Vos questions correspondent à nos préoccupations.
Je commencerais par répondre à celle de M. Stéphane Artano, qui soulignait que le PGE semblait moins bien fonctionner outre-mer qu'ailleurs. Je vous le confirme. Je ne dispose pas de chiffres actualisés, mais j'ai fait le point il y a huit jours sur ce sujet avec le responsable des outre-mer à la BPI et les chiffres qu'il m'a donnés étaient terrifiants. Sur l'ensemble des prêts accordés, représentant 5,7 milliards d'euros, 16 millions d'euros seulement concernaient les outre-mer. Dans le seul territoire de La Réunion, les prêts directs consentis par les BPI se montaient à 50 millions d'euros. Il s'agit de prêts sur cinq ans, à 2,5 %, alors que le prêt garanti par l'État est à 0,25 % la première année. Quelles sont les raisons de cette situation ? Certaines banques, pour de multiples raisons, ne jouent pas le jeu. Dans nos territoires, les taux de sinistralité sont plus importants et la non-garantie de 10 % de ces prêts par l'État peut aussi expliquer ces retards.
Comment davantage d'entreprises ultramarines pourraient-elles être éligibles à ces prêts ? Des assouplissements à ces dispositifs sont prévus, notamment par le projet de loi de finances rectificative voté hier à l'Assemblée nationale. Ces assouplissements portent notamment sur l'éligibilité des entreprises. En outre-mer, il faudrait que ces prêts soient garantis en totalité par l'État, et pas simplement à hauteur de 90 %. Les 10 % restants à la charge des entreprises expliquent la frilosité des banques car si une entreprise venait à être liquidée pendant la durée du prêt, les banques auraient ces 10 % à leur charge et pourraient même se faire refuser la garantie des 90 % par l'État, au motif qu'elles auraient pris des risques.
Sur le fonds de solidarité, qui passera à 7 milliards d'euros, un deuxième volet est créé, variable selon le chiffre d'affaires de l'entreprise et pouvant atteindre 5 000 euros. Ces sommes pourront se cumuler avec le premier fonds. Or dans les outre-mer, nous rencontrons deux difficultés majeures. Ce deuxième volet est réservé aux entreprises qui disposent d'au moins un salarié. Or notre tissu d'entreprises ultramarin est largement constitué d'entreprises unipersonnelles, dont le seul emploi est celui du chef d'entreprise. Le deuxième critère est la nécessité pour une entreprise d'être à jour de ses cotisations sociales et fiscales. Or vous savez tous que nos territoires vivent régulièrement des crises sociales, climatiques et parfois institutionnelles. À La Réunion, de nombreuses entreprises ne sont pas à jour en raison de la crise des gilets jaunes. Aux Antilles, nous pouvons ajouter Irma, puis Maria, en Guyane, des événements cycloniques que vous connaissez bien. De nombreuses entreprises sont donc déjà aujourd'hui en difficulté et ne vont pas bénéficier de ce fonds de solidarité. Il est très regrettable que la solidarité ne joue pas davantage pour les outre-mer. Nous avons soulevé ce point majeur auprès de la ministre, et déploré que l'on ne parle pas suffisamment des outre-mer. Sans les interpellations parlementaires, je ne suis pas certain que l'on se préoccuperait de nous. Dans une telle période, alors que le président de la République a appelé la France à faire nation, cette situation nous préoccupe gravement.
La FEDOM s'est en outre beaucoup mobilisée pour que les collectivités de l'article 74 soient éligibles au fonds de solidarité, alors qu'elles ne l'étaient pas, de même qu'elles n'étaient pas éligibles au PGE. Nous avons dû mettre en place un dispositif de SIREN (système d'identification du répertoire des entreprises) avec la Banque de France, pour que leurs entreprises puissent en bénéficier.
Monsieur Stéphane Artano a posé une question relative au doublement du plan d'urgence économique, qui sera acté dans le projet de loi de finances rectificative. Ce dernier prend en compte le passage du fonds de solidarité à 7 milliards d'euros, ainsi que la situation de la Nouvelle-Calédonie et ses dispositifs spécifiques, relatifs notamment au chômage partiel, aux avances consenties aux entreprises, etc. Il augmente aussi le plafond de l'assurance-crédit export de court terme, pour protéger les PME et les ETI contre le risque d'impayés et porte à 20 milliards d'euros le renforcement des participations financières de l'État dans les entreprises stratégiques. Son article spécifique relatif à la Nouvelle-Calédonie ne concerne pas la Polynésie française. Cette garantie se monte à 250 millions d'euros, alors que les montants engagés par le gouvernement de Nouvelle-Calédonie sont beaucoup plus importants, de l'ordre de 460 millions d'euros. Nous constaterons donc une extrême fragilisation des gouvernements de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française lors de la reprise.
Madame Viviane Artigalas a évoqué des points très importants. Le tourisme est un secteur prioritaire pour les outre-mer. C'est un cataclysme qui va se produire, surtout en Polynésie française, car sur ce territoire, il se double d'un autre cataclysme, la fermeture des frontières aux ressortissants non-européens. Or pour plus de 80 %, la clientèle de la Polynésie française correspond à des touristes américains, australiens et japonais. Pendant des mois, l'industrie touristique va donc s'arrêter.
Pour La Réunion, même si la part du tourisme dans le PIB n'est pas aussi importante que sur d'autres territoires, cette île ne peut pas faire l'impasse sur cette activité. Nous sommes également particulièrement inquiets pour les Antilles.
Ces craintes sont de plusieurs ordres. Le tissu hôtelier, de restauration, les gîtes, les maisons d'hôtes, etc., sortiront exsangues de la crise si on ne les aide pas. De plus, nous n'avons aucune visibilité sur la reprise. Après le confinement, nos concitoyens pourraient ne pas avoir la tête à partir en vacances. Les difficultés devraient donc se prolonger dans nos territoires, alors que, dans de nombreux territoires, la situation avant pandémie était déjà difficile. À Saint-Martin par exemple, de nombreux hôtels devaient encore être reconstruits. À la Guadeloupe et en Martinique, l'offre touristique devait également être tonifiée.
Vous l'avez évoqué : quid des avions qui amènent nos touristes ? Dans un secteur déjà fragilisé, nous sommes effectivement inquiets pour plusieurs compagnies aériennes. L'année dernière, une compagnie a déjà disparu. Une autre compagnie, Air Austral, vient de recevoir une bouffée d'oxygène. Corsair nous préoccupe. La situation d'Air Caraïbes et de French bee est moins préoccupante, car ces compagnies sont adossées à un groupe solide. Néanmoins, en deux mois seulement, un groupe auparavant solide peut se retrouver en grande difficulté. French bee continuera-t-elle demain à desservir La Réunion et la Polynésie ? Je l'ignore. Quand je me suis entretenu récemment avec le président d'Air Caraïbes, il était optimiste, mais la situation a évolué depuis lors.
Le secteur du BTP est également majeur pour nous et il est aussi fragile. Depuis plusieurs années, ce secteur est dans une situation complexe, car, plus qu'ailleurs, la raréfaction de la commande publique s'y est fait sentir. Or les capacités de la commande publique se heurtent à une difficulté de nos collectivités d'outre-mer, qui, pour beaucoup d'entre elles, sont exsangues. Dans les années à venir, elles n'auront pas la capacité à soutenir un secteur en difficulté. Il faudra donc adapter certains dispositifs, concernant notamment l'aide à l'investissement, comme l'a évoqué Madame Nassimah Dindar. J'y reviendrai tout à l'heure.
Tous les secteurs de la continuité territoriale nous préoccupent également, notamment le secteur maritime. Dans un certain nombre de territoires, notamment en Polynésie française, celui-ci rencontrera de grandes difficultés. Bien avant le confinement, toute l'activité de transport de touristes avait déjà été interdite. Ces compagnies sont ainsi désormais en très grande difficulté.
Par ailleurs, le secteur de l'agriculture est sensible, et nous devrons faire des propositions en vue de la sortie de crise.
Nous avons réalisé un questionnaire que nous avons soumis à l'ensemble des entreprises d'outre-mer, pour identifier leurs difficultés. 500 à 600 entreprises y ont répondu et je vous en communiquerai la synthèse.
S'agissant de l'hébergement et de la restauration, les pertes sont estimées à plus de 1 million d'euros pour les grands hôtels des Antilles, ce qui est considérable. Les entreprises qui apparaîtraient les moins impactées ont tout de même perdu de l'ordre de 50 000 euros. La petite restauration, comme les petits restaurants de plage, est aussi concernée. En Guadeloupe, une perte de 50 000 euros contraint à mettre la clé sous la porte. Nous sommes donc très inquiets pour nos structures hôtelières et l'accompagnement des structures touristiques.
Je vous ferai donc parvenir ce document, qui concerne également l'agriculture, dès la fin de notre réunion.
Madame Viviane Artigalas a aussi fait référence à la continuité territoriale. Sur ce sujet, je souhaiterais attirer votre attention sur la question du fret. Sans compagnie aérienne, point de fret. Or pour une filière très importante telle que la filière avicole, les poussins d'un jour sont livrés par avion. Dans nos territoires, le fret aérien est souvent alimentaire.
S'agissant du fret maritime, aux Antilles on ne transporte plus que du matériel sanitaire, des denrées alimentaires, mais plus de mobilier ni d'autres articles nécessaires à la vie de tous les jours. Certains équipages n'ont pas été relevés depuis 2 mois et demi.
Je constate en outre que le prix du fret a augmenté considérablement selon certains territoires. La question doit donc être étudiée dans le détail pour comprendre cette situation.
Néanmoins, de nombreux chefs d'entreprise ont mis à disposition de leurs concitoyens des masques et du gel hydroalcoolique sans réaliser de bénéfices. À La Réunion par exemple, une entreprise spécialisée dans la production de rhum réalise désormais du gel hydroalcoolique, qu'elle vend à prix coûtant. Or ces produits sont vendus trois fois plus cher en pharmacie. Il conviendra de s'interroger sur ces dysfonctionnements à la sortie de la crise.