Intervention de Isabelle Falque-Pierrotin

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 3 juin 2020 à 11h20
Audition de Mme Isabelle Falque-pierrotin candidate aux fonctions de présidente de l'autorité nationale des jeux anj

Isabelle Falque-Pierrotin, candidate proposée par le Président de la République aux fonctions de présidente de l'Autorité nationale des jeux :

S'agissant des moyens, notamment de la comparaison en termes d'effectifs avec l'Angleterre, nous devons probablement ajuster les ressources de l'ANJ par rapport à celles de l'Arjel. Lors de l'élaboration du rapport de préfiguration, j'ai rencontré de nombreux intervenants. Au terme de ces entretiens, il m'est apparu qu'une augmentation des ressources de 26 emplois était nécessaire, ce qui amènerait l'ANJ aux alentours de 80 postes, soit l'étiage moyen des autorités européennes comparables. Cet accroissement des moyens humains avait déjà été identifié comme nécessaire dans un rapport du Conseil d'État et de l'Inspection des finances. Alors évalué à 10 postes, c'était une estimation considérée comme très conservatrice au vu de l'arrivée d'acteurs particulièrement lourds face au régulateur et du poids de la Française des jeux.

Le plafond d'emplois de l'Arjel a été relevé de 5 équivalents temps plein (ETP) dans le budget pour 2020. Ont été en outre demandés 10 ETP de plus en 2021 et 10 ETP de plus en 2022. Au terme de cet ajustement, j'estime que nous disposerons d'une autorité ayant les ressources suffisantes pour faire face aux exigences de la régulation.

Dans le cadre de cette hausse d'effectifs, il faut se doter de nouvelles compétences. Je pense, en particulier, au contrôle de la publicité, au renforcement de la fonction de contrôle, encore insuffisante dans la configuration actuelle de l'Arjel, et aux nouveaux enjeux, comme ceux qui sont liés au fichier des interdits.

Une question portait sur les paris sportifs et la volonté, dans la période actuelle d'épidémie de Covid-19, de limiter le report des joueurs vers une offre illégale, l'offre française étant insuffisamment attractive. L'Arjel a accompagné le ministère des sports dans l'extension de la « liste sport », l'idée étant d'étendre, de façon raisonnable, cette liste afin de garder une offre attractive. C'est probablement encore insuffisant, ce qui nous amène à la question de la limitation de l'offre illégale.

Nous devons effectivement accroître nos capacités de contrôle de l'accès à l'offre illégale. À ce jour, nous passons par le juge, mais notre système de blocage judiciaire se traduit par une audience tous les deux mois, au cours de laquelle sont traitées 10 affaires. En un an, nous sommes en mesure de bloquer 100 sites. C'est trop peu ! Il faut donc explorer de nouvelles voies, comme celle du blocage administratif des sites. Celui-ci engendre de nombreuses réserves au nom de la liberté d'expression, mais je rappelle qu'il s'agit de bloquer des sites non agréés au titre du droit français.

Il en va de même pour les casinos en ligne. Bien que l'offre en ligne ait été fortement cantonnée par la politique de l'Arjel, consistant à avoir une offre nationale robuste, il existe actuellement une offre en ligne pour les casinos, en toute illégalité. Nous pourrions lutter efficacement contre cette offre, à nouveau en permettant le blocage administratif de certains sites.

Je ne saurai répondre, à ce stade, à la question de la régulation des jeux vidéo avec option payante et, plus largement, de l'e-sport. Elle est tout à la fois centrale, car elle intéresse le segment de joueurs connaissant la plus forte croissance - celui des jeunes adultes -, et stratégique, du fait de l'interpénétration de plus en plus forte de la logique des jeux vidéo et de celle des jeux d'argent. Que faut-il faire ? Il faut réfléchir avant de prendre une position définitive et l'analyse ne peut être guidée uniquement par des critères juridiques. Mais nous sommes concernés par le problème et nous savons qu'il faut trouver une réponse, certainement en coopération avec l'industrie du jeu vidéo et nos homologues européens.

Je me suis probablement mal exprimée sur le financement des filières. L'équilibre des filières figure évidemment parmi les objectifs fixés à l'autorité de régulation. L'ANJ aura donc bien cette préoccupation dans sa grille d'analyse, ses autorisations de jeux et sa politique de contrôle. Pour autant, la notion est imprécise. Sur quels critères se fonder pour apprécier la mise en danger d'une filière ? À partir de quand et comment estimer le risque de contamination d'une filière sur l'autre ?

L'ANJ doit pouvoir appréhender ce quatrième objectif en « dynamique » : le marché du jeu d'argent doit, certes, se développer, mais dans le respect des équilibres territoriaux et sectoriels des différentes filières. Nous serons vigilants à construire progressivement une doctrine sur la question, étant précisé que les équipes de l'Arjel travaillent déjà sur l'élaboration de critères permettant de déterminer si un jeu porte en soi un risque potentiel de rupture d'équilibre.

En outre, les difficultés rencontrées par le PMU du fait de la crise du Covid-19, avec une perte probable de 100 millions d'euros pour l'organisation, influent directement sur le financement de la filière hippique. Des réflexions sont en cours au sein de cette filière, et nous serons désireux d'y être associés, afin de pouvoir nous assurer que la sortie de crise, pour le PMU ou pour d'autres acteurs, ne mettra pas en péril les équilibres existants. Cette question de l'équilibre des filières nous apparaît donc vraiment, surtout dans la période actuelle, comme une dimension centrale de la régulation.

J'en viens à la transparence, qui, effectivement, est une notion essentielle. Une des obligations du régulateur est de veiller à l'intégrité de l'offre de jeu, et ce sur tous les segments, monopoles compris. Au moment de l'autorisation d'un jeu ou de l'agrément d'un opérateur en concurrence, nous allons ainsi veiller à ce que l'offre de jeu soit intègre, que les calculs et générateurs d'aléas soient techniquement vérifiés. Si tel n'était pas le cas, le jeu perdrait immédiatement de son attractivité pour le joueur. C'est donc une mission élémentaire.

Il est probable que le régulateur des jeux soit insuffisamment connu, mais la réforme de l'ANJ nous offre justement l'occasion de monter rapidement en puissance, en termes de communication et de visibilité. Alors que la pratique, je le rappelle, intéresse un Français sur deux, il faut faire en sorte que le régulateur des jeux soit connu et identifié, notamment par les joueurs, et ce afin de disposer de remontées d'information. Un régulateur n'est efficace que s'il est en prise directe avec le terrain !

Sur la question de la transparence, cette fois-ci avec l'évocation du cas de Betclic, nous coopérons avec Malte. Son autorité figure parmi les autorités de régulation européennes avec lesquelles nous travaillons et échangeons régulièrement. Par ailleurs, nous allons renouveler les agréments de 11 opérateurs. À cette occasion, nous procédons à une analyse poussée de la structure capitalistique, de l'organisation technique et de l'organisation de la fiducie des opérateurs concernés. Cette vérification sera menée très sérieusement.

S'agissant des processus d'addiction, je vous confirme que la population des joueurs entrés en phénomène addictif est majoritairement issue des populations à plus faibles niveaux de revenus et d'éducation. Cela montre bien l'existence d'un problème social en matière d'addiction. L'Arjel s'est fortement mobilisée sur le sujet, mais l'ANJ le sera encore plus, puisque nous bénéficierons de moyens d'action renforcés.

La question de l'identification des joueurs problématiques est fondamentale. En effet, le parcours d'un joueur addictif se déroule souvent à bas bruit ; lorsque l'addiction se déclenche, c'est déjà un peu tard. Les opérateurs doivent donc mettre en place des dispositifs pour repérer les signaux faibles. Le cadre de référence permettra de leur donner des orientations sur les pratiques à mettre en oeuvre pour repérer assez tôt ces joueurs. J'ajoute qu'il y a souvent un phénomène de « multi-addiction », l'addiction aux jeux d'argent se combinant avec d'autres addictions.

En matière de fiscalité des jeux, les dernières années ont consacré une évolution allant dans le sens d'une harmonisation européenne. Néanmoins, deux segments - le poker en ligne et le secteur hippique - restent imposés sur les mises. Faudra-il aller au-delà du changement fiscal ? La question se pose. Je vous confirme, également, que nous avons une fiscalité plus accusée que nos voisins européens - le prélèvement fiscal est environ le double du leur.

Je termine avec la question des mises digitales. Pour prendre l'image de l'automobile, les mises en dur demeurent le moteur principal des jeux ; si le moteur des mises digitales tourne plus vite, celles-ci restent encore minoritaires. Cela étant, c'est le segment qui croît le plus vite et attire les joueurs les plus délicats, c'est-à-dire les jeunes et les jeunes adultes. Nous entendons donc suivre cette problématique avec attention, en gardant en tête, encore une fois, les questions d'équilibre : équilibre concurrentiel entre filières, équilibre territorial et équilibres sectoriels.

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