Intervention de Ernestine Ronai

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 20 mai 2020 : 1ère réunion
Audition de Mme Ernestine Ronai responsable de l'observatoire des violences envers les femmes de seine-saint-denis et de M. édouard duRand juge des enfants au tgi de bobigny co-présidents de la commission « violences de genre » du haut conseil à l'égalité

Ernestine Ronai, responsable de l'Observatoire des violences envers les femmes de Seine-Saint-Denis, co-présidente de la commission Violences de genre du Haut Conseil à l'égalité :

Je vous remercie à mon tour, Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les sénateurs, pour votre invitation. Nous sommes sensibles à l'engagement de la délégation aux droits des femmes du Sénat ; il y a quelque chose de l'ordre du partenariat entre votre travail et le nôtre.

Le confinement est arrivé après le mouvement #MeToo, après le comptage des féminicides par les associations féministes et après le Grenelle de lutte contre les violences conjugales, c'est-à-dire dans un contexte de sensibilisation déjà forte de l'opinion publique, des institutions et des responsables publics. Nous avons sans doute, grâce à cela, beaucoup mieux géré la situation - même si, comme vient de le dire Édouard Durand, nous ne disposons pas pour l'instant de suffisamment d'éléments d'analyse. Nous avons tout lieu de penser que cela aurait pu être bien pire. Nous sommes en effet certains que, dans le cadre de ce confinement, les violences au sein de la famille ont augmenté, même si nous ne connaissons pas encore les chiffres.

Il y a eu une très forte communication sur l'existence des numéros d'appel d'urgence et des plateformes destinées à recueillir les signalements de victimes de violences conjugales ou de violences faites aux enfants. Cette campagne s'est révélée très utile : pour le 3919 par exemple, on a relevé 12 000 appels en avril 2020 contre 5 000 en avril 2019. Ces chiffres révèlent que les femmes étaient mieux informées de l'existence de ces outils.

France victimes, association généraliste d'aide aux victimes, a constaté une augmentation de 30 % des appels de victimes de violences conjugales. Le nombre de tchats sur la plateforme Arrêtonslesviolences.gouv.fr a été multiplié par cinq. Le 114, numéro d'appel SMS, à l'origine destiné aux personnes sourdes et malentendantes, a été élargi pendant le confinement aux personnes victimes de violences ; il a reçu 2 000 messages pour le seul mois d'avril 2020, dont un tiers signalant un danger immédiat, qui ont donné lieu à un appel au 17. En Seine-Saint-Denis, à l'initiative de l'État et du conseil départemental, les bailleurs sociaux ont apposé, dans les halls des immeubles, les affichettes sur le numéro d'appel 3919.

Le nombre de téléphones grave danger (TGD) a augmenté. Le 15 mars 2019, on comptait un total de 849 téléphones déployés sur le territoire français, mais seulement 330 de ces appareils étaient attribués. Une circulaire de la garde des sceaux, en mai 2019, a demandé que les TGD soient davantage déployés et que les ordonnances de protection (OP) soient délivrées en plus grand nombre. Le 5 mars 2020, le nombre de TGD déployés est passé à 1 326 pour l'ensemble du territoire, dont 897 sont attribués, c'est-à-dire presque trois fois plus que l'année précédente. Au 4 mai 2020, le nombre de TGD déployés est passé à 1 392, dont 1 026 sont attribués, et une centaine pendant la période du confinement.

Cela signifie que lorsqu'il existe une politique publique volontariste, claire, on obtient des résultats. Les instructions de la garde des sceaux de mai 2019 ont porté leurs fruits : il a fallu six ans pour que les magistrats s'approprient le Téléphone grave danger, mais aujourd'hui l'outil est utilisé et il fonctionne.

En revanche, les avocats ne recevant plus que par téléphone et les tribunaux étant fermés, le dépôt d'une requête pour la délivrance d'une OP était extrêmement compliqué. Le TGI de Bobigny a enregistré 38 requêtes pendant les deux mois de confinement ; 23 OP ont été délivrées et sept demandes ont été rejetées, soit 76 % de résultats positifs. Lorsqu'il y a une politique partenariale forte, on obtient des résultats, confinement ou pas.

Les 23 OP délivrées pendant la période de confinement sont moins nombreuses que d'habitude mais on relève également moins de plaintes : en Seine-Saint-Denis, au début du confinement, on constatait 23 % de plaintes en moins par rapport à la même date de 2019 et 8 % de moins à la fin du confinement. Cette baisse du nombre des plaintes a été constatée sur tout le territoire français.

Cela veut dire, comme disait Édouard Durand à l'instant, qu'au début du confinement, à cause d'un phénomène de sidération très fort, les femmes avaient beaucoup plus de mal à révéler les violences ; au fil des jours, elles ont pu sortir et déposer plainte. Par contre, les interventions au domicile ont été plus nombreuses. On nous dit que les violences ont augmenté pendant le confinement. Nous n'avons pas tous les chiffres aujourd'hui mais on peut dire que malgré les risques sanitaires, les policiers et les gendarmes ont continué d'intervenir à domicile, dans toute la France, ce qui est positif.

Vous vous souvenez sans doute que Luc Frémiot avait créé, dans le département du Nord, chez Emmaüs, donc sans trop de confort, un lieu d'hébergement pour les agresseurs. Il nous a semblé, au début du confinement, que pour la victime, quitter le domicile et partir dans l'errance avec ses enfants, dans une chambre d'hôtel où elle ne pourrait pas préparer de repas, où les enfants seraient privés de leurs jouets, était impensable. Il n'était pas possible de contraindre une femme à vivre dans ces conditions terribles.

Nous avons donc travaillé et proposé - c'était une innovation - que des chambres d'hôtel soient attribuées aux hommes violents, non pas pour leur confort, mais pour que la victime puisse rester en paix et en sécurité dans son logement, pour que son agresseur en soit évincé par une mesure judiciaire qui permette de le localiser et pour que soit mis en place un contrôle judiciaire efficace, le contrôleur pouvant téléphoner à l'hôtelier pour vérifier que l'agresseur y est bien présent. La victime était prévenue que son agresseur était hébergé à l'hôtel et qu'il ne n'avait pas le droit de se présenter à son domicile. Pour ce que j'en sais, début mai, au niveau national, 89 chambres d'hôtel avaient été attribuées. Le conseil départemental de la Seine-Saint-Denis a ainsi assuré le financement de dix chambres d'hôtel, dont huit sont occupées par des hommes violents.

Cette mesure étant nouvelle, il a fallu un peu de temps pour qu'elle fonctionne, mais les parquets et les juges des libertés et de la détention ont joué le jeu. C'est une mesure dont le bilan est positif et qu'il faut faire perdurer.

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