Intervention de Laurent Nunez

Réunion du 2 juin 2020 à 14h30
Procurations électorales — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Laurent Nunez :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, comme il a été rappelé, la période que nous avons traversée nous a conduits à changer nos habitudes et à bousculer nos usages.

« Gestes barrières » et « distanciation physique » : autant d’expressions que nous ne connaissions pas, ou à peine, il y a six mois et qui font aujourd’hui partie prenante de notre quotidien.

Vous le savez, en annonçant, le 22 mai dernier, la décision d’organiser le second tour des élections municipales dans les presque 5 000 communes où le premier tour n’avait pas été conclusif, le Premier ministre a agi en conscience et en responsabilité.

En conscience, parce que cette décision a été prise sur le fondement de l’avis du conseil scientifique et après avoir consulté élus et formations politiques.

En responsabilité, parce qu’elle est assortie d’un certain nombre d’obligations, tant pour la campagne que pour le vote, de manière à assurer le respect des gestes barrières, mais aussi parce que cette décision est réversible au cas où la situation sanitaire l’exigerait. En ce moment même, d’ailleurs, la commission des lois de l’Assemblée nationale examine un projet de loi qui doit nous préparer à cette éventualité.

Cela dit, dans ce contexte et comme nous y a invités le rapport du comité scientifique du 18 mai dernier, nous devons garder à l’esprit plusieurs éléments. D’abord, cette campagne électorale devra être différente des campagnes ordinaires, puisqu’elle exigera un respect scrupuleux des règles sanitaires et, notamment, de la distanciation physique ; ensuite, nous devons faire tout notre possible pour favoriser la mobilisation des électeurs, diminuer l’abstention et nous assurer que tous ceux qui le souhaitent puissent voter.

À ce sujet, dès le 27 mai dernier, Christophe Castaner, ministre de l’intérieur, et moi-même avons consulté les élus et les responsables de partis politiques afin de connaître leur sentiment.

C’est sur le fondement de ces consultations et de l’avis des scientifiques que nous allons prendre des mesures pour aménager les règles de la campagne électorale, ainsi que celles qui sont afférentes aux opérations de vote proprement dites.

Nous préparons actuellement, pour ce faire, des mesures, qui seront prises par décret ainsi que par voie de circulaires. Je reviendrai évidemment dans la discussion sur ce choix, puisqu’un certain nombre de mesures dont nous allons débattre aujourd’hui relèvent bien – il faut avoir le courage de le dire – du pouvoir réglementaire, voire de la simple circulaire. Il faut que les Français entendent cette réalité, monsieur le président Bas !

Concernant la campagne électorale, ces mesures consisteront, d’une part, à assurer une offre gratuite d’hébergement en ligne des professions de foi qui auront été validées par une commission de propagande électorale – cette mesure a déjà été discutée avec les responsables de partis politiques et d’associations d’élus –, et, d’autre part, à rendre possible l’apposition d’une deuxième affiche électorale, dont les frais d’impression seront pris en charge par l’État.

S’agissant de l’élection à proprement parler, nous interviendrons bien, monsieur le président de la commission, mesdames, messieurs les sénateurs, pour assouplir le régime des procurations, pour élargir les cas où un délégué d’officier de police judiciaire peut se déplacer, supprimer la nécessité d’un motif pour établir une procuration et permettre à ces délégués de recueillir des procurations dans des lieux ouverts au public.

Nous prévoyons bien d’adresser aux maires et aux présidents de bureaux de vote des recommandations portant sur l’organisation des bureaux et du dépouillement, afin que les opérations se passent dans les meilleures conditions sanitaires possible. Évidemment, les dispositifs de protection sanitaire des électeurs et des personnes participant à la tenue des bureaux de vote seront pris en charge.

Ces dernières dispositions permettent de montrer que l’on peut voter en confiance et que toutes les mesures sanitaires ont été prises. Vous avez rappelé combien cela est important, monsieur Perrin, et vous aussi, monsieur le président de la commission.

Qu’il s’agisse des mesures portant sur les procurations ou de celles qui concernent l’organisation des opérations de vote, nous avions réussi à les mettre en place dans des délais restreints avant le premier tour. Nous avons aujourd’hui un mois devant nous pour nous préparer au mieux, de manière conjointe entre État et communes, comme nous l’avons toujours fait.

Permettre à chacun d’exprimer son vote est bien – j’en suis sûr, monsieur Perrin, monsieur le président Bas, mesdames, messieurs les sénateurs – l’objet de cette proposition de loi ; le Gouvernement n’en doute absolument pas.

Il n’est d’ailleurs pas défavorable à la mesure centrale de ce texte, consistant à porter à deux le nombre de procurations qu’un même mandataire peut détenir.

Si le Parlement souhaite procéder à cette évolution pour le second tour des élections municipales du 28 juin prochain, en raison de l’état d’urgence sanitaire et du contexte épidémique que nous continuons de connaître, le Gouvernement soutiendra évidemment ces initiatives.

Cependant, pour qu’elles aient un effet pleinement utile, il faut notamment qu’elles entrent en vigueur à temps pour la tenue du second tour le 28 juin prochain. Pour avoir bien écouté M. le président de la commission, je crois que nous partageons, toutes et tous ici, cette préoccupation.

À cet égard, il me semble que le projet de loi actuellement en discussion à l’Assemblée nationale constitue un vecteur plus sûr et plus efficace compte tenu de l’urgence ; j’ai bien noté, monsieur le président de la commission, que nous aurions un débat sur cette question.

Au demeurant, la présente proposition de loi, dont le Gouvernement partage l’ambition – faciliter l’exercice du vote –, pose certaines difficultés qu’il faut savoir souligner.

Ainsi, devoir informer le mandataire qu’une procuration a été établie à son nom ferait porter une charge lourde et importante sur les fonctionnaires de police et les maires. Cela reviendrait sur l’avancée qu’a permise un décret de février 2004 – Nicolas Sarkozy était alors ministre de l’intérieur –, qui prévoyait la fin de l’obligation d’information du mandataire. Son objet était d’affirmer qu’il revenait à la personne qui établissait une procuration d’en avertir son mandataire, et non aux pouvoirs publics.

Cette position du ministre de l’intérieur de 2004 nous paraît toujours pertinente. Elle traduit, surtout, le fait que cette règle ne relève pas du niveau législatif, puisqu’il avait alors été procédé par décret.

D’autres difficultés prévisibles résulteraient de l’adoption du texte présenté aujourd’hui. Ainsi, la capacité de confier une procuration à un parent, un enfant, un frère ou une sœur qui serait domicilié hors de sa propre commune d’inscription sur les listes électorales ne pourrait pas faire l’objet de vérifications. Il faut savoir le dire, monsieur le président de la commission ! Je vous ai entendu parler de cette mesure : elle satisferait à l’évidence la plupart de nos concitoyens, elle est même une mesure de bon sens, mais encore faut-il pouvoir la mettre en œuvre dans les délais requis !

Je veux vous rappeler à ce propos que ce sont aujourd’hui encore les maires qui vérifient qu’un mandataire n’est pas porteur de plus d’une procuration. Or qu’en est-il ? L’Insee n’est techniquement pas en mesure de permettre cette vérification, qui vise à limiter le fait qu’une même personne détienne des procurations trop nombreuses. Faute d’outil adapté, un tel dispositif pourrait favoriser des démarches frauduleuses ; ce n’est pas, me semble-t-il, ce que nous recherchons. C’est la raison pour laquelle le décret d’application de la loi Engagement et proximité sur ce point n’a pas encore été publié : c’est bien cette raison technique qui l’a empêché.

Par ailleurs, votre proposition de loi comprend des mesures utiles, que le Gouvernement partage, mais qui, pardonnez-moi d’insister, ne relèvent pas du domaine de la loi. Aussi sont-elles susceptibles d’être mises en œuvre par décrets, voire par simples circulaires. Telle est d’ailleurs notre intention.

C’est ainsi le cas de l’établissement de procurations pour les personnes vulnérables, comme je l’ai déjà indiqué, mais aussi de la suppression du motif justifiant le recours à la procuration.

C’est également le cas des dispositions relatives au matériel mis à la disposition des électeurs pour assurer leur protection lors du vote. Le ministre de l’intérieur s’y est déjà engagé : non seulement nous retiendrons toutes les préconisations du conseil scientifique, mais encore l’État prendra à sa charge l’équipement des bureaux de vote dans les communes, partout où cela sera nécessaire.

Enfin, bien évidemment, la police des bureaux de vote relève des présidents de ces bureaux. Un certain nombre de mesures figurant dans la proposition de loi dont nous discutons aujourd’hui relèvent de ce pouvoir de police et d’organisation du président du bureau de vote.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement partage une volonté, une ambition, celle que chacun puisse exprimer son vote le 28 juin, malgré le contexte sanitaire, en facilitant notamment le recours au vote par procuration.

Cependant, le Gouvernement ne peut soutenir la proposition de loi examinée ce jour, car elle abrite de trop nombreuses mesures ne présentant pas de caractère législatif. Surtout, elle pourrait ne pas entrer en vigueur à brève échéance, ce qui priverait d’effet utile les dispositions intéressantes qu’elle comprend, lesquelles, je le redis, trouveront une traduction réglementaire ou par circulaires.

Monsieur le sénateur Perrin, vous avez cité Jacques Cœur. Vous savez, vous parlez à un Berruyer : « À cœur vaillant rien d’impossible ! » est la devise de la ville de Bourges. Soyez donc certain que le Gouvernement est attaché à faire preuve de la plus grande vaillance et de détermination afin que la participation soit la plus large possible le 28 juin, notamment grâce aux mesures que nous prendrons, conformément à notre Constitution, par voie de décrets, parfois de circulaires.

Voilà, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, ce que je souhaitais vous indiquer.

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