Intervention de Carine Sinaï-Bossou

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 23 avril 2020 : 1ère réunion
Étude sur l'urgence économique en outre-mer — Audition de Mme Carine Sinaï-bossou présidente de l'association des chambres de commerce et d'industrie des outre-mer acciom

Carine Sinaï-Bossou, présidente de l'ACCIOM :

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les rapporteurs, Mesdames et Messieurs les sénateurs, Mesdames et Messieurs. En premier lieu, permettez-moi de vous remercier de votre invitation. Dans les circonstances actuelles, l'attention que vous portez à nos territoires est nécessaire. Nécessaire car la diversité des outre-mer, aussi bien sur le plan économique que juridique, nous rend particulièrement vulnérables en cette période. Sans minimiser l'implication de l'État, qui a débloqué des moyens inédits dans notre histoire récente, il est difficile depuis Paris d'apporter des solutions qui s'appliqueront efficacement dans toute cette diversité de situations.

C'est pourquoi l'État a fait appel, dès le 17 mars, au réseau des CCI pour assurer le contact « terrain » avec les entreprises. Le ministre de l'économie et des finances nous a ainsi demandé d'être les interlocuteurs de premier niveau des entreprises en assurant la diffusion de l'information sur les dispositifs d'État et en assistant les entreprises dans leurs démarches administratives.

Pour répondre à cette commande, les CCI ont renforcé des cellules de crise qu'elles avaient déjà activées. Pour les seules CCI de l'océan Indien, des Antilles et de Guyane, 121 collaborateurs ont été affectés pour accompagner, en 5 semaines, 6 339 entreprises par mail ou téléphone. Ces 121 collaborateurs sont ceux qui répondaient concrètement aux entreprises mais tous les services se sont mobilisés pour répondre aux questions les plus techniques. À cela se sont ajoutées des campagnes d'information dans la presse et sur Internet. Cependant, pour diverses raisons (inégalité de moyens dans la communication entre les territoires, frilosité de certains préfets à parler d'autre chose que de sanitaire, importance de l'illettrisme et de l'illectronisme,...), nous constatons que dans certains territoires (Mayotte, Guyane, Wallis-et-Futuna,...), les informations sur les dispositifs disponibles peinent à parvenir aux chefs d'entreprises.

Cela nous a placés dans une situation idéale pour connaître les attentes des chefs d'entreprises et diagnostiquer les difficultés. Nos collaborateurs se sont en effet très vite retrouvés à répondre à des questions souvent très pratiques que personne n'avait anticipées au sein des pouvoirs publics : comment adresser des factures en période de confinement, comment organiser des réunions d'instances, comment faire un prêt garanti par l'État quand sa banque n'est pas habilitée à faire des prêts... Il faut saluer d'ailleurs l'engagement et l'expertise des collaborateurs consulaires, qui leur a permis dans des conditions difficiles de répondre à toutes ces entreprises. Nous avons également, dans la quasi-totalité des territoires, procédé à des enquêtes en ligne ou par appel sortant auprès des chefs d'entreprises pour « prendre le pouls » de la situation et identifier les points qu'ils considéraient bloquants.

Ces difficultés, nous les avons évidemment partagées avec les pouvoirs publics. Vous le savez, nous avons ainsi écrit au président de la République le 2 avril pour lui faire part des dispositifs qui nous semblaient manquants ou des points à améliorer. Ce courrier évidemment n'avait pas vocation à couvrir l'intégralité des dispositifs dont nous estimons avoir besoin mais ceux qui, par leur importance et parce qu'ils étaient communs à l'ensemble des territoires, nous semblaient devoir être portés à l'arbitrage présidentiel.

Chaque territoire, en effet, a ses besoins propres, en fonction de la structure de son économie, de l'ampleur de la crise sanitaire et de son statut juridique. Nous pourrons si vous le souhaitez revenir plus en détail sur leurs demandes spécifiques. Mais dans l'ensemble, toutes les CCI nous font part de la grande inquiétude de leurs tissus économiques. Cette inquiétude a évolué. Au début de la crise, nous étions très sollicités sur la gestion du confinement : les entreprises nous interrogeaient sur le chômage partiel, sur les dispositifs d'aide d'État, sur leur droit ou non à rester ouverts. Mais depuis quelques semaines, nous sommes interrogés sur la gestion de « l'après » : quels secteurs seront déconfinés ? Comment organiser l'activité pour protéger salariés et clients ? Comment réaliser des investissements non prévus mais désormais indispensables ?

Les entrepreneurs sont de plus en plus en demande de visibilité. Plus nous nous rapprocherons du déconfinement, plus cette demande deviendra forte. Il faut rapidement préciser les modalités du déconfinement pour qu'ils puissent s'organiser : rappeler les salariés, passer les commandes, ... Il nous faudra également établir une stratégie, territoire par territoire, pour la reconstruction. L'humoriste Pierre Dac disait que « la prévision est difficile, surtout lorsqu'elle concerne l'avenir ». Cela prêtait à sourire alors mais je peux vous assurer que la question est d'actualité pour nous. Du point de vue d'un chef d'entreprise, l'avenir a rarement été aussi incertain mais il y a plus que jamais besoin de s'y projeter pour pouvoir planifier sa reprise d'activité. Lui donner cette visibilité, c'est la responsabilité des pouvoirs publics mais pas seulement. C'est pourquoi l'ACCIOM a démarré aujourd'hui une étude économique qui, au-delà des sondages que nous avons déjà réalisés, a pour objectif au moment du déconfinement le 11 mai, de pouvoir proposer un diagnostic de l'impact économique de cette crise et des scénarios de reprise. « La prévision est difficile » certes, mais il faut la faire pour que nous puissions rapidement travailler à la sortie de crise. Cette étude, dans ces circonstances, aura évidemment des limites méthodologiques dont il faudra tenir compte mais elle sera une première base de travail.

Évidemment, nous tiendrons cette étude à la disposition des parlementaires et du Gouvernement, tout comme les sondages déjà réalisés. Ce n'est qu'en travaillant collectivement que nous parviendrons à aider les territoires d'outre-mer à sortir de cette crise.

Monsieur Artano, concernant votre première question, la garantie de la BPI sur le PGE (prêt garanti par l'État) est limitée pour le moment à 90 %. Le problème est la fragilité des entreprises ultramarines après diverses crises qui ont provoqué des difficultés ; à Mayotte et à La Réunion avec les gilets jaunes, en Guyane avec les grèves de mars et avril 2017 et à Saint-Martin et Saint-Barthélemy, l'ouragan Irma. Les banques refusent des prêts aux entreprises qui étaient déjà fragiles.

À cela s'ajoute que dans le contexte économique, les banques montrent une forte aversion au risque. Elles craignent également les mises en cause pour soutien abusif. Elles demandent donc des pièces complémentaires. Par exemple à Saint-Martin, elles exigent l'attestation de demande de chômage partiel, en Guyane, les plans de trésorerie sur trois mois, un an... Certains nous interrogent car les banques sollicitent des services déjà surchargés ; les experts-comptables, principalement, qui sont aujourd'hui débordés par les demandes de chômage partiel. Comment faire un plan de trésorerie réaliste dans un contexte aussi incertain ?

La solution que nous proposons est de faire porter le risque sur d'autres acteurs, par exemple avec une garantie de la collectivité sur les 10 % de risques restants. Je rappelle qu'en Allemagne, la garantie est de 100 % mais avec un public plus restreint et des montants plus bas. Nous suggérons également une substitution de la BPI en direct en cas de refus des banques de premier rang, et d'établir un dossier-type valable dans toutes les banques, qui pourrait être négocié avec la Fédération bancaire française (FBF). On nous a fait remarquer que le dossier le plus simple à remplir était celui de La Poste.

Votre deuxième question concerne le fait de parvenir à une meilleure articulation entre le fonds de solidarité créé par l'État et les fonds mis en place par les régions.

En premier lieu, la répartition des montants disponibles pour le fonds de solidarité se fait sur la base du PIB des territoires. Certains territoires d'outre-mer ne font l'objet que de mises à jour sporadiques de leurs statistiques économiques par l'INSEE, ce qui aboutit à une sous-dotation : Saint-Martin a ainsi obtenu 200 000 euros pour 7 000 entreprises.

Au niveau de ce qui marche très bien en région, les plans de solidarité locaux mis en oeuvre, en Guyane : la Collectivité territoriale de Guyane (CTG) n'a pas souhaité participer au volet 2 du fonds de solidarité. À la place, elle propose des prêts à taux zéro allant jusqu'à 50 000 euros, remboursables sur 5 ans avec possibilité de report de 2 ans supplémentaires, ce qui le porte à 7 ans. À l'heure actuelle, 1 526 demandes ont été faites mais beaucoup de dossiers sont incomplets. Seuls 775 dossiers sont complets. Ce plan est plutôt choisi par les entreprises au détriment du PGE parce que les demandes de documents sont beaucoup plus simples et requiert d'être à jour jusqu'au 31 décembre 2018, ce qui allège la procédure.

Nos suggestions seraient d'harmoniser les conditions d'éligibilité pour améliorer la lisibilité pour les entreprises, de créer un système de « dites-le nous une fois » ; un seul dépôt de dossier permettant de concourir en une fois à toutes les aides selon la situation. Nous suggérons également de supprimer les critères de comptes certifiés pour les territoires comme Wallis-et-Futuna où un centre de gestion n'a été créé que récemment ainsi que de supprimer ou revoir le critère d'être à jour fiscalement et socialement, par exemple en mettant en place un dispositif permettant aux entreprises qui ne le sont pas de rapidement négocier un échéancier comme à La Réunion. La DRFIP (Direction régionale des finances publiques) s'occupe de vérifier les éléments nécessaires à la sécurité sociale et elle peut aider à mettre en place un moratoire. La DGRP peut aussi aider les entreprises à régulariser leur situation, donc en un clic c'est possible.

Pour les entreprises en sauvegarde ou redressement judiciaire, il faudrait créer un dispositif d'aides sur examen du dossier ; en effet, si ces entreprises n'ont pas été liquidées, c'est qu'elles étaient encore viables, il ne faut donc pas les abandonner.

Le Gouvernement va plus que doubler le montant du plan d'urgence économique, qui doit passer de 45 à 110 milliards d'euros.

Concernant le plan d'urgence, nous proposons le report systématique de toutes les échéances fiscales et sociales intervenant sur la période de crise. La sécurité sociale aurait dû le prévoir automatiquement mais certaines entreprises n'ont toujours pas été remboursées de ces échéances. Nous proposons également des échéanciers pour les entreprises ayant des dettes fiscales et sociales, l'annulation sans conditions des charges sociales et fiscales de la période pour les secteurs les plus touchés par la crise soit sur une logique de secteur, soit parce qu'elles sont bénéficiaires du fonds de solidarité, et l'étalement sur 7 ans des charges de la période de crise pour les autres.

Dans certaines régions comme les Antilles, le déconfinement se fera en période cyclonique, ce qui signifie que les périodes de sous-activité vont se poursuivre plus longtemps que le seul confinement et que les entreprises n'auront pas pu s'y préparer particulièrement jusqu'à la fin de l'année car, pour le tourisme par exemple, il faudra le redémarrage des compagnies aériennes et le fait que les clients reprennent confiance.

Il faudrait définir une aide aux entreprises subissant des retards de paiement, qui restent viables mais sont dans une situation de trésorerie très difficile.

Concernant le PGE, il est nécessaire que les prêts de faible envergure puissent être instruits plus rapidement et de manière simplifiée, par exemple ceux limités à 12,5 % du chiffre d'affaires ; faire également porter le risque sur d'autres acteurs, par exemple avec une garantie de la collectivité sur les 10 % de risques restants, réexaminer les exonérations sociales des ZFANG (Zones franches d'activités nouvelle génération) pour aider au maintien dans l'emploi ; prévoir un PGE touristique, avec des échéances de remboursement plus longues car actuellement il est de 5 ans. Pour le tourisme, tout ce qui est cafés, hôtels, restaurants, discothèques et transports, il serait bon de le reporter à 10 ans maximum, avec un différé de remboursement de 24 mois au lieu de 12 mois.

Sur le chômage partiel, il faudrait considérer que tous les bénéficiaires du fonds de solidarité sont des entreprises en difficulté au sens de l'article R.5122-16 du Code du travail afin que, sur leur demande, elles n'aient pas à faire les avances de trésorerie du chômage partiel.

Concernant la garantie de l'État aux collectivités du Pacifique, pour le mettre en place, il faudrait passer d'un modèle de garantie d'emprunts à un modèle de subventions directes. Pour pouvoir répondre au chômage partiel, la collectivité a dû faire un prêt auprès de l'AFD et on préfèrerait que ce prêt se transforme en subvention car le remboursement va être très problématique. Les volumes en jeu font que même avec une garantie d'État les pouvoirs publics locaux peinent à réunir les sommes.

Sur le fonds de solidarité, il conviendrait de supprimer ou revoir le critère d'être à jour fiscalement et socialement, par exemple en mettant en place un dispositif permettant aux entreprises qui ne le sont pas de négocier rapidement un échéancier. Si une entreprise dépose une demande de moratoire auprès de la sécurité sociale, ne serait-il pas souhaitable, comme pour le chômage partiel, de dire qu'au bout de quinze jours sans réponse, le moratoire est acquis ? Ne serait-il pas possible également de supprimer la condition d'avoir au moins un salarié pour la deuxième tranche du fonds de solidarité en raison de la forte proportion d'entreprises unipersonnelles ? À La Réunion ? Il y a 29 000 entreprises avec zéro salarié, soit 73 % du tissu économique. Évidemment cela limitera le nombre de sociétés pouvant bénéficier de ce dispositif.

Concernant la suspension des loyers, qui est conditionnée au bénéfice du fonds de solidarité, une solution doit être trouvée pour les particuliers bailleurs, qui sont privés d'un complément de revenu dont ils ont parfois besoin. La suspension des loyers est surtout faite par les grands groupes mais il faudrait trouver une solution pour les petits bailleurs.

Il ne faut pas non plus oublier l'importance de mesures non financières, comme l'accompagnement des entrepreneurs qui vont fermer leur activité pour leur permettre de se reconvertir professionnellement.

En ce qui concerne votre quatrième question sur l'application indifférenciée des mesures d'urgence économique de l'État dans les collectivités ultramarines quel que soit leur statut. Nous y sommes favorables car il s'agit de solidarité nationale, même si l'on mesure la difficulté avec par exemple la situation politique actuelle en Nouvelle-Calédonie. Ces entreprises sont bien françaises et il faut rappeler qu'une crise dans les collectivités de l'article 74 est une crise en France : ainsi, quand Irma a frappé Saint-Martin, 8 000 personnes, sur les 37 500 du territoire, ont quitté l'île, la plupart pour se réinstaller ailleurs sur le territoire français, dans l'hexagone ou les Antilles françaises. Nous ne pouvons donc pas avoir qu'une lecture juridique de ces questions.

En ce qui concerne le pilotage de l'urgence économique dans les territoires, il faut noter qu'une proportion importante d'entreprises ne connaît pas les mesures gouvernementales mises en place. Au niveau de la CCI Guyane, au début du confinement nous avons fait faire une étude et il en ressort que 32 % des chefs d'entreprises interrogées ne connaissent pas ces mesures. La communication du Gouvernement dans les territoires est trop axée sur le « sanitaire », au détriment de la communication sur les aides économiques. En Guyane, avec le préfet, nous avons décidé de diffuser des spots sur les radios et les télévisions. Il y a, en effet, une communication défaillante dans certains territoires de la part des autorités publiques. À Wallis-et-Futuna, sur le site de la préfecture pour 30 actualités sanitaires, il n'y en a aucune sur les aides économiques.

L'importance de l'illettrisme et de l'illectronisme dans certains territoires font que seul le contact direct est réellement efficace, ce que les préfectures n'ont pas fait. En mars et avril 2017 en Guyane, au niveau de la CCI, nous avons fait salle comble dans les différentes communes pour faire part des mesures. Mais avec le Covid-19 il n'est plus possible d'aller au contact des entreprises. Nous savons très bien que la couverture numérique des territoires d'outre-mer n'est pas fiable. Nous aidons et espérons qu'avec ces spots nous allons pouvoir toucher davantage les chefs d'entreprise.

Les CCI ont dû pallier ce manque, avec leurs moyens hétérogènes : souvent par des campagnes sur les réseaux sociaux, parfois avec des campagnes de presse « traditionnelles » (spots télévisés, encarts dans les journaux, ...) et avec des campagnes d'appels et de sms sortants, des numéros verts, des numéros d'urgence, des adresses mails d'urgence. Cela se traduit par de grandes disparités d'informations entre les territoires. La complexité et le nombre de dispositifs créés en peu de temps, couplés avec ce défaut d'information, ont également poussé certaines CCI, comme à la Martinique, à procéder elles-mêmes aux dossiers de demandes d'aides qui leur étaient transmis par les entreprises. Tous les jours nous devons mettre à jour les sites des CCI des outre-mer et pour le chef d'entreprise lambda, cela fait beaucoup d'informations.

Sur les secteurs prioritaires à soutenir pour le redémarrage rapide des économies locales, avant de raisonner en termes de secteurs, il est urgent de déconfiner et de s'interroger sur les secteurs que l'on peut déconfiner. Pour beaucoup d'entreprises, des investissements devront être réalisés pour sécuriser l'activité (vitres protectrices dans les commerces et les véhicules par exemple, masques...). Cela doit s'anticiper et s'accompagner.

Dans beaucoup de territoires ultramarins, le déconfinement rapide du tourisme et des secteurs indispensables à son activité (transports, commerces, ...) s'impose comme une évidence. Un déconfinement rapide des secteurs de la logistique va également s'imposer à très court terme pour assurer les approvisionnements, notamment compte tenu des délais de transport.

Le secteur du BTP devra également faire l'objet d'une attention particulière, avec des chantiers qui n'ont pas démarré ou sont retardés, que ce soit pour le lancement des marchés ou pour l'avancement des chantiers, alors que dans de nombreux territoires il s'agissait déjà d'un secteur en souffrance.

Par ailleurs, la crise du Covid-19 a une nouvelle fois mis en exergue l'insuffisance de la digitalisation des entreprises ultramarines qui les a rendues particulièrement vulnérables au confinement. Une véritable réflexion doit être menée sur ce sujet. À l'île de La Réunion, le commerce de centre-ville qui a déjà été durement frappé il y a quelques mois par les gilets jaunes aura besoin d'un soutien particulier si l'on ne veut pas durablement affecter le dynamisme des centres-villes.

Concernant le tourisme en outre-mer, la FEDOM a raison de parler de « cataclysme » en raison notamment de la fermeture généralisée des frontières, la part significative du tourisme dans les économies ultramarines (12 % du PIB en Guyane, par exemple) et les conditions imprécises du déconfinement. Par exemple, la quatorzaine sera-t-elle toujours obligatoire ? Les vols internationaux vont-ils reprendre ? Vont-ils provoquer un vrai choc de la demande dans les économies ultramarines ? Nous ne savons pas non plus quelle sera l'attitude des touristes post-crise : la demande va-t-elle revenir, se maintenir ? Ces questions demeurent sans réponse pour l'instant.

Il est indispensable de pouvoir maintenir le secteur touristique au-dessus de sa « ligne de flottaison » au moins jusqu'à la fin de l'année, au risque de provoquer une réaction en chaîne dans la plupart des économies ultramarines (fermeture de commerces, de restaurants,...). Cela peut prendre la forme d'exonérations de charges - CFE (cotisation foncière des entreprises), CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises), CAP (contribution à l'audiovisuel public), TF (taxes foncières), TEOM (taxe d'enlèvement des ordures ménagères), - de campagnes de promotion ou d'apports directs en trésorerie.

S'agissant du quasi-arrêt des liaisons aériennes et maritimes, vous nous demandez ce que nous préconisons face aux risques de faillite et de rupture de la continuité territoriale. L'ACCIOM considère qu'il sera nécessaire d'aider financièrement les compagnies aériennes, avec une attention particulière à celles indispensables au désenclavement de certains territoires. Mayotte et Wallis-et-Futuna sont notamment dépendants d'une seule compagnie, Air Austral. Il faudra également être très attentif aux prix des billets : si les compagnies n'arrivent plus à remplir les avions et subissent des surcoûts liés à la distanciation sociale à faire respecter, elles risquent soit de réduire les rotations, soit de faire monter le prix des billets pour faire face à leurs coûts fixes. Il ne faut pas s'interdire de les encadrer, quitte à subventionner les compagnies si nécessaire. Il faut faire attention également aux effets secondaires de la priorisation du fret médical : les marchandises commandées restent fréquemment plus de 30 jours immobilisées chez leurs transitaires. En conséquence, cela crée un problème de trésorerie pour les entreprises concernées qui doivent légalement payer des marchandises non encore reçues.

Concernant le trafic aérien, l'ACCIOM appelle votre attention, au-delà de la situation des compagnies, sur celle des aéroports. La crise actuelle ayant entraîné une baisse considérable du trafic, - 95 % pour la Guyane - a également pour conséquence de compliquer l'équation budgétaire des aéroports. L'aéroport Félix Éboué de Cayenne et celui de la Nouvelle-Calédonie sont des concessions aéroportuaires gérées par les CCI, il y a donc un problème d'équation budgétaire. La création d'un fonds de soutien qui leur soit destinés ou une prolongation des concessions en vigueur pour inciter les concessionnaires à faire les apports nécessaires pourrait être utile. Nous avons déjà demandé au ministère des transports un délai supplémentaire afin de pouvoir mieux programmer les investissements nécessaires.

Concernant l'économie résiliente et la stratégie d'avenir pour les outre-mer, vous nous demandez si les dispositifs d'aide fiscale aux investissements sont suffisamment adaptés aux outre-mer ainsi que les mesures à prendre et l'établissement d'un calendrier de reprise.

La réforme de l'aide fiscale à l'investissement a toujours été un point de tension entre les entreprises ultramarines et l'État. Néanmoins, cette crise devrait nous amener à réexaminer ce dispositif pour aider à la structuration de filières stratégiques dans les outre-mer sur les industries de santé, sur les secteurs industriels productifs (bois, mines, agroalimentaire...).

Je rappelle que pour certains territoires, comme Mayotte, notamment, l'arrêt de la défiscalisation des logements a été très difficile : Mayotte est un territoire encore sous-équipé où le BTP est le principal secteur d'activité.

De même, le fait qu'un taux inférieur soit appliqué à des territoires pourtant en crise, 45,9 % à Saint-Martin contre 53,55 % dans les DROM, nous semble devoir rapidement être solutionné. Nous ne comprenons pas cette disparité.

Plus largement, il faut traiter Le « serpent de mer » de cette aide fiscale, qui est son adaptation aux territoires. Un choc de l'ampleur de celui du Covid-19 a montré les fragilités des outre-mer, notamment dans leur approvisionnement et leur capacité de rebond. Il faut pouvoir utiliser l'aide à l'investissement et les abattements de charges de manière plus stratégique afin de pouvoir « combler les manques » par des substitutions à l'importation. Cela pourrait par exemple prendre la forme d'un fonds d'investissements dans les outre-mer.

Vous nous demandez également comment développer l'autonomie sanitaire dans les outre-mer, notamment par la production de matériel médical.

D'un point de vue économique et industriel, l'autonomie sanitaire ne pourra se faire que par des productions locales de produits stratégiques, ou au moins par grande région. Les outre-mer ont des atouts en ce sens grâce à la présence de grands organismes de recherche et d'équipements de pointe en avance sur leur environnement immédiat, mais seule une approche stratégique avec notamment l'aide fiscale à l'investissement pourra permettre de structurer des filières.

Il nous semble également utile d'inciter à l'installation de nouveaux acteurs, aussi bien des groupes privés - cliniques, par exemple - que des praticiens (infirmiers, médecins de ville...).

Enfin, le développement de la télémédecine, bien que nécessitant des investissements, nous semble nécessaire, particulièrement pour des territoires comme Mayotte ou Saint-Martin. Ceux-ci étant sous-équipés sur le plan hospitalier envoient leurs patients les plus graves vers leurs voisins, respectivement La Réunion et la Guadeloupe, au risque que lors d'une crise comme celle-là, nous assistions à une saturation en chaîne des territoires.

Vous nous demandez ensuite quelles mesures doivent être mises en place pour renforcer l'autonomie alimentaire des territoires ultramarins et sécuriser les filières d'approvisionnement, comme l'agriculture et la pêche.

Bien que ces secteurs relèvent principalement de nos collègues des Chambres d'agriculture, l'évidence nous invite à rappeler que seule l'installation d'agriculteurs et de pêcheurs, leur équipement et, pour les agriculteurs et éleveurs, la libération de terres arables, permettra de viser l'autosuffisance alimentaire. Il pourrait à ce titre être envisagé une sanctuarisation d'une enveloppe d'aide à l'installation de jeunes agriculteurs, la dotation jeunes agriculteurs (DJA), comme suggéré par la CCI de Wallis-et-Futuna. Le développement de l'autoconsommation, avec des jardins à la créole, pourrait également contribuer à l'autosuffisance.

Il sera également nécessaire de mener une réflexion régionale avec les pays frontaliers pour que ce qui ne peut être produit localement puisse être importé en circuits courts. Cette stratégie devra également permettre la diversification des productions agricoles. Nous rappelons également que certains territoires manquent cruellement d'outils financiers adaptés, notamment le programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (Poséi), qui n'est pas en vigueur dans les PTOM.

Vous nous demandez ensuite de quels financements européens devraient pouvoir bénéficier les outre-mer français, les RUP en particulier, pour sortir de la crise actuelle, et par quels mécanismes ou programmes ?

Il y a trois problématiques : les priorités, les financements et les conditions de leur utilisation.

Concernant les priorités, il pourra être nécessaire de réexaminer les programmes existants (FEDER, FSE,...) afin de redéfinir leurs priorités à la lumière de la crise actuelle. Il faudra notamment que les fonds alloués par l'État en vue de la relance ne soient pas comptabilisés dans les déficits budgétaires soumis aux critères de convergence ou critères de Maastricht. En d'autres termes, pour 2020, le déficit budgétaire pourra dépasser les limites fixées par les critères de convergence dès lors que les fonds sont affectés à la relance économique post Covid-19. Il faut, en outre, un contrôle rigoureux sur ces fonds qui doivent être fléchés en priorité pour les entreprises avec notamment un mécanisme de versement de l'aide qui n'impacte pas leur trésorerie. L'avance sur subvention ne doit plus être déduite du premier versement suite à la première remontée de dépenses. Elle doit être soit étalée, soit remboursée sur la dernière remontée de dépenses. Le but est de laisser la trésorerie aux entreprises qui ont bénéficié de ces fonds.

Il nous faut aussi mettre en oeuvre des outils de préfinancement d'aides européennes comme la garantie CDC (Caisse des dépôts et consignations). Aujourd'hui ce mécanisme n'existe que dans le cas d'investissements productifs. Il faut donc l'étendre aux préfinancements du fonctionnement.

Nous nous permettons également d'attirer votre attention sur la complexité des financements européens du point de vue des TPE. Le tissu économique des outre-mer est constitué de toutes petites entreprises. Plusieurs CCI, si on les finance en ce sens, ont signalé leur disponibilité pour se doter d'experts afin d'aider les chefs d'entreprise à monter leurs dossiers.

Je vous remercie de votre attention.

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