Tout d'abord, les conceptions du bien-être social sont extrêmement différentes à travers le monde. Elles peuvent reposer sur la réduction de la pauvreté et des inégalités, de bonnes retraites, l'indemnisation du chômage, la couverture maladie, la maternité, etc. À la différence de l'environnement, de la paix ou des échanges, le bien-être social n'est pas considéré comme un bien public mondial et ne bénéficie pas d'une vision commune.
Si on parle de compétition internationale, l'essentiel de ce qu'exprime la concurrence des systèmes sociaux, c'est le prix du travail, corrigé des différences de productivité : ce qui compte, ce n'est pas le salaire de quelqu'un, c'est ce qu'il produit pour ce salaire. On sait que, dans l'ensemble, lorsque les pays se développent, les salaires augmentent. Le cas de la Chine est très parlant de ce point de vue. Le prix du travail, qui avantageait ce pays il y a quinze ou vingt ans, est en train de disparaître peu à peu. Les industries se sont délocalisées de la Chine du Sud vers la Chine du Nord, et se déportent maintenant vers d'autres pays asiatiques.
Ce sont donc très souvent des situations transitoires. Reste la question de ce que le capitalisme doit produire pour réduire l'insécurité en général, y compris l'insécurité sociale, qui est de mon point de vue intrinsèque au capitalisme et très difficile à traiter au plan mondial.
Quant à la division internationale du travail, elle repose sur les avantages comparatifs et les prix relatifs. À chaque fois que les prix relatifs changent, ce sont les flux et les modalités qui évoluent. Jean-Pascal Tricoire en a parlé à propos d'une version plus régionale de la mondialisation ou plus locale de la régionalisation.
Les grands changements de prix, on le sait, concernent l'énergie, les salaires et le risque. Le Covid-19, a fait apparaître comme je l'ai indiqué un repricing du risque qui modifie beaucoup les prix relatifs. Je suis entièrement d'accord pour dire que la crise liée à la pandémie de Covid-19 va probablement faire monter la préoccupation environnementale dans l'esprit des populations ce qui, de mon point de vue, est plutôt une bonne chose.
Sauf à penser qu'on peut faire la révolution du jour au lendemain - et j'y ai renoncé depuis un certain temps -, ce sont ces modifications de prix relatifs et de réglementations qui peuvent changer le capitalisme et produire une nouvelle version un peu plus résiliente, soutenable, moins stressante pour les personnes et pour la nature. Cela passera par une revalorisation du prix du risque et du carbone : c'est un enjeu essentiel dans lequel l'Europe doit assurer son leadership.
Par ailleurs, je souscris totalement à ce qu'a dit Jean-Pierre Raffarin : soit l'Europe sort renforcée de cette crise, et le monde sera un peu moins dangereux, soit elle en sort affaiblie, et il sera encore plus dangereux.