Intervention de Pierre Steinmetz

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 27 mai 2020 à 8h30
Audition de M. Pierre Steinmetz candidat proposé par le président du sénat comme membre de la haute autorité pour la transparence de la vie publique en application de l'article 19 de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique

Pierre Steinmetz, candidat proposé par le Président du Sénat comme membre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) :

Je suis très honoré d'avoir été pressenti par le Président du Sénat comme membre de la HATVP et de comparaître devant vous. J'ajoute que j'ai également été directeur général de la gendarmerie, sous l'autorité d'Alain Richard, ici présent, dans des conditions difficiles.

Je ne connais pas la HATVP de l'intérieur et n'ai donc pas de positions ni d'opinions sur son fonctionnement, mais j'ai évidemment suivi avec beaucoup d'intérêt sa mise en place et son évolution.

La Haute Autorité est un organisme complexe avec un objectif unique - au sens d'objectif de valeur constitutionnelle - qui a développé trois lignes d'action.

La première, la plus ancienne, vise à lutter contre la corruption, au moyen des déclarations de patrimoine, pour faire apparaître d'éventuels enrichissements personnels et saisir le parquet, le cas échéant. Nous sommes dans un processus déclaratif simple, même s'il peut avoir des prolongements pénaux, concernant les actions des personnes.

La deuxième tend à garantir, par la transparence, la neutralité du processus de décision, qu'il soit législatif ou réglementaire ou ait un sens général. C'est ainsi qu'ont été mis en place la déclaration d'intérêts et le registre des porteurs d'intérêts, ceux-ci ayant par ailleurs à déclarer les actions d'influence qu'ils ont pu mener. Ce ne sont plus seulement les actions, mais aussi les personnes qui sont visées, par leur participation à un processus de décision et parce qu'elles sont susceptibles de l'affecter par leurs actes.

La troisième, beaucoup plus récente, consiste à veiller au respect des règles déontologiques par les responsables publics et le suivi de leur application. Là, ce sont les personnes qui sont en cause, à raison de la situation dans laquelle elles se trouvent.

Ces missions sont très différentes dans leur nature, mais elles sont connexes et ont le même objectif. Elles ont donc été confiées à la même autorité. Ce regroupement de procédures a sa logique, celle de l'efficacité. Elles sont en effet complémentaires au regard de l'objectif poursuivi. La réunion du tout est une condition et un moyen pour le rétablissement de la confiance dans les institutions.

Ces missions connexes sont différentes et ont des logiques propres, ce qui peut conduire à des difficultés de mise en oeuvre, en raison d'interférences.

Je vois personnellement quelques points demandant une attention particulière des membres de la Haute Autorité. Le premier est le glissement de l'appréciation à l'interdiction, c'est-à-dire du déontologique au pénal. La situation est claire s'agissant de l'enrichissement personnel : dès lors que la discussion avec le déclarant a permis de lever les ambiguïtés de sa situation et de procéder aux rectifications éventuellement nécessaires, nous sommes dans le pénal.

Mais il existe des situations imprécises, notamment en ce qui concerne les déclarations d'intérêts et les actions d'influence. Jusqu'où doit-on aller dans les informations demandées et leurs justifications ? Comment les apprécier ? Le point me paraît d'autant plus sensible que l'on ne juge plus seulement des faits, mais de l'apparence des faits. C'est une grande nouveauté dans notre système juridique.

Enfin, il existe des notions ambiguës en ce qui concerne le contrôle déontologique. Dès lors que l'on admet le pantouflage ou le rétropantouflage, que l'on juge qu'il existe un intérêt à ces mouvements pour le bon fonctionnement de la société, il y a nécessairement une balance à faire entre les inconvénients et les avantages - y compris pour la sphère privée, qui constitue le fond de la vie économique et sociale. C'est dire que, dans l'exercice de ses attributions, la Haute Autorité doit faire preuve de beaucoup de discernement.

La seconde difficulté, qui n'est pas propre à la Haute Autorité, découle de la logique d'institution. C'est extrêmement fort : toute institution, a fortiori investie d'une mission de service public - et quelle mission que de veiller au bon fonctionnement de la démocratie et à la confiance dans les institutions ! - est naturellement, et très heureusement, conduite à s'y identifier et à la valoriser. C'est le moteur de son dynamisme et de la motivation de ses agents. La réaction du service public de santé face à l'épidémie est particulièrement révélatrice. Je ne crois pas que les agents se soient mobilisés avec cette intensité pour recevoir une prime. Cette identification à une mission est extrêmement positive. C'est, oserai-je le dire, ce qui a permis à la Haute Autorité de réaliser un travail considérable en six ans pour s'installer, définir ses procédures et commencer à élaborer sa jurisprudence.

Mais c'est aussi ce qui conduit à demander des moyens, qu'ils soient matériels - et l'extension des compétences de la Haute Autorité y obligera -, mais aussi juridiques, ce qui est plus délicat dans la mesure où ils risquent d'être intrusifs au regard d'autres considérations d'intérêt général, voire de droits ou libertés constitutionnels. Ce point est d'autant plus important qu'il s'agit d'une autorité indépendante, c'est-à-dire sans contre-pouvoir. D'un point de vue juridique, il est vrai que les avis de la Haute Autorité sont susceptibles d'appel devant le Conseil d'État, mais celle-ci est très peu contestée et, à ma connaissance, il n'y a eu qu'un recours au Conseil d'État.

La Haute Autorité a réussi à s'installer et à inspirer la confiance générale, même de ceux qu'elle contrôle, parce qu'elle est collégiale, ce qui fournit des garanties, que ses procédures sont contradictoires, qu'elle a une pratique bienveillante vis-à-vis des gens qu'elle contrôle et, enfin, vraisemblablement, parce que ses membres sont de qualité.

Je garderai une boussole simple : toujours revenir aux objectifs de la mission confiée, en se demandant tout bonnement : « à quoi ça sert ? » La réponse est la suivante : à assurer le bon fonctionnement des institutions et à rétablir la confiance dans la vie publique.

Ce principe s'applique d'abord aux décisions individuelles, lorsqu'il y a une marge d'appréciation. Cela signifie faire toutes les demandes d'information nécessaires, mais pas plus ; faire la balance entre les avantages et les inconvénients des solutions proposées en fonction du but.

La transparence n'est pas une fin en soi. Elle n'a pas pour objet de nourrir les débats de la presse d'investigation, mais de garantir le débat démocratique en éclairant le processus de décision. De même, s'agissant du pouvoir de sanction, il faut se garder de se substituer au juge pénal ou au Parlement.

Le champ de compétences de la Haute Autorité a eu tendance à s'étendre considérablement, en passant du contrôle de l'élaboration des normes à l'ensemble des décisions, puis du contrôle des acteurs politiques aux responsables nationaux en général, puis aux collectivités territoriales, et aux intervenants de la sphère privée. Le risque serait de la transformer en institution gigantesque, nécessairement bureaucratique, demandant des antennes locales. Une machine énorme aurait tendance à penser qu'elle assure elle-même le contrôle démocratique, au lieu d'être là pour le favoriser.

Enfin si les décisions de sanction sont l'aspect le plus visible et le plus lourd de l'action de la Haute Autorité, il ne faut pas négliger les autres : diffusion d'une culture de la moralité politique, pour reprendre une expression de Jean-Louis Nadal, d'une culture de la transparence, et mise en évidence des éléments positifs. Le rapport d'activité de la Haute Autorité montre que le nombre d'irrégularités est extrêmement faible.

Quelques-unes de ces idées peuvent paraître des truismes, mais elles me semblent indispensables pour éviter de passer d'une logique démocratique à une logique de pouvoir.

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