Intervention de Cédric Perrin

Réunion du 2 juin 2020 à 14h30
Procurations électorales — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Cédric PerrinCédric Perrin :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes appelés aujourd’hui à examiner un texte qui permettra, je l’espère, de contribuer, par des aménagements judicieux du droit électoral, au bon déroulement du second tour des élections municipales.

Il ne vous aura pas échappé que la portée de la présente proposition de loi a grandement évolué par rapport à son objectif initial, tel qu’il était exprimé dans la première version de ce texte, que j’avais déposé en mars 2017.

Cet objectif n’était ni plus ni moins que de faciliter et de sécuriser le recours aux procurations électorales.

La procuration, si elle déroge effectivement au principe constitutionnel du secret du vote, n’en demeure pas moins, lorsqu’elle est correctement employée, un outil indispensable au bon fonctionnement d’une démocratie moderne.

N’oublions pas que, déjà dans l’Athènes de Périclès, tous les citoyens ne pouvaient en pratique se rendre quotidiennement sur la Pnyx pour voter ; la démocratie en souffrait. À présent, dans une époque où notre société devient toujours plus complexe, et alors qu’elle est confrontée à une crise sanitaire inédite, l’usage de la procuration prend a fortiori tout son sens. Il doit donc être rendu aussi effectif que possible.

Faciliter l’acte de vote est un impératif démocratique ; c’est notre rôle, en tant que parlementaires, que d’en faciliter l’établissement.

Certains obstacles s’opposent pourtant actuellement à cet exercice effectif.

Ainsi, depuis le décret du 11 octobre 2006 portant mesures de simplification en matière électorale, informer le mandataire de l’existence d’une procuration à son nom n’est plus automatique. Aux termes de la circulaire ministérielle publiée alors, « il revient désormais au mandant d’assurer l’information de son mandataire ». Si d’aucuns peuvent trouver cette solution intuitive, elle avait probablement aussi l’immense qualité de faciliter la vie de l’administration en évitant l’envoi d’un courrier recommandé au mandataire.

Malheureusement, cela revient surtout à laisser nombre d’électeurs dans le flou. Il arrive ainsi régulièrement que le mandant oublie de notifier le mandataire de l’établissement de la procuration. Dans cette situation, bien que le mandant ait établi la procuration dans les règles, il perd son vote.

Pire encore, dans l’éventualité où plusieurs personnes établiraient des procurations au bénéfice d’un seul mandataire sans que ce dernier soit informé de l’ensemble de celles-ci, ce qui est également chose courante, seule la première demeurera valable. Dans ce scénario, il serait possible que le mandataire ignore l’existence de l’unique procuration qui soit effectivement valable. Le choix de renoncer à l’information automatique du mandataire a donc créé un angle mort administratif aussi superflu qu’ennuyeux. Y remédier était à l’origine l’objet principal de ma proposition de loi.

Je l’avais déposée à nouveau en octobre dernier. À cette époque, le Covid-19 n’avait pas encore fait son apparition à Wuhan.

Depuis, les événements que nous connaissons tristement bien se sont produits. Le déroulement des élections municipales de mars 2020 a été grandement perturbé ; leur second tour a été reporté à la fin du mois de juin.

Durant cette crise, le Sénat a agi avec responsabilité : pratiquant un contrôle exigeant de l’action du Gouvernement, toujours précautionneux sur les enjeux de santé publique, il a aussi été une force de proposition.

Permettez-moi à cette occasion de saluer ici les travaux de tous les sénateurs qui ont contribué à ce que la démocratie ne soit pas confinée durant les derniers mois !

C’est dans le cadre de ces travaux que les présidents Bas, Retailleau et Marseille ont déposé, le 22 mai dernier, une proposition de loi visant à mieux protéger les électeurs et les candidats pour le second tour des élections municipales de juin 2020.

L’objectif de ce texte était de contribuer à parvenir à un équilibre entre, d’une part, l’impératif de protection de la santé de nos concitoyens, et, d’autre part, la nécessité d’assurer le bon fonctionnement des institutions démocratiques municipales.

En effet, repousser les élections n’est pas une décision à prendre à la légère. Du point de vue des principes, cela serait relativiser la fixité et la périodicité des mandats. Du point de vue pratique, cela contribuerait à ralentir l’investissement public local, au moment même où l’économie est en grande souffrance.

Pour atteindre cet équilibre, MM. Bas, Retailleau et Marseille prévoyaient dans leur texte plusieurs démarches convergentes.

D’abord, ils entendaient assurer une organisation du scrutin plus adaptée aux circonstances, en sécurisant les procurations déjà établies, en élargissant le recours à cette possibilité et en facilitant l’accès au vote des personnes vulnérables.

Ensuite, ils souhaitaient offrir à tous les participants une meilleure protection, en dotant les bureaux de vote des équipements nécessaires et en prévoyant la prise en charge de ces frais par l’État.

Enfin, ils voulaient faire en sorte que les pouvoirs publics soient informés de la situation sanitaire par le conseil scientifique suffisamment en amont pour que, le cas échéant, un report en bon ordre du scrutin demeure possible.

Compte tenu de la hausse de plus de 18 points du taux d’abstention au premier tour par rapport aux précédentes élections municipales, mais aussi de la possibilité d’une seconde vague de l’épidémie, ces mesures dérogatoires, qui ne se seraient appliquées qu’à ces élections, semblaient essentielles pour rétablir la confiance des électeurs.

Toutefois, un tel texte n’aurait pas pu être inscrit à l’ordre du jour à temps pour les élections.

Dès lors, la commission des lois a choisi d’employer ma proposition de loi comme véhicule législatif de ces mesures. J’approuve pleinement la direction qu’a prise la commission dans son travail, sous la houlette de son rapporteur, François-Noël Buffet, dont je salue l’excellent travail.

Je défendrai tout à l’heure plusieurs amendements visant à préciser certaines dispositions du texte dans l’esprit qui avait été celui de mon projet initial.

L’un d’entre eux a pour objet d’inscrire de manière pérenne dans le droit l’article 1er tel qu’il sera éventuellement amendé par mes propositions. Cet article est celui par lequel l’information du mandataire de l’existence de la procuration est organisée.

Il me semble en effet souhaitable que, pour toutes les élections à l’avenir, le mandataire soit informé de l’existence de la procuration par voie électronique ou par voie postale. L’ajout de son adresse de courrier électronique dans le formulaire devrait pouvoir régler très facilement le problème.

Je propose également que les autorités compétentes informent systématiquement de la procuration, par voie électronique, la préfecture de département du mandataire. Celle-ci en informerait à son tour, également par voie électronique, la commune du mandataire.

Compte tenu des délais très courts qui nous sont imposés, il serait regrettable que les délais postaux jouent contre nous et que les procurations soient perdues parce qu’elles n’auraient pu être acheminées en mairie.

Cette disposition permettrait également à un mandant de donner procuration jusqu’au jour du scrutin en cas d’empêchement soudain. Dans les faits, cette faculté était souvent inopérante du fait du délai d’acheminement.

Enfin, si nous voulons faciliter effectivement le vote par procuration pour les élections de juin prochain, il faut aussi en simplifier les conditions.

Il est impératif, en vue du second tour des élections municipales, de permettre aux électeurs de saisir les autorités compétentes par tout moyen, y compris par téléphone.

Quel intérêt pour l’autorité administrative d’exiger, comme cela se fait parfois, une lettre du mandant requérant le déplacement de l’autorité à son domicile ? Je dis bien « parfois », car les exigences des autorités varient d’un département à l’autre, voire au sein d’un même département.

L’autorité administrative qui se déplace est parfaitement capable de juger de la volonté du mandant et de sa capacité à donner mandat à un tiers. J’en veux pour preuve le fait que, lorsque l’autorité considère le mandant inapte, elle n’établit pas la procuration.

Les documents justificatifs nécessaires au déplacement des autorités compétentes doivent également être allégés. Je propose que ces dernières se déplacent sans exiger de justificatif préalable tel qu’un certificat médical. Imaginez seulement la difficulté d’une telle démarche dans nos campagnes, où il est difficile de trouver un médecin, ainsi que son coût ! Là encore, l’autorité compétente est parfaitement en mesure de constater qu’une personne ne peut pas se déplacer.

En conclusion, j’espère qu’en adoptant cette proposition de loi le Sénat enverra un signal aux électeurs, évidemment, mais également aux organisateurs de l’élection, à ces petites mains qui, dans chaque commune, font vivre notre démocratie. Le message que nous devons leur faire passer est qu’il sera possible d’organiser des élections se conformant aux meilleurs standards démocratiques tout en assurant une protection sanitaire irréprochable de leurs participants.

Je veux également m’adresser ici au Gouvernement : au cours des derniers mois, il nous a démontré sa capacité à faire preuve d’une grande célérité pour l’adoption de ses projets de loi, pourtant bien plus longs et complexes que cette modeste proposition de loi. Espérons que cet activisme ne se limite pas aux seuls textes omnibus portant habilitations à prendre diverses ordonnances !

Jadis, Jacques Cœur avait adopté pour devise : « À cœur vaillant, rien d’impossible ! » Je ne peux donc que vous inciter, monsieur le secrétaire d’État, à faire preuve de vaillance sur ce texte sénatorial, dont l’adoption finale n’a rien d’impossible !

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