Intervention de Éric Kerrouche

Réunion du 2 juin 2020 à 14h30
Procurations électorales — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Éric KerroucheÉric Kerrouche :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons la proposition de loi de M. Cédric Perrin, qui sert de véhicule législatif à celle de MM. Philippe Bas, Bruno Retailleau et Hervé Marseille. Cette méthode, assez peu commune, répond à l’urgence de la tenue du prochain scrutin municipal prévu le 28 juin prochain, sous réserve d’un avis du conseil scientifique.

Il s’agit donc de faire une bouture, en espérant que le greffon puisse prospérer dans le premier texte, mais cela dépendra en grande partie de la bonne volonté du Gouvernement. Je ne puis que regretter que la procédure accélérée n’ait pas été engagée. Pourtant, selon le Conseil constitutionnel, le Gouvernement a la faculté de la mobiliser à tout moment, jusqu’avant le début de l’examen d’un texte, même si les conférences des présidents des deux assemblées peuvent s’y opposer.

Cette proposition de loi a pour objet de répondre, d’une part, à un enjeu de santé publique, et, d’autre part, à un enjeu démocratique, en étendant le recours aux procurations et en sécurisant l’organisation du scrutin pour les presque 17 millions d’électeurs des 4 857 communes concernées.

Le premier tour ayant été marqué par une abstention inédite sous la Ve République, il faut favoriser la participation de tous au second tour.

En France, l’abstention aux élections municipales est un phénomène qui se développe dans le temps. L’élection locale n’échappe plus à la tendance globale à la désaffection à l’égard de la participation politique. Dans les années 1990, la participation aux municipales est passée sous la barre des 80 % ; dans les années 2000, elle s’est établie à moins de 70 %. Nous pensions avoir atteint un taux plancher en 2014, avec une participation de 63, 5 %, et cela en dépit de l’attachement des Français à leur maire et à leur commune.

La réponse abstentionniste est un mouvement de fond, symptôme d’un malaise de la représentation politique. Toutefois, l’effondrement de la participation du 15 mars dernier a une tout autre cause : alors que, à la veille du premier tour la France, passait au stade 3 de l’épidémie, il a été décidé de maintenir ce scrutin.

Il est certain que, si les acteurs politiques avaient alors disposé de toutes les informations, ces élections auraient probablement été reportées. En l’occurrence, le premier tour a eu lieu alors que l’on savait pertinemment que le second ne pourrait être organisé. Résultat, la participation s’est établie à moins de 45 %, chutant d’à peu près vingt points. Pour la première fois depuis le début de la Ve République, moins de la moitié des Français inscrits sur les listes électorales se sont déplacés pour une élection municipale. Dans un pays comme le nôtre, qui est viscéralement attaché au fait majoritaire, une participation en deçà des 50 % est très symbolique.

Selon l’enquête Ipsos-Cevipof des 16 et 17 mars 2020, quelque 57 % des répondants qui n’ont pas participé au scrutin indiquaient ne pas l’avoir fait à cause du coronavirus. Cette abstention a été fortement différentielle. Toujours selon cette enquête, la proportion d’abstentionnistes a crû en fonction de l’âge : de 32 % parmi les 18-24 ans à 67 % parmi les plus de 65 ans.

Par ailleurs, si 48 % des abstentionnistes des communes rurales ont invoqué le coronavirus, ce taux était de près de 70 % dans les communes urbaines.

On peut donc en conclure que, d’une certaine façon, le scrutin du 15 mars dernier a été lui aussi infecté par le coronavirus. Il est donc nécessaire de favoriser une participation dans un contexte inédit.

L’abstention pourrait tout à fait être aussi forte au second tour ; je vous rappelle qu’une enquête Cevipof conduite entre les 23 et le 24 mai souligne que 64 % des Français auraient souhaité un report des élections. Par ailleurs, une autre enquête révèle que seul un tiers des électeurs concernés se disent prêts à se déplacer. L’organisation du scrutin ne fait donc pas consensus, et il faut trouver des arguments légitimes.

Je sais que ce rendez-vous électoral présente pour la majorité beaucoup moins d’enjeux que les rendez-vous suivants. C’est pourquoi elle veut rapidement sortir de cette séquence. Reste que, au-delà du doute sur la participation, ce scrutin est singulier : incertitude sur le plan sanitaire, campagne électorale 2.0, risque juridique, puisque le Conseil d’État a transmis au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité.

L’élection est coupée en deux, et il faut garantir le jeu démocratique lors d’un scrutin qui n’est vraiment pas comme les autres. Le conseil scientifique a invité à limiter les contacts pendant les campagnes et a énuméré des recommandations ; nous les partageons, elles sont reprises dans ce texte.

Par ailleurs, des dispositions dérogatoires sont proposées s’agissant des opérations de vote. Elles peuvent se heurter aux standards électoraux qui font que la stabilité doit prévaloir. Je crois néanmoins que, dans la période que nous vivons, nous devons savoir faire preuve d’une certaine plasticité.

Le texte de la commission propose d’étendre le recours aux procurations aux citoyens qui ne peuvent se rendre jusqu’à leur bureau de vote. L’élargissement du vivier des mandataires prévu par la loi Engagement et proximité est anticipé. Pourquoi pas ? C’est une bonne chose. Pourquoi s’arrêter là ? Nous défendrons des amendements visant à compléter cette mesure.

Nous avons aussi conscience que ces dispositions nécessiteront une mobilisation des services de l’État comme des communes. Toutefois, dans la mesure où cette proposition de loi se situe dans une perspective palliative, j’ai proposé, en complément et sans la remettre en cause, avec certains de mes collègues du groupe socialiste et républicain, de mettre en place un vote postal. Là encore, ce n’est pas une solution parfaite, mais cela pourrait rassurer les électeurs.

Si les estimations en matière de participation se vérifiaient, ce serait un problème non seulement pour le système politique, mais aussi pour les élus qui sont d’autant plus légitimes que la participation est forte.

Un amendement introduit à l’Assemblée nationale dans le texte qui est discuté vise à étendre le vote postal à l’ensemble des élections, preuve que le sujet se discute.

La France ne serait d’ailleurs pas le premier pays à le mettre en œuvre : des élections ont été organisées de cette manière en Bavière, en pleine épidémie du Covid-19. Certes, cette proposition présente un coût, qui reste à détailler, mais nous pensons que la démocratie n’a pas de prix et nous devons la faire vivre, comme diraient certains, « quoi qu’il en coûte ».

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion