d'autres leviers en outre-mer pour aider ce secteur. Le prêt Rebond est par exemple adressable au tourisme, de même que le prêt de Développement outre-mer. Nous allons aussi mettre en place des produits complémentaires dans les mois à venir et je veillerai à ce que l'on réserve un segment budgétaire aux outre-mer. De très importants enjeux pèsent sur ce secteur d'activité.
Au 6 mai, nous avions dépassé 1 milliard d'euros de PGE en outre-mer, uniquement dans les DROM. Sur cette somme, 670 millions d'euros avaient été décaissés, qu'il faut ajouter aux 70 millions d'euros de prêts Atout de la PBI. Or seulement 5 % de ces 670 millions d'euros ont été décaissés pour le secteur du tourisme. Nous ne nous expliquons pas cette situation, mais nous solliciterons les banques à ce propos. Je suppose que de nombreux petits établissements ne sollicitent pas de PGE, car ils estiment qu'ils ne pourront pas les obtenir. À l'inverse, de grands groupes sont en train de faire des demandes d'aide, peut-être dans d'autres régions, hors outre-mer. Il reste que ce poids de 5 % du tourisme dans les demandes de PGE recensées jusqu'à présent semble atypique. Nous resterons donc vigilants sur ce sujet et continuerons de questionner les banquiers sur ce point.
Nous envisageons par ailleurs que le secteur du commerce repartira à la hausse. Le pouvoir d'achat des consommateurs ne devrait en effet pas être complètement entamé et la consommation utile devrait repartir. Or cette consommation est la plus importante en outre-mer.
Le numérique constitue quant à lui l'une de nos cibles et nous poursuivons les prêts à l'innovation. Ce secteur semble toutefois avoir été moins touché que les autres et les programmes de R&D n'ont pas été stoppés par la crise du Covid-19.
Il faudrait faire repartir les secteurs de la construction et du BTP. Il s'agit de l'un des seuls axes de relance de l'outre-mer, le tourisme demandant d'autres moyens. Ces secteurs du bâtiment et du BTP exigent des budgets que ne seront sans doute plus en mesure de fournir les collectivités ni l'État. Les grands chantiers devraient se poursuivre sur quelques mois, voire quelques années, en Guyane. Ils devraient diminuer à La Réunion et, dans les Antilles, l'inquiétude est plus forte.
Je souligne en outre que mes équipes sont présentes en outre-mer depuis moins d'un an. Il faut donc saluer le remarquable travail qu'elles ont accompli dans le cadre de la crise sanitaire que nous traversons.
Avec le tourisme, pour lequel nous allons annoncer un plan, le secteur du BTP est celui qui suscite le plus d'inquiétudes. Dans le domaine du transport, les flux vont redémarrer. Nous sommes actionnaires de la CMA-CGM (Compagnie Maritime d'Affrètement - Compagnie Générale Maritime) et savons que les marchandises vont à nouveau circuler. Nous ne sommes pas trop inquiets de ce point de vue, si tant est que les entreprises passent le cap.
Pour aider le BTP, il serait intéressant de définir des budgets pour l'habitat et les travaux publics, ainsi que des budgets d'entretien pour les collectivités, pour faire travailler les entreprises de second oeuvre et d'entretien, qui constituent elles aussi une des clés du rebond.
Je précise aussi que Bpifrance n'a pas particulièrement de secteurs de prédilection en outre-mer. En innovation, nous nous intéressons à la dynamique du numérique, de la biotechnologie, de la medtech, etc. Nous travaillons avec le secteur de la Biotech en outre-mer, à La Réunion, en Guyane, mais il s'agit souvent de Biotech simple.
Dans le secteur de la santé, nous sommes bien implantés à La Réunion, aux côtés des banques. Nous agrandissons par exemple des cliniques privées et oeuvrons dans le domaine des maisons de retraite, ainsi qu'aux Antilles. Nous ne poursuivons pas de projet de disruption médicale majeure cependant Bpifrance travaille avec presque tous les groupes de cliniques privées et de maisons de retraite, et nous sommes l'un des acteurs importants de cette concentration de moyens. Au départ, nous financions toutes les cliniques privées, qui ont commencé à se concentrer dans un second temps. Nous travaillons à présent avec une dizaine de grands groupes, qui sont tous devenus de très importants clients.
Ce processus se retrouve dans l'énergie, qui est l'un de nos secteurs de prédilection. En Guyane par exemple, subsistent d'importants gisements d'équipements en énergie. Dès que nous le pourrons, nous relancerons des actions en faveur de l'énergie propre.
Le secteur de l'agroalimentaire nous intéresse beaucoup, en lien avec des valeurs de production locale, d'autoconsommation et de proximité, en conformité avec la stratégie 5.0 de la ministre. Dès que je me rends en outre-mer, je visite toujours ces entreprises agroalimentaires de circuit court, qui utilisent des matières premières locales. Je regrette toujours d'entendre que nos entrepreneurs voient arriver dans les containers des produits métropolitains moins chers que les leurs. Nous optimisons donc au maximum les plans de financement des outils de production qu'ils nous demandent et qui peuvent conduire à des circuits courts. Ces projets sont en effet probablement les plus vertueux. Par exemple, nous sommes toujours fiers de citer l'entreprise Isautier comme l'une de nos références. Ce client a sollicité presque toute la gamme de nos produits et il est labellisé Bpifrance excellence.
En ce qui concerne la pêche, nous venons d'accorder un prêt à une coopérative de La Réunion, où nous réalisons une importante pénétration dans l'industrie du poisson.
Enfin, Bpifrance est autonome s'agissant des fonds européens. Nous disposons en effet d'une telle notoriété et d'une telle confiance de nos actionnaires que nous ne distribuons que très peu de fonds européens. Nos entreprises n'y ont en effet guère d'avantages et nous n'utilisons aujourd'hui ces fonds européens que pour notre activité innovation. Nous allons cependant utiliser un peu de fonds FEDER dans le cadre des prêts Rebond, principalement à La Réunion. En termes d'innovation, ce territoire a en effet un temps d'avance par rapport aux autres.
L'année dernière, nous avons dégagé un bilan très intéressant, alors que nous étions en train de nous séparer de l'AFD, dans un contexte relationnel compliqué. Ce bilan 2019 s'avère toutefois très probant, puisque nous avons assuré des solutions de financement de garanties à près de 2 000 entreprises. Nous devrions faire encore mieux cette année, malheureusement dans un contexte difficile. Certains PGE traduisent de véritables complexités, mais nous allons injecter des montants de crédit très importants dans les entreprises ultramarines. Les banques nous indiquent ainsi avoir réalisé en seulement deux mois une production équivalant à un semestre de l'année dernière. Ce rythme devrait rester intense dans les deux mois à venir et nous allons sans doute pulvériser les chiffres de l'année dernière, où nous avions réalisé 100 millions d'euros de crédit en direct. Nous avons déjà souscrit cette année 80 millions d'euros de prêt Atout et les autres produits se comportent bien. Cette année 2020 sera donc très impressionnante en termes de chiffres. Dans quinze jours, les banques ultramarines auront décaissé plus de 1 milliard d'euros pour les entreprises ultramarines. N'hésitez pas à me solliciter pour que j'actualise ces chiffres, ce que je ferai bien volontiers.
Nous sommes donc au rendez-vous et, à voir l'énergie déployée par mes collaborateurs, je suis certain que nous ne vous décevrons pas.