Intervention de Arnaud Montebourg

Commission des affaires économiques — Réunion du 13 mai 2020 : 1ère réunion
Table ronde sur le thème : « déglobalisation et relocalisation : quelles leçons tirer de la crise ? » autour de mm. patrick artus chef économiste de natixis nicolas bouzou directeur du cabinet de conseil asterès florent menegaux président de michelin et arnaud montebourg ancien ministre et entrepreneur en téléconférence

Arnaud Montebourg, ancien ministre et entrepreneur :

Pour reconstruire une agriculture en circuit court, il existe de nombreux outils. En premier lieu, il faudra réfléchir à une renationalisation de la politique agricole commune (PAC). À l'origine, celle-ci devait nous protéger à l'extérieur et nous soutenir à l'intérieur, mais le découplage l'a tuée, et il n'y a plus ni soutien, ni protection alors que nous sommes contributeurs nets. La commande publique devrait être utilisée en matière d'alimentation. Elle l'est déjà dans les cantines par les collectivités locales, mais avec de grandes difficultés, car les fonctionnaires ne savent pas faire, et le tissu productif agricole est tourné vers l'exportation. Il faudra donc réinventer l'offre aussi bien que la demande. Des tickets d'alimentation en faveur des plus démunis devraient stimuler, à hauteur de 500 millions d'euros par an, un réseau d'agriculteurs bio, qui devraient reconvertir leurs exploitations de la matière première exploitable à la production nourricière. On peut faire beaucoup de choses, en somme, pourvu qu'on s'y mette, sans se contenter de faire voter des lois.

Comment faire contribuer les assurances à l'effort collectif ? Le Gouvernement devrait réunir les compagnies d'assurances qui ont accumulé des dizaines de milliards d'euros de profit pour leur imposer de constituer avec ces sommes un fonds d'investissement dans le « Made in France », plutôt que d'acheter des obligations allemandes, à la rémunération négative. Je rappelle que seuls 4 % de notre épargne sont investis en actions, c'est-à-dire en capital productif. Ainsi, nous protégerons les sous-ensembles critiques technologiques. Actuellement, nous assemblons des vélos, mais ne produisons pas de dérailleurs ! Même remarque pour les semi-conducteurs, secteur qui créerait beaucoup d'emplois. Colbert, en son temps, faisait venir des verriers vénitiens, des ouvriers suisses, italiens, de toute l'Europe, pour constituer une industrie qui n'existait pas. Nous devons faire la même chose, secteur par secteur, en organisant des relocalisations technologiques, qui bénéficieraient à nos territoires, lesquels ont déjà été très touchés par la crise de 2008.

Est-il possible de relocaliser nos données ? Je l'ignore. Mais si l'Union européenne fixait une rémunération forfaitaire, de quelques centimes, pour tous les usagers des réseaux sociaux, on trouverait immédiatement des opérateurs européens, ce qui amènerait à un partage du monopole mondial.

Que faire de la dette publique ? C'est simple, elle est insoutenable : nous ne pourrons pas la rembourser par les impôts. Nous ne pourrons la rembourser que très tardivement, ou jamais. Grâce à l'inflation et à la croissance, elle s'effacera. Ce ne sera pas la première fois : c'est le sort de toute dette publique. Comme l'a écrit David Graeber, l'histoire de la dette, c'est celle de son non-remboursement. Ce fut une erreur historique que de la considérer comme un révélateur de bonne conduite. Il faut loger de la dette perpétuelle dans le bilan de la BCE, et faire en sorte que les dépenses occasionnées par la crise soient indolores. Sinon, on coulera l'économie, sans pour autant rembourser la dette. D'ailleurs, les politiques d'austérité des dernières années n'ont pas diminué les dettes publiques. Elles sont contre-productives, car un État ne peut pas être considéré comme une entreprise ou un ménage : les dépenses de l'État, ce sont les revenus des agents. C'est l'une des raisons pour lesquelles j'ai quitté le Gouvernement en 2014 : la politique d'austérité n'a servi à rien, sinon à affaiblir nos services publics.

Sur la commande publique, il faut sortir de l'obsession européenne. Le droit actuel nous donne la possibilité d'utiliser la commande publique à des fins patriotiques. Pour autant, il faut réduire le nombre des acheteurs publics, qui sont actuellement 132 000, et concentrer l'achat public sur 200 acheteurs, avec notamment un par département. Il est anormal que l'Union des groupements d'achats publics (UGAP) ne pèse que 4 % de la commande publique... Nous devons aussi élaborer une plateforme de toutes les compétences disponibles en France. Si chaque agent public qui passe actuellement des appels d'offres pouvait s'en remettre au catalogue de l'UGAP, on gagnerait du temps de fonction publique et de l'argent, tout en rendant la commande publique patriotique - à droit constant ! C'est ce que font les Italiens et les Allemands : en Allemagne, il n'y a que 3 000 acheteurs publics.

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