Intervention de François Bonneau

Délégation aux entreprises — Réunion du 18 mai 2020 : 1ère réunion
Audition de M. François Bonneau président délégué de régions de france et président de la région centre-val de loire sur le rôle des régions dans la sortie de crise pour les entreprises en téléconférence

François Bonneau, président délégué de Régions de France et président de la région Centre-Val de Loire :

Merci de me donner la possibilité d'échanger avec vous sur ces sujets. Les régions se sont engagées fort et vite pour affronter le nouveau contexte dans lequel nos entreprises vivent du fait de la crise du Covid-19 et développer le paradigme qui leur permettra de se développer à nouveau.

Dans un premier temps, les régions se sont mobilisées, en dehors même de leur champ de compétence directe, pour que les soignants puissent disposer des équipements de protection individuelle nécessaires, que ce soit pour la médecine de ville, dans les Ehpad, ou dans les structures de soins ; dans les premières semaines de la crise, la mobilisation de l'État était insuffisante pour répondre à la totalité de ces besoins. Nos importations ne pouvaient être destinées qu'au personnel soignant, faute de quoi elles auraient été réquisitionnées par l'État. Pour sécuriser ces acquisitions et éviter les surenchères, il a fallu utiliser les leviers de prospection qu'avaient développés les régions dans le domaine économique. Le Gouvernement a décidé que les achats effectués avant le 13 avril ne seraient pas pris en charge à 50 % par l'État. J'ai exprimé mon incompréhension de cette décision, dans la mesure où ils étaient directement liés aux charges de l'État, alors que les achats ultérieurs visaient plutôt à assurer le fonctionnement de nos services et le redémarrage de l'activité économique régionale : ainsi, j'ai fait procéder à l'achat de près de 3 millions de masques destinés à 1 700 entreprises de ma région.

Nous avons cherché des points de convergence entre l'action de l'État et la responsabilité économique des régions afin de développer des outils communs. C'est dans cet esprit que les régions participent au fonds de solidarité national ; elles ont la responsabilité de l'instruction des demandes de son deuxième volet. Nous avons pesé pour que le premier volet de ce fonds soit ouvert à tous, y compris aux indépendants, qui en étaient d'abord exclus : cela pouvait entraîner des situations très dégradées pour nombre de cafés, de restaurants, ou de petits commerces.

Nous avons accéléré les paiements dus aux fournisseurs et aux prestataires de services des régions, afin de soutenir leurs trésoreries ; nous avons également prévu des moratoires de loyers et des remboursements de prêts dus aux régions. Nous avons apporté une aide aux stagiaires de la formation professionnelle, afin de maintenir leur rémunération en dépit de la suspension de leurs stages. Nous avons enfin engagé d'autres dispositifs de conseils dédiés aux acteurs économiques et soutenu leur trésorerie dans de nombreuses filières.

Concernant le fonds de solidarité national, nous saluons la réactivité de son premier volet 1 500 euros versés en mars et en avril - ; le deuxième volet, dont nous assurons l'instruction, prévoit le versement de sommes allant jusqu'à 5 000 euros, voire 10 000 depuis le 24 avril. Ce sera fondamental pour que les entreprises puissent survivre. L'utilisation de ce fonds reste très dynamique : les projections montrent qu'elle pourrait atteindre 7 à 8 milliards d'euros. Nous avons travaillé avec Bpifrance pour que les garanties que nous accordons aux prêts octroyés par cette institution soient appropriées.

Quinze régions ont par ailleurs créé des fonds complémentaires, dits de « résistance », de « résilience », ou de « renaissance » suivant la région. Ces outils, mis en oeuvre, en général, avec la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et la Banque des territoires, nous ont permis d'aller chercher les contributions des EPCI de manière à apporter une aide aux entreprises qui n'avaient pas eu droit aux prêts garantis par l'État (PGE) et à celles auxquelles ces prêts ne donnaient pas une robustesse financière suffisante. Ces dispositifs simples et réactifs ont permis la consolidation des trésoreries, mais ils visent aussi à aider le redémarrage de l'activité des petites et très petites entreprises qui connaissent des situations difficiles, notamment dans les secteurs du tourisme, de l'hôtellerie et de la restauration, qui connaîtront une période d'inactivité considérable ; ces acteurs du commerce et de l'artisanat sont indispensables à la vitalité de nos territoires.

On commence aujourd'hui à penser à la relance de certains secteurs d'activité : il faudra, pour franchir ce nouveau cap, songer à la relocalisation et prendre en compte les défis environnementaux et sociaux. Les diagnostics et la définition des objectifs devront faire l'objet d'une démarche concertée entre l'État et les régions. Je pense au secteur aéronautique : au-delà d'Airbus et de la région toulousaine, les sous-traitants sont nombreux dans beaucoup de régions, et les annulations ou les ralentissements de commandes les inquiètent fortement.

La relocalisation industrielle nous occupe également. Comment favoriser la réimplantation de la production pharmaceutique qui avait été délocalisée vers la Chine et l'Inde ? Comment intervenir pour que la production de masques retrouve une place dans nos territoires ? Il faut, dans bien des domaines, accélérer les transitions à l'oeuvre pour trouver un équilibre économique qui prenne en compte les défis énergétiques, environnementaux et numériques, mais aussi les nouvelles relations souhaitables entre production, transformation et consommation, telle la territorialisation accrue de l'agroalimentaire. Tout cela doit se faire par la concertation entre l'État, les régions et les branches professionnelles.

J'en viens au problème des fonds propres des entreprises. Les renforcer est prioritaire pour un redémarrage. Les principaux outils d'aide aujourd'hui mobilisés sont les PGE et les avances remboursables. Un mécanisme d'obligations convertibles, ou encore la transformation de certains PGE en quasi-fonds propres pourraient constituer de bonnes solutions ; nous menons en région une réflexion en ce sens. Un tel soutien sera essentiel, car les outils actuels, en dépit des taux préférentiels, creusent l'endettement d'entreprises qui n'étaient déjà pas toutes très compétitives. Confrontées à une perte de chiffre d'affaires, elles ne sont pas certaines de pouvoir rembourser les emprunts contractés aujourd'hui : nous devons donc rester attentifs à la mise en oeuvre de ces dispositifs. Bpifrance et la Banque des territoires devront nous aider à trouver des solutions : rappelons que cette dernière peut être sollicitée, non seulement pour des prêts, mais aussi pour des interventions en capital.

Enfin, un soutien fort et spécifique à l'économie sociale et solidaire, dans le cadre du plan de relance, nous apparaît comme une priorité incontournable en ce moment. Ce secteur, bien enraciné dans nos régions - entre 10 % et 12 % de leur PIB -, mais fortement impacté par la crise, peut permettre au redémarrage de se faire de manière solidaire avec des populations fragilisées.

Les régions doivent donc à la fois faire face aux besoins immédiats et préparer des plans de relance pour les infrastructures de transport, la réimplantation industrielle et la transition énergétique. Tout cela nécessitera beaucoup de moyens, mais l'équilibre budgétaire doit être respecté. Or, on risque un effet de ciseau : les pertes de recettes seront en effet considérables dès cette année, qu'il s'agisse de la part de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) qui leur revient, de la TVA, ou encore des cartes grises : ainsi, la région Centre-Val de Loire, loin d'être la plus peuplée, devrait voir ses recettes amputées de 50 millions d'euros en 2020. Cette perte ne sera pas résorbée en 2021, dans la mesure où la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) est calculée à partir de leur activité l'année précédente. Si les régions ne voient pas ces pertes compensées, cela aura des effets délétères. Nous ne sommes déjà plus en situation de maintenir le niveau d'investissement actuel ; nous aurons donc de grandes difficultés à intervenir pour la relance en l'absence de consolidation de nos ressources.

Les effets collatéraux de cette crise budgétaire seront terribles, notamment dans le domaine de l'apprentissage, du fait de sa récente réforme. Celui-ci est très lié à la dynamique économique : bien orienté dans les phases de croissance, il s'effondre dans les périodes de décélération économique, comme on l'a vu en 2008 et en 2009. Dès lors que les régions n'ont plus la responsabilité des centres de formation d'apprentis (CFA), elles ne peuvent plus intervenir comme par le passé ; nous nous interrogeons donc sur la santé financière de ces établissements dès la rentrée prochaine.

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