Intervention de Jean-Pierre Raffarin

Commission des affaires économiques — Réunion du 20 mai 2020 : 1ère réunion
« commerce international libre-échange mondialisation : quels enseignements tirer de la crise ? » — Table ronde

Jean-Pierre Raffarin, ancien Premier ministre :

Je répondrai à Serge Babary que je ne crois pas vraiment à l'hypothèse de fermeture de la Chine. En tous cas, pour obtenir la réciprocité en termes de marché, nous avons besoin d'une unité européenne renforcée. N'oublions pas que les principaux concurrents de nos entreprises françaises en Chine sont les Allemands.

Il y a donc des progrès à faire dans notre cohérence politique. Ne soyons pas naïfs : avec la Chine, c'est une question de rapports de force. Si on est fort, on peut essayer d'obtenir des espaces de souveraineté et de coopération. La Chine elle-même sait que certains marchés sont ouverts et comprend cette logique. J'ai assisté à des réunions intergouvernementales où l'on voit bien que cette idée d'espaces protégés ouverts entre la Chine et la France peut progresser. Plus les Français et les Allemands seront unis, plus on aura des chances d'être écoutés.

Joël Labbé a raison à propos de la nécessité de l'autocritique, mais lorsqu'on est au Gouvernement, on est dans un univers d'incertitudes. Quand on discute, les incertitudes doivent être levées et les choix apparaissent alors évidents. Nous vivons d'autre part dans un monde démocratique. Or en démocratie, il existe des alternances, des changements politiques et beaucoup de complexité. Le pouvoir ne fait pas toujours ce qu'il veut.

En 2004, Jacques Chirac a été un des premiers à considérer le risque pandémique comme une menace majeure. Il a commandé en 2004 un rapport à l'Inspection générale de l'administration afin de voir comment l'État pourrait réagir à un tel risque. Il a engagé par ailleurs un certain nombre de coopérations internationales. Il a ensuite fait en sorte que du matériel soit commandé, et la décision a été prise d'acquérir 250 millions de masques. Par ailleurs, les rapports sur la défense nationale intégraient le risque pandémique.

La stratégie anti-pandémie va bouger parce que nous sommes en démocratie. Certaines lectures sont faciles a posteriori mais le « management » est difficile quand on est au pouvoir. Je le dis parce que je connais ce mécanisme.

Aujourd'hui, il est très important d'avoir une vision et une capacité d'action. Pour ce qui est de la vision, on doit intégrer la conflictualité entre les deux grandes premières puissances. Sommes-nous capables d'arbitrer pour éviter l'affrontement général et trouver des alliés d'abord européens, puis dans d'autres pays, pour équilibrer la nouvelle gouvernance mondiale ?

Lors de la première guerre froide, les pays voisins des grandes puissances ont formé deux blocs, le bloc soviétique et le bloc américain, avec ses alliés atlantiques. Aujourd'hui, il semble bien que les pays soient prudents. Personne ne s'engage derrière ces deux puissances. Il existe un espace important de nations indépendantes, de pays non-alignés qui ne veulent pas non plus de l'isolement. Il y a là une situation à exploiter, à condition qu'on ait conscience de notre besoin d'alliances et de la réalité des rapports de force.

Jean-Pascal Tricoire a raison lorsqu'il souligne qu'il faut que l'Europe puisse faire entendre sa voix. Un certain nombre d'erreurs ont pu être commises. J'ai demandé que trois personnalités rédigent un rapport sur cette crise - le président du Sénat, le président de l'Assemblée nationale et le président du Conseil économique, social et environnemental - pour en tirer des leçons en matière de souveraineté et de décentralisation. Une vision prospective de cette crise est nécessaire.

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