Intervention de Pascal Lamy

Commission des affaires économiques — Réunion du 20 mai 2020 : 1ère réunion
« commerce international libre-échange mondialisation : quels enseignements tirer de la crise ? » — Table ronde

Pascal Lamy, ancien directeur de l'Organisation mondiale du commerce :

Monsieur Labbé, il faut bien sûr se poser la question de savoir comment on en est arrivé à cette catastrophe. La raison principale réside dans le fait que l'impréparation au niveau des États est très faiblement corrélée aux questions de globalisation. Cela n'empêche pas de se préparer, mais la vérité est qu'aucun pays ne s'attendait à ce risque, même si nous l'avions les uns et les autres évoqué depuis longtemps.

Je me souviens d'un rapport de 2012-2013 sur les défis du futur dans lequel figurait un paragraphe sur les maladies à venir, dont certaines transmissibles, où la maladie Covid-19 apparaissait clairement.

C'est une affaire d'organisation de nos sociétés, qui sont aujourd'hui incapables d'identifier des risques systémiques de ce type. Seuls les réassureurs savent le faire. Ils emploient en général des armées de mathématiciens, avec des modèles très compliqués. C'est dans cette direction qu'il faut aller.

La relocalisation alimentaire est quelque chose qui fait sens d'un certain point de vue car la sécurité alimentaire de certains est souvent corrélée à l'insécurité alimentaire des autres. L'existence de marchés mondiaux dans lesquels les pays peuvent se fournir en cas d'ennuis, le fait que l'Arabie Saoudite ait arrêté de produire des céréales qui lui coûtaient extrêmement cher et se fournisse dorénavant sur les marchés ukrainien, canadien et australien est plutôt une bonne chose.

Quant aux produits agricoles et alimentaires, vous savez sans doute qu'ils sont traités de manière tout à fait spécifique à l'OMC, et bien différemment des produits industriels ou des services. En termes de protection douanière, les taux atteignent en moyenne 15 à 20 %, alors qu'on est entre 2 et 5 % pour les produits industriels. Je ne parle même pas des subventions qui, dans le cas de l'agriculture européenne ou américaine, représentent environ 20 à 30 % des revenus des producteurs, ce qui est évidemment totalement hors norme par rapport au secteur industriel manufacturier ou au secteur des services.

Enfin, s'agissant des obstacles, j'ai coutume de distinguer le protectionnisme, qui consiste à protéger les producteurs de la concurrence étrangère, du précautionnisme, qui a pour but de soutenir les populations contre les risques, ce qui se traduit par des mesures réglementaires qui entraînent des obstacles à l'échange. Ce sont deux mondes qu'il faut absolument distinguer, même s'il peut y avoir des zones de recouvrement qu'il convient de surveiller.

Le futur réside dans une certaine forme d'harmonisation des précautions, qui constitue un exercice difficile. Un vélo, c'est un vélo, de la ferraille, c'est de la ferraille. Lorsqu'on parle de risques pour la santé ou pour l'environnement, de bien-être animal ou de risques sociaux, le débat repose sur l'idéologie, la culture et l'imaginaire. C'est un monde compliqué. Il suffit de parler de boeuf aux hormones ou de chloration des poulets pour comprendre qu'il peut y avoir des différences considérables sur la planète.

En matière de bien-être animal, la Suède et l'Inde n'ont évidemment pas les mêmes appareils conceptuels - que les anthropologues appellent « différences cognitives ». Ce monde-là est devant nous du point de vue de la régulation internationale. C'est ce à quoi il faut s'attacher dans l'avenir. C'est une tâche redoutable. La pandémie de Covid-19 va accélérer la nécessité de reconsidérer globalement la façon dont nous gérons les questions de précaution. C'est un défi considérable, notamment pour les pays les plus pauvres, qui n'ont pas forcément les mêmes moyens que le Japon, la Chine, les États-Unis ou l'Europe.

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