Intervention de Édouard Durand

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 20 mai 2020 : 1ère réunion
Audition de Mme Ernestine Ronai responsable de l'observatoire des violences envers les femmes de seine-saint-denis et de M. édouard duRand juge des enfants au tgi de bobigny co-présidents de la commission « violences de genre » du haut conseil à l'égalité

Édouard Durand, juge des enfants au TGI de Bobigny, co-président de la commission Violences de genre du Haut Conseil à l'égalité :

Merci, Madame la sénatrice, pour cette question très importante. J'imagine qu'en tant que parlementaires, vous devez tous faire l'objet de pressions très intenses et récurrentes de la part de ces lobbies qui sont à la fois très puissants et très tenaces. Je vous remercie d'autant plus que je souhaitais aborder ce point en lien avec les questions évoquées par la présidente dans son propos introductif sur les avancées du Grenelle et du post-Grenelle de lutte contre les violences conjugales, sur la loi Pradié1(*) et la proposition de loi Couillard-Gouffier-Cha2(*).

Il y a dans ces deux textes des avancées, notamment en ce qui concerne la parentalité, par les modalités d'exercice de l'autorité parentale, la protection des femmes victimes de violences, la souplesse apportée dans l'attribution des OP, la fin de l'obligation alimentaire pour les enfants de pères féminicides, et la tentative d'accentuer le retrait de l'autorité parentale par la voie qui avait été annoncée par le Premier ministre dès l'ouverture du Grenelle, à savoir le retrait de l'exercice de l'autorité parentale par le juge pénal.

Depuis plus de dix ans, on constate une évolution cohérente de la législation et des politiques publiques. Le problème est que nous n'en voyons pas suffisamment les effets dans les décisions de justice.

Peut-être faut-il que nous parvenions à une législation plus impérative. Il n'est pas normal qu'une femme ou des enfants soient plus ou moins bien protégés selon que les professionnels qu'ils rencontrent - avocats, procureur, juge - sont sensibilisés ou pas aux violences conjugales. Pour limiter cet aléa, il faut utiliser les outils qui existent.

Je crois pouvoir dire en nos deux noms, et moi en tant que juge, que nous sommes tout à fait soucieux du respect des principes fondamentaux, mais qu'ils doivent être mis en oeuvre dans une culture de la protection des victimes de violences.

C'est ce que j'entends dans la question que vous posez, Madame la sénatrice, sur les mouvements virilistes, la résidence alternée et les droits des pères. Je ferai deux observations sur ce sujet. La première est que, s'agissant des questions de parentalité, il faut regarder deux choses : l'existence de violence et la prise en compte des besoins fondamentaux de l'enfant. Laurence Rossignol, lorsqu'elle était ministre, avait initié la démarche de consensus sur les besoins fondamentaux des enfants en protection de l'enfance : voilà un socle à partir duquel nous pouvons mieux penser la protection des enfants.

Ces deux éléments - la violence et la prise en compte des besoins fondamentaux de l'enfant - nous obligent à voir que la résidence alternée n'est jamais possible quand il y a violence et qu'elle ne peut pas, par principe, répondre aux besoins fondamentaux des enfants. Il est assez consensuel de dire que jusqu'à l'âge de six ans, la résidence alternée est prématurée en terme d'attachement et de sécurité affective. Nous sommes précautionneux pour beaucoup de choses, soyons-le pour la protection des familles.

Malheureusement, le droit de la famille est en train de devenir à mon avis un champ de ruines. Sous l'effet d'une poussée libérale extrêmement puissante, il est entré dans un processus de dérégulation très fort. Il va finir par être un terrain vague où il sera possible de demander n'importe quoi, où toute demande sera perçue comme légitime, y compris celle d'une garde alternée pour un enfant âgé de quelques semaines. C'est pourquoi je parle de la nécessité d'une législation plus impérative. Les magistrats ont besoin que le législateur fixe un cadre très clair pour que le droit de la famille soit protecteur, qu'il ne soit pas un espace où les violents vont pouvoir utiliser le droit pour conserver le pouvoir.

J'ai un regret sur le retrait de l'autorité parentale annoncé en conclusion du Grenelle, pour deux raisons. La première est que ce n'est pas le métier du juge pénal. Certes, il est aussi sensible qu'un autre aux questions de sécurité, mais il manie assez peu la question du champ familial. La deuxième raison est que le taux des plaintes (19 %), dans les situations de violences conjugales, est très faible. Si le juge pénal est l'autorité compétente en matière de retrait de l'exercice de l'autorité parentale, son champ ne pourrait couvrir, au maximum, que 19 % des situations de violences conjugales, alors que dès qu'il y a une séparation des parents, il y a une audience devant le juge aux affaires familiales. Il faut qu'on arrive à mieux traiter l'ensemble des situations.

Il me paraît tout à fait conforme à nos principes fondamentaux et à l'esprit de notre législation d'écrire dans le code civil que lorsqu'il y a violence conjugale et sauf décision contraire et spécialement motivée, l'auteur des violences conjugales ne peut pas rencontrer son enfant sans contrôle social. De même qu'il me paraît tout à fait possible et conforme à nos principes fondamentaux de modifier le code civil de sorte que dès lors qu'il y a violence conjugale et sauf décision contraire et spécialement motivée, la mère victime des violences conjugales se voit attribuer l'exercice exclusif de l'autorité parentale.

Il faut renverser les principes : lorsqu'il n'y a pas de violence, le principe est la coparentalité, lorsqu'il y a violence, le principe est l'exercice exclusif de l'autorité parentale pour la mère.

Madame Meunier l'a rappelé à l'instant : « un mari violent ne peut pas être un bon père ». Je suis absolument d'accord avec vous ! Le Premier ministre, lui aussi, l'a affirmé le jour de la clôture du Grenelle. Je pense donc qu'il est possible d'inscrire ce principe dans le code civil, c'est-à-dire de créer une présomption légale. Vous, législateur, diriez au juge que lorsqu'il y a violence conjugale, il ne peut pas y avoir d'exercice conjoint de l'autorité parentale, et que le père agresseur ne peut pas rencontrer son enfant sans contrôle social, c'est-à-dire sans protection pour l'enfant.

Je voudrais suggérer que les violents conjugaux, compte tenu de leur dangerosité, de la gravité des violences pour les victimes et du coût social de ces violences, ne soient jamais laissés sans contrôle social. Il faut privilégier le sursis avec mise à l'épreuve plutôt que le sursis simple, privilégier le contrôle judiciaire à l'absence de contrôle judiciaire jusqu'au jugement, privilégier les espaces de rencontres protégés ou les mesures d'accompagnement protégé, tous les espaces où le père ne peut pas être en présence de ses enfants sans la garantie d'un tiers qui protège.

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