Michelin est, à la fois, une entreprise dont les racines sont en France et un groupe international très innovant. Avec 127 000 salariés dans 170 pays, nous sommes mondiaux, tout comme nous sommes locaux, comptant 18 000 salariés en France, dont pratiquement toute notre recherche mondiale.
On a tendance à raisonner toujours de façon binaire : faut-il être uniquement mondial ou uniquement local ? Il faut en fait gérer un équilibre : notre dimension mondiale nous permet d'être plus rapides, d'apprendre et de progresser plus vite, de nous interroger plus facilement sur nos modes de fonctionnement ou nos innovations ; notre dimension locale nous permet d'être plus près de nos clients, de recruter des profils adaptés au marché, d'avoir un ancrage culturel et historique, de maîtriser la chaîne logistique.
Voilà pourquoi nous avons fait le choix du « glocal ». Nous sommes américains aux États-Unis, chinois en Chine, brésiliens au Brésil, français en France, allemands en Allemagne. En même temps, nous sommes un groupe parfaitement mondialisé, transférant très rapidement ses savoir-faire à travers la planète. C'est un choix équilibré, qui correspond à la complexité de notre monde. Ne suis-je pas, à la fois, Clermontois, Auvergnat, Français, Européen et citoyen du monde ?
Les questions que vous posez doivent donc être abordées avec prudence, en tenant compte de cette complexité du monde et de la mosaïque des interdépendances déjà existantes.
Ainsi, Michelin est un groupe en transformation permanente. Très présents sur le secteur des pneumatiques, nous fabriquons aussi des piles à hydrogène, nous développons des services numériques et nous sommes des acteurs du digital, avec, notamment, des activités de fabrication additive ou de travail sur la donnée. Nous sommes tout cela !
Par ailleurs, notre présence mondiale nous a confrontés à la problématique de l'épidémie de Covid-19 dès la fin de l'année 2019, par la Chine. Nous avons donc pu anticiper et réagir au plus vite, ce qui nous fait traverser la période actuelle du mieux possible.
Par conséquent, il ne faut pas faire table rase d'un modèle qui nous a fait progresser de manière fantastique. La mondialisation a eu énormément de bénéfices, même s'il faut en corriger certaines anomalies ou certains excès.
Je partage l'essentiel des propos précédents, mais je voudrais aussi vous faire part de trois convictions.
Première conviction, la production industrielle ne peut s'envisager qu'à une échelle régionale. Michelin a énormément d'attaches avec la France, mais, pour une entreprise mondialisée, c'est le marché européen qui compte. La question de savoir quel type d'industrie il nous faut, et ce même si notre pays dispose de nombreux atouts, doit donc être traitée à l'échelle européenne. Mais, auparavant, il faut discuter des règles. Michelin peut développer ses piles à hydrogène en région lyonnaise, comme en Roumanie, en Pologne, en Hongrie : les coûts d'investissement vont du simple au double, en défaveur de la France. Il faut une harmonisation pour éviter un trop grand décalage. Je pense notamment aux coûts salariaux, pour lesquels la différence est encore grande entre la France et des pays limitrophes. Certes, l'Allemagne a, elle aussi, des coûts de production élevés, mais ils sont compensés par sa spécialisation industrielle.
Deuxième conviction, n'oublions pas les défis environnementaux. Au moment où il faut injecter une masse importante d'argent pour faire repartir la machine économique, gardons en tête que la crise du Covid-19 n'a pas fait disparaître les déséquilibres environnementaux qu'il nous faut traiter. La transformation n'est possible, à l'échelon national et régional, que si nous appliquons le Green Deal. D'où l'importance que le groupe Michelin accorde à la mobilité durable, c'est-à-dire, non pas une mobilité moindre, mais une mobilité bénéficiant à plus de personnes et dont l'impact sur l'environnement est moindre. J'en reviens à l'hydrogène : alors que c'est sans doute l'énergie du futur, que la Chine comme les États-Unis en ont fait un secteur dans lequel investir prioritairement, nous tergiversons en Europe. Il faut absolument faire des choix stratégiques et déterminer dans quelles industries nous voulons investir.
Troisième conviction, les défis à relever sont avant tout humains. Je rejoins ici les propos déjà tenus sur la productivité ou le déficit de formation. Les Chinois, comme les Brésiliens, les Américains, les Indiens sont extrêmement bien formés. Avec sa culture et son histoire, la France peut développer d'autres types de formations, beaucoup plus adaptées aux métiers dans lesquels nous nous projetons. C'est essentiel, car, au moment où la moitié des métiers qui existeront au sein de Michelin dans cinq ans ne sont pas définis, nous formons nos élites à des technologies et un environnement économique du passé. Un travail très important doit être réalisé dans ce domaine, et la France peut le faire !