Intervention de Jean Bizet

Commission des affaires européennes — Réunion du 14 mai 2020 à 10h00
Énergie climat transports — Pérennité des compagnies aériennes européennes et droits des passagers face à la pandémie - avis politique et proposition de résolution européenne

Photo de Jean BizetJean Bizet, président :

Nous en venons à l'avis politique et à la proposition de résolution de notre commission tendant à préserver la pérennité des compagnies aériennes immatriculées dans l'Union, tout en garantissant les droits des passagers aériens en matière de remboursement des billets d'avion inutilisés depuis le déclenchement de la pandémie.

Les mesures de confinement adoptées au plan mondial pour contenir la pandémie du Covid-19 placent les compagnies de transport aérien dans une conjoncture économique intenable, qui a motivé de graves inquiétudes quant à la survie des opérateurs. L'enjeu est bien d'assurer la pérennité des compagnies aériennes immatriculées dans l'Union, tout en garantissant les droits des passagers aériens : cela participe de l'autonomie stratégique de notre continent et permet de garantir sa connectivité interne.

D'ores et déjà, plusieurs États membres ont notifié à la Commission européenne des aides d'État pour soutenir leur pavillon national et tous les emplois qui vont avec : la France a ainsi obtenu le 4 mai l'aval de la Commission pour soutenir la liquidité immédiate d'Air France par une aide de 7 milliards d'euros, dont un prêt garanti à 90 % et un prêt direct de l'État actionnaire à hauteur de 3 milliards d'euros, pour une durée maximale de 6 ans. La Commission a même appuyé cette aide en soulignant qu'Air France « avait aussi joué un rôle de premier plan » dans la gestion de la crise, en assurant rapatriement et transport de matériel médical.

Parmi les demandes formulées par les compagnies pour assurer leur survie, un aménagement du remboursement des billets inutilisés figure en bonne place. Fort logiquement, l'Association internationale du transport aérien a fortement appuyé cette revendication.

Le dispositif en vigueur protège très bien les passagers aériens, mais il ne pouvait tout simplement pas être conçu pour la situation actuelle. Le règlement de 2004 impose aux compagnies de rembourser dans les sept jours aux passagers les vols secs inutilisés, lorsque lesdits passagers ne sont en rien responsables du non-embarquement. Sauf circonstance exceptionnelle, ce texte impose de verser une indemnisation en plus du remboursement. Ce dispositif a pour vertu d'apporter aux passagers aériens des droits homogènes dans tout le territoire de l'Union, mais il n'a bien sûr pas pu envisager la déroute provoquée par le Covid-19.

Les circonstances du moment imposent deux adaptations, même si nous ne pouvons pas ignorer qu'elles pourraient conduire à bousculer marginalement la non-rétroactivité du droit de l'Union européenne.

La première concerne l'indemnisation, en sus du remboursement. La Commission européenne a fait le nécessaire dès le 18 mars en publiant des « orientations interprétatives relatives au règlement de l'Union européenne sur les droits des passagers au regard de l'évolution de la situation en ce qui concerne le Covid-19 ». Ce document a confirmé l'évidence, à savoir que le Covid-19 avait créé une situation « extraordinaire » au sens du règlement de 2004. Aucune indemnisation ne devra donc être versée par les compagnies aériennes.

Hélas, la Commission européenne s'est arrêtée au milieu du gué, puisqu'elle n'a pas proposé de modifier le règlement de 2004. Or, en rester au statu quo imposerait aux compagnies aériennes un remboursement largement supérieur à leurs capacités. L'enjeu porte sur quelque dix milliards d'euros à l'échelon européen ! Il faut donc achever le travail engagé.

L'article 94 du TFUE dispose : « Toute mesure dans le domaine des prix et conditions de transport, prise dans le cadre des traités, doit tenir compte de la situation économique des transporteurs. » Fondés sur cet article, l'avis politique et la proposition de résolution européenne reposent sur une solution simple : pour éviter la cessation de paiement immédiate et irrémédiable, les compagnies aériennes de l'Union pourront, à titre temporaire - en clair, pendant la durée du confinement - rembourser les billets inutilisés au moyen d'avoirs et non de numéraire. Bien entendu, ces avoirs seraient eux-mêmes remboursés en numéraire après un laps de temps, en cas de non utilisation par leurs bénéficiaires.

En effet, les avoirs remis jusqu'à présent - donc avec l'accord des intéressés - sont remboursables en numéraire lorsqu'ils n'ont pas été utilisés dans les douze mois. Or il serait illusoire d'espérer un rétablissement de la situation pour le printemps 2021, ou même l'été de l'année prochaine. Le remboursement dans les douze mois serait tout aussi irréaliste qu'un paiement immédiat. Pour cette raison, la formulation qui vous est proposée ne comporte aucun terme, laissant ce point à la diligence de la Commission, du Conseil et du Parlement européens.

L'avenir sera très difficile pour les transporteurs aériens de l'Union. Il sera intenable pour tout opérateur à qui ses autorités nationales imposeraient des contraintes ou des charges auxquelles ses concurrents échappent. Cela est vrai pour les aéroports, a fortiori pour les compagnies aériennes. Il y a là un véritable défi, que le Gouvernement français doit relever. Dans le cadre de la transition énergétique du Green Deal, cela doit conduire à imposer des obligations comparables aux opérateurs aériens extérieurs à l'Union et à ceux immatriculés dans un État membre, afin d'éviter toute distorsion supplémentaire de concurrence.

Que les droits des passagers soient garantis dans tout l'espace européen est excellent. Que les devoirs des compagnies soient identiques dans ce même espace est devenu indispensable ! Cela ne manquera pas d'ouvrir un débat en dehors de cette commission sur l'avenir du pavillon national. Depuis plusieurs années, la commission du développement durable y travaille, ainsi notamment que nos collègues Simon Sutour et Vincent Capo-Canellas.

La Commission européenne a rappelé qu'il n'était pas question, même avec le Green deal, de revenir sur le Corsia (Carbon Offsetting and Reduction Scheme for International Aviation) initié le 7 octobre 2016 et parachevé au niveau de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) le 6 novembre 2019 pour entrer en vigueur le 1er janvier 2021 avec les pays qui en auront manifesté la volonté d'ici le 30 juin 2020.

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