Intervention de Édouard Durand

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 20 mai 2020 : 1ère réunion
Audition de Mme Ernestine Ronai responsable de l'observatoire des violences envers les femmes de seine-saint-denis et de M. édouard duRand juge des enfants au tgi de bobigny co-présidents de la commission « violences de genre » du haut conseil à l'égalité

Édouard Durand, juge des enfants au TGI de Bobigny, co-président de la commission Violences de genre du Haut Conseil à l'égalité :

Je n'ai malheureusement aujourd'hui pas d'éléments de réponse sur ces deux procédures, mais je vais faire des recherches et je vous en communiquerai très volontiers les résultats.

Le satisfecit que s'est accordé le Gouvernement sur l'accueil dans les commissariats et les gendarmeries des femmes victimes de violences conjugales ne me convainc pas. Le nombre de plaintes a augmenté, mais ce qui nous intéresse, c'est la capacité des professionnels à recevoir les plaintes et à les traiter. C'est le seul moyen d'une issue pertinente pour les plaintes déjà déposées, et c'est même le seul pour aller dans le sens de l'augmentation du nombre des plaintes, indispensable à un meilleur traitement des violences. Le problème est la confiance des femmes victimes de violences conjugales dans les institutions qui sont censées les protéger. Je ne crois pas que dire que 90 % des femmes victimes de violences sont satisfaites de l'accueil qui leur est donné dans les commissariats et les gendarmeries sera de nature à les rassurer. Je reste extrêmement dubitatif.

Vous avez évoqué, Mme Jasmin, la question importante de l'école, des enfants placés et des droits de visite et d'hébergement. L'état du droit est celui-ci : en principe, les enfants doivent rester chez leurs parents, qui ont la charge de les protéger et de les éduquer. C'est un principe de civilisation. Par exception, la société prend le relais si les enfants sont en danger auprès de leurs parents, mais ces derniers vont pouvoir continuer à voir leurs enfants même s'ils sont dans une famille d'accueil ou une maison d'enfants. Par exception, les rencontres sont supprimées ou réalisées en présence d'une tierce personne.

Vous avez raison, nous avons du mal à penser la protection des enfants. Il m'a fallu du temps, je l'avoue, pour parvenir à penser que même une seule heure de visite par mois avec un parent pouvait anéantir un mois entier de sécurité dans une famille d'accueil. Et c'est encore pire dans la situation que vous évoquiez, où un père incestueux va recevoir son enfant chez lui.

Cela me conduit à évoquer deux choses. La première est celle de la protection réelle des enfants confiés à l'Aide sociale à l'enfance (ASE) par le juge ; la seconde est celle des violences sexuelles. Le pédopsychiatre Jean-Louis Nouvel, lors de son audition dans le cadre de la démarche de consensus sur les besoins fondamentaux des enfants, a fait la différence entre le lien et la rencontre. Il dit : « Le lien c'est psychique, la rencontre c'est physique ». Il faut absolument arriver à dissocier ces deux éléments pour mieux protéger les enfants. Il faut parfois travailler le lien sans la rencontre, aider l'enfant à se délier, c'est-à-dire à ne plus être envahi par la figure omnipotente et terrorisante du père violent. J'ai dans mon cabinet autour de moi des dossiers d'enfants qui, toutes les nuits, font des cauchemars car ils sont toujours envahis par la présence de ce père violent. Malheureusement, c'est souvent au moment où l'enfant commence à se délier de son parent violent que les professionnels interviennent pour dire « on va créer du lien, on va ressortir les photos » ; je suis d'accord avec vous, nous devons encore beaucoup progresser.

Je fais généralement la distinction entre ce que j'appelle « les quatre registres de la parenté » : la filiation, l'autorité parentale, le lien et la rencontre. Nous avons tendance à penser que dès lors qu'il y a la filiation, il faut qu'il y ait l'autorité parentale, le lien et la rencontre. C'est un principe, mais il faut arriver à penser les exceptions à ce principe, et la violence en est une.

S'agissant de l'école, je suis d'accord avec vous. Dans la limite des possibilités des enseignants, à qui nous confions de lourdes tâches, je crois qu'il va falloir effectuer un travail important, dans ce déconfinement, pour repérer ce que les enfants ont pu vivre et signaler les enfants qui ne reviennent pas à l'école.

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