Merci beaucoup, Madame la présidente, Mesdames les sénatrices, Messieurs les sénateurs, pour votre invitation. C'est un honneur et un plaisir pour nous de participer aux travaux de la délégation aux droits des femmes du Sénat.
Avant de laisser la parole à Ernestine Ronai, je voudrais vous faire part de quelques généralités, que vous avez certainement toutes et tous à l'esprit, concernant les violences faites aux femmes et aux enfants pendant la période de confinement.
Nous pouvons dire que le confinement est un facteur de dangerosité dans les foyers où vit un sujet violent, pour deux raisons. La première - et d'une certaine manière, c'est un paradoxe - est que le confinement est au service de la stratégie de l'agresseur, puisqu'il lui offre l'isolement de ses victimes avec le sien. Nous savons que les sujets violents ont, dans leurs traits de personnalité, l'intolérance à la frustration ; or le confinement est en soi une frustration. Il met à la disposition de l'agresseur, isolés avec lui dans le foyer et soumis à des restrictions de déplacement, la femme et les enfants qui sont ses victimes. C'est pourquoi nous avons craint, dès les premières heures du confinement, une augmentation très importante des passages à l'acte.
La deuxième raison est que le confinement nous a fait perdre nos yeux : d'une certaine façon, il a augmenté la cécité des institutions et des professionnels de la protection. S'agissant par exemple, pour le juge des enfants que je suis, du repérage des violences faites aux enfants, en perdant l'école, nous avons perdu l'institution qui est en première ligne dans les processus de signalement des enfants en danger.
Il y a donc ce double effet qui accroît potentiellement dans des proportions considérables le danger pour les victimes au sein des foyers : d'une part, l'augmentation de l'isolement et de la frustration de l'agresseur et, d'autre part, la diminution de nos capacités de repérage. Ce sera, je pense, une des leçons à tirer et une des dimensions à anticiper pour des situations similaires à l'avenir : anticiper et prévenir le passage à l'acte dans une situation de confinement.
Il me semble pour ma part qu'il est encore trop tôt pour analyser les tendances. Nous disposons bien sûr d'éléments de principe et de statistiques qui nous ont été communiquées par le ministère de l'intérieur, en ce qui concerne l'augmentation des interventions à domicile, et par le secrétariat d'État à la protection de l'enfance, en ce qui concerne l'augmentation considérable des appels au 119 pour le signalement d'enfants en danger.
Nous savons qu'il y a eu une forte augmentation du risque de passage à l'acte pour les violences conjugales et les violences faites aux enfants pendant le confinement et qu'il y a eu un accroissement très important des appels au 119. Pour ma part, je ne vois pas encore, au moment où je vous parle, les effets de ces chiffres dans mon cabinet de juge des enfants car je n'ai pas encore reçu les requêtes correspondantes. L'Observatoire national de la protection de l'enfance (ONPE) vient de publier les premières observations sur la gestion de la protection de l'enfance pendant le confinement. Elles montrent que, dans certains départements, les Cellules de recueil des informations préoccupantes (CRIP) avaient été amenées, en raison de leur fonctionnement réduit, à prioriser les urgences selon les faits, l'âge des enfants ou la situation familiale. En ce qui me concerne, j'ai dû gérer des urgences - soit de mon domicile, soit depuis le tribunal - pour des femmes et des enfants victimes de violences qui se trouvaient déjà sous le regard des institutions de protection avant le début du confinement.
Je pense que le confinement a créé un écart entre deux types de situations radicalement différentes. Il faut distinguer la situation des familles déjà connues par les institutions, pour lesquelles des professionnels de la protection de l'enfance étaient déjà désignés et qui m'ont sollicité pour des placements en urgence lors des moments de crise, de la situation des familles qui n'étaient pas repérées par les institutions de protection. Pour ces familles, de mon point de vue, la cécité est quasiment complète.
Le dernier point que je voudrais évoquer est le lien, qui est toujours à faire, entre les violences conjugales et les violences faites aux enfants : dans les deux cas, les agresseurs présentent les mêmes traits de personnalité : intolérance à la frustration, défaut d'empathie, etc. Les violences subies par sa mère nuisent considérablement au bien-être et au bon développement de l'enfant. En temps de confinement, c'est encore pire puisqu'il ne peut pas en parler. Il y a une corrélation entre les violences conjugales et les violences physiques, psychologiques et/ou sexuelles faites aux enfants.
Si la violence est un instrument aux mains du violent conjugal pour obtenir le pouvoir, il obtient aussi ce pouvoir par la violence qu'il exerce contre les enfants.